4 sept 2023

Mostra de Venise 2023 : Léa Seydoux émeut dans La Bête de Bertrand Bonello

Entre science-fiction et exploration d’un amour impossible, la fable contemporaine La Bête, du réalisateur français Bertrand Bonello, a créé l’événement ce week-end à la Mostra de Venise. Voici nos premières impressions devant cet ovni cinématographique avec à l’affiche, l’actrice française Léa Seydoux.

L’histoire de La Bête, le nouveau et très beau film de Bertrand Bonello, réalisateur de Saint Laurent et de L’Apollonide présenté ce week-end à la Mostra de Venise 2023, est celle d’une inquiétude. Gabrielle (Léa Seydoux, irradiante) ressent depuis l’enfance une crainte au plus profond d’elle-même. Elle ne sait pas exactement quel en est l’objet, mais ce sentiment la poursuit et la malmène. Elle pourrait se mettre à crier. On sait que cela arrivera un jour. Mais en attendant, ce film à la fois doux, attentif aux tourments de son personnage, et coupant comme une lame dans ses visions et dans la certitude qu’elle n’y échappera pas, présente cette situation comme un billard à multiples bandes, à travers l’espace et le temps. C’est dire l’ambition de l’un des trois longs-métrages français présentés cette année en compétition au festival italien. Un bijou fait d’allers-retours entre passé et futur, librement adapté du roman d’Henry James, La Bête dans la jungle.

 

Que vaut le film La Bête de Bertrand Bonello avec Léa Seydoux, présenté à la Mostra de Venise 2023 ?

 

À quoi peut servir le cinéma aujourd’hui, sinon à voyager dans la chair des images que le monde permet de créer ? Bertrand Bonello le sait et s’empare de cette chance. Dans les pas de Gabrielle et de Louis (George MacKay), un homme qu’elle pourrait aimer malgré son mariage, nous sommes projetés au cœur d’un trip bizarre. Cela débute comme le making-of d’un film tourné en numérique, avant de continuer en drame costumé à l’ancienne, puis de muer en mélo SF où il est fortement question d’identité et de ce que la modernité nous fait. Dans une partie située en 2044, Bertrand Bonello imagine que l’intelligence artificielle a pris le pouvoir et souhaite au plus vite éliminer les émotions humaines, qui provoquent trop d’inefficacité. Une entité propose à Gabrielle la dernière innovation à la mode, une purification de son ADN. Grâce à cela, elle devrait arrêter de souffrir, mais seulement après avoir revisité ses existences antérieures. La jeune femme commence par refuser, par peur justement de perdre son pouvoir d’émotion. Mais elle est trop seule et malheureuse pour se contenter du status quo. Elle revit (rejoue ?) alors sous nos yeux ce qu’elle a déjà traversé, toujours avec le même homme.

La Bête de Bertrand Bonello, un film inspiré de l’univers de David Lynch

 

Nous la suivons en 1910 lors d’une crue historique à Paris, mais aussi au milieu des années 2010 à Hollywood, alors qu’elle est une aspirante actrice traquée par une version de Louis en mode « Incel », balançant des vidéos violentes et hostiles aux femmes. Cette partie très réussie s’inspire des chefs d’œuvre de l’une des idoles de Bertrand Bonello, David Lynch. Le souvenir de Mulholland Drive se profile comme un fantôme bienveillant, tout comme Twin Peaks : The Return. Mais le cinéaste français n’a rien d’un imitateur. Il serait plutôt un cinéaste-remixeur des influences qui le fascinent, des rêves qui le hantent, des idées qu’il déploie sur le cinéma. En ce sens, nous sommes devant un film assez théorique, parfois à la limite de l’aridité, sur les dangers contemporains les plus vifs : prise de pouvoir technologique, montée du fascisme, dégâts environnementaux, le tout sur fond de crise des représentations.

 

La Bête parvient pourtant à dépasser sa propre angoisse, sa tentation intime de la glaciation, pour communiquer son feu intérieur. Cela en fait un film passionnant, miraculeux par certains aspects, tendu sur le fil d’une émotion de plus en plus aiguë. Il contient aussi, comme Saint Laurent en son temps, parmi les plus belles scènes de boite de nuit que nous ayons vues. Il est porté, enfin, par une actrice qui n’en finit plus d’étonner. Léa Seydoux joue Gabrielle avec à peu près tout ce que l’on peut attendre d’une grande comédienne : la sensualité, la grâce, mais aussi une façon de bouger et de regarder le monde qui le questionne sans arrêt. Elle incarne et dépasse toutes les héroïnes imaginées jusqu’alors par Bertrand Bonello, à la fois robotique et humaine. Un prodige qu’il faudra encore attendre un peu, puisque La Bête ne sortira dans les salles françaises que le 28 février 2024.

 

La Bête (2023) de Bertrand Bonello avec Léa Seydoux sort dans les salles de cinéma le 28 février 2024.