Melvil Poupaud se confie sur son rôle de pervers narcissique dans L’Amour et les Forêts
Pour son sixième film en tant que réalisatrice, L’Amour et les Forêts, Valérie Donzelli explore le genre du drame social, en mettant en lumière la violence physique et psychologique à laquelle se livre un mari violent, incarné puissamment par Melvil Poupaud, envers sa femme, merveilleusement interprétée par Virginie Efira. Un long-métrage aussi troublant qu’essentiel, sorti au cinéma en mai 2023 et diffusé ce mardi 5 décembre sur Canal+. À cette occasion, l’excellent Melvil Poupaud s’est entretenu avec Numéro sur les dessous de ce tournage.
propos recueillis par Nathan Merchadier.
Sémillant quinquagénaire, Melvil Poupaud dispose déjà d’une longue carrière. Capable de se glisser avec la même aisance dans tous les rôles, il a commencé le cinéma à l’âge précoce de onze ans (dans le film La Ville des pirates de Raoul Ruiz en 1983, puis L’Île au trésor, 1985). Si, parmi toute sa palette de personnages, on se souvient de de son apparition magnétique chez Rohmer (Conte d’été en 1996) et de son rôle de quadragénaire s’éprenant d’une femme de vingt ans son aînée incarnée par Fanny Ardant dans Les Jeunes amants (2020), c’est surtout sa prestation bouleversante dans le long-métrage Laurence Anyways (2012) de Xavier Dolan, qui a marqué les esprits. Un film puissant dans lequel il aborde de manière sensible le thème de la transidentité.
Rencontre avec Melvil Poupaud, à l’affiche du film L’Amour et les Forêts
En 2023, Melvil Poupaud a incarné le comte du Barry dans le film polémique de Maïwenn, Jeanne du Barry, présenté en ouverture du Festival de Cannes, et dans un tout autre registre, il était à l’affiche du film L’Amour et les Forêts (2023) avec l’actrice (tout juste césarisée) Virginie Efira. Ensemble, ils dépeignent la vie d’un couple menacé par les réactions disproportionnées d’un mari violent et manipulateur. Durant 1h45, s’enchaînent des scènes d’une violence troublante et presque palpable, servies par un jeu d’acteurs millimétré et un scénario (inspiré du roman éponyme d’Éric Reinhardt) très justement réfléchi par la réalisatrice Valérie Donzelli. Dans le rôle de pervers narcissique, le brun ténébreux séduit à l’écran et ne cesse de confirmer son immense talent.
« Je n’ai jamais été violent dans la vie, mais au cinéma ça me plaît de l’être, car il y a un côté presque libérateur de certaines tensions que l’on a tous dans notre quotidien. » Melvil Poupaud
Numéro : Qu’est-ce qui vous a séduit en découvrant le scénario de L’Amour et les Forêts ?
Melvil Poupaud : J’ai trouvé que ce personnage atroce avait beaucoup de complexité et qu’il n’était pas qu’une simple caricature. Ce rôle de personnage dont on a tous entendu parler était très documenté. Je ne me suis pas identifié à lui, car il va beaucoup trop loin, mais j’ai trouvé cette histoire importante à raconter, car on a tous, à un moment ou un autre, flirté avec ce genre de comportements, sans être pour autant des pervers narcissiques ou des criminels. J’ai trouvé que c’était à la fois un rôle extrême de “super méchant” et un rôle réaliste. J’aimais aussi beaucoup le travail de Valérie Donzelli, qui est aussi elle-même une très bonne actrice. J’ai donc imaginé qu’elle allait bien nous diriger, car elle sait parler aux acteurs et qu’elle a ses rôles bien en tête.
Vous y incarnez un mari manipulateur et auteur de violences psychologiques. Quel effet cela fait-il de jouer une personne toxique ?
Avec l’expérience, je fais mon travail le temps de la scène, et j’arrive par la suite à m’en détacher. La pression monte un peu avant le tournage car je me mets en condition, un peu comme un sportif qui se prépare pour une compétition. Pour les scènes de colère et de violence, je savais qu’à un moment précis, il fallait que je sois prêt à jouer de manière très intense. L’équipe du tournage se sentait aussi impliquée car je pense que c’est un film qui nous concerne tous, malheureusement. Mais je trouve génial que ce film existe. Il y a quelque chose de salutaire dans le fait d’avoir réalisé cela. Quand j’étais jeune, j’étais un enfant mignon, même si j’ai incarné très tôt des rôles diaboliques dans les films de Raoul Ruiz. On retrouve un peu ce côté “prince charmant” au début du film L’Amour et les Forêts… ce mec très séduisant qui est très amoureux, très sensuel, et qui cherche finalement à attirer cette femme dans ses filets. Cette bascule m’a semblé intéressante à raconter. Je trouve que le film tire bien la sonnette d’alarme à différents moments, où le spectateur peut se poser des questions sur le personnage de Grégoire Lamoureux.
Vous aviez déjà tourné avec Virginie Efira dans le film Victoria (2016). Cela vous a-t-il aidé pour jouer un couple dans L’Amour et les Forêts ?
Je pense que le fait que nous soyons proches dans la vie et que nous nous connaissions bien a cassé beaucoup de barrières. Même après une scène terrible où je la maltraite dans le film, nous nous tombions dans les bras et nous nous consolions. Nous pouvions ainsi aller très loin sans s’en tenir rigueur, il n’y avait pas d’ambiguïté ni de zone grise. Je n’ai jamais été violent dans la vie, mais au cinéma ça me plaît de l’être, car il y a un côté presque libérateur de certaines tensions que l’on a tous dans notre quotidien. C’est assez ambigu un tournage… tout le monde t’applaudit alors que tu viens de faire le connard ! En France, on ne fait pas tellement ce genre de films, mais c’est un peu comme dans un Joker [le film de Todd Phillips avec Joaquin Phoenix, 2019] : un rôle dans lequel tu peux te lâcher dans le côté diabolique du personnage, ce qui libère quelque chose.
« Je connaissais Maïwenn et je savais qu’elle pouvait exiger beaucoup de tension de la part de ses acteurs. » Melvil Poupaud
Le rôle que vous avez dans le film Jeanne du Barry de Maïwenn se rapproche aussi, sur certains aspects, de celui de Grégoire Lamoureux, le manipulateur de L’Amour et les Forêts…
C’est vrai… et je dois dire que ça me fait plaisir car on m’a souvent donné à interpréter des rôles d’amoureux, des rôles délicats. En mûrissant, j’ai l’occasion d’avoir des rôles plus violents, et cela me permet d’explorer ce genre. En tant qu’acteur, chaque rôle te rends plus fort. Après le tournage du film de Valérie Donzelli, je suis allé sur le tournage du film de Maïwenn. J’avais déjà réalisé des scènes très dures, donc lorsqu’on m’a demandé de noyer la comtesse du Barry, c’était plus facile à faire… De plus, je connaissais Maïwenn et je savais qu’elle pouvait exiger beaucoup de tension de la part de ses acteurs. Elle aime bien explorer cela chez les personnages qu’elle dépeint. Si, demain, on me demande un rôle encore plus dur, encore plus violent, j’aurai déjà une expérience de cela.
Comment se fait-il que l’on pense à vous pour jouer le rôle d’un cocu dans deux films et ce, en même temps ?
Je pense que chacun de nous a été cocu un jour dans sa vie… Et c’est marrant parce que je viens de tourner un troisième film [Coup de chance de Woody Allen] dans lequel je joue aussi le rôle d’un mari qui s’est fait tromper. Dans le film de Maïwenn, je ne suis pas tellement cocu, c’est plutôt moi qui pousse ma femme dans le lit du roi… Ce n’est pas le même genre de pervers, c’est plutôt un personnage sans foi ni loi.
Que ce soit dans Laurence Anyways (2012) de Xavier Dolan, où vous abordez la transidentité, dans Les Jeunes amants (2020), où vous sortez avec une femme plus âgée, vous semblez avoir un penchant pour les personnages qui sortent des sentiers battus…
Ça m’a toujours rebuté de répéter la même chose ou de me cantonner à un rôle. Quand j’étais plus jeune, j’étais mignon donc on aurait pu me cantonner au rôle de jeune premier. J’ai toujours vu cela comme un piège et j’ai essayé de le déjouer pour avoir une palette de jeu plus large. Rétrospectivement, je pense que c’était un bon choix, car aujourd’hui, on me propose des rôles très différents. Plus mon image est éclatée et multiple, plus je trouve cela intéressant et fidèle à la réalité. Dans le futur, j’aimerais jouer dans des polars car je n’ai jamais trop joué de flics. Il y a un côté thriller que j’aime bien. Et j’attends des rôles qui vont m’inspirer, et des réalisateurs qui vont me transporter. Je ne guide pas ma barque en réfléchissant réellement à là où je vais.
Le film L’Amour et les Forêts est inspiré d’un livre d’Éric Reinhardt. Il me semble que vous exercez, à côté de votre activité d’acteur, celle d’écrivain …
J’ai des périodes où je lis beaucoup et j’ai énormément d’admiration pour les écrivains. Je vois ce que c’est que de savoir écrire, même si je pense que je ne figure pas dans cette catégorie. J’ai écrit des livres, en effet, mais je les vois plutôt comme des textes pour lesquels j’ai fait l’effort que ce soit lisible !
Et vous êtes également musicien…
J’ai un projet avec mon frère, Yarol, qui est musicien, et nous avons toujours eu des groupes depuis que nous sommes petits. J’ai souvent joué de la basse et de la guitare. Aujourd’hui, nous avons un groupe dans lequel je joue de la batterie, avec un troisième copain, Victor Mechanick, qui est un super musicien. Nous devrions sortir un disque l’année prochaine. Dès que j’ai du temps en dehors des tournages et que mon frère est disponible, j’aime faire de la musique. Pour moi c’est un truc de copains, c’est comme quand j’ai accompagné Benjamin Biolay durant l’une de ses tournées.
Vous allez bientôt jouer dans une série inspirée d’un livre d’Édouard Philippe …
J’aime jouer dans des séries car je trouve que le niveau général de ce genre a beaucoup progressé. C’est une manière de travailler qui est assez éloignée des tournages au cinéma. Ce sont des rôles qui s’étendent sur de longs moments. Cela permet de développer des personnages, de leur trouver différentes facettes et beaucoup de nuances. Cette série qui s’appelle Dans l’ombre, parle des dessous d’une campagne présidentielle et c’est passionnant. C’est centré sur ce qui se passe dans les bureaux, ce que l’on ne voit jamais à la télévision. C’est un rôle que je n’ai jamais interprété qui met l’accent sur le charisme et le calme, celui d’un personnage politique assez solide et autoritaire. Ce n’est pas du tout le même type d’homme que dans le film de Valérie Donzelli ou celui de Maïwenn : il dit simplement des choses, et les gens l’écoutent. Je ne connais pas personnellement Édouard Philippe, mais il a écrit un livre très documenté et qui sonne juste.
L’Amour et les Forêts (2023) de Valérie Donzelli, diffusé le 5 décembre 2023 sur Canal+.