Le réalisateur Martin Bourboulon nous raconte les coulisses des Trois Mousquetaires
En quatre film, dont Eiffel (2021) et Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan, le réalisateur français Martin Bourboulon, 44 ans, a réalisé près de 10 millions d’entrées en salle. Alors que l’épique Les Trois Mousquetaires : Milady sort au cinéma, ce mercredi 13 décembre, celui qui a commencé par filmer pour Les Guignols de l’info et la publicité nous raconte les dessous de ce futur blockbuster mettant en scène François Civil et Eva Green.
propos recueillis par Violaine Schütz.
Interview du réalisateur Martin Bourboulon sur Les Trois Mousquetaires
Numéro : Vous allez sortir la deuxième partie du diptyque des Trois Mousquetaires, ce mercredi 13 décembre 2023. Comment on s’attaque à un tel monument de la littérature ?
Martin Bourboulon : Je l’ai abordé avec une énergie collective, c’est-à-dire accompagné de mes producteurs, d’auteurs, avec la dynamique de Dimitri Rassam et de Pathé (Jérôme Seydoux et Ardavan Safaee). Nous sommes tous portés par une envie forte, celle de continuer à croire que, même si on est dans un moment où la consommation des images est en mouvement, où les gens se sont habitués à rester à la maison pour voir des films sur des plateformes où l’offre est très forte, on peut faire des choses. On a envie de se dire : « Voilà, en France, on a les ressources, les talents, les sujets et on n’a pas de complexe à vouloir proposer aux spectateurs, pour la salle de cinéma, des grands événements, de grands films avec une belle ambition de cinéma. »
Et comment avez-vous réussi à vous approprier le texte d’Alexandre Dumas ?
Concernant la manière de se comporter par rapport à l’immensité d’un texte, par rapport à un patrimoine culturel français, j’aime bien observer au théâtre ou à l’opéra, la manière dont des metteurs en scène contemporains réinterrogent le répertoire classique. En permanence, ils « modernisent » de grands classiques en proposant une version, une vision. Et pour la petite histoire, ça faisait 60 ans qu’en France, on n’avait pas eu un Trois Mousquetaires.
Comment s’est passé le tournage ?
J’avais pour ambition de mélanger au mieux l’épique et l’intime dans ces deux films. Je savais que j’avais beaucoup de personnages à traiter et d’aller plus loin en profondeur dans l’âme des personnages, dans Les Trois Mousquetaires : Milady, de leur donner du volume et du souffle. Et à l’image du film, le tournage était complètement épique parce qu’on a tourné sur 150 jours, ce qui correspond à huit mois de tournage, ce qui est totalement inouï. Déjà, le principe même de se dire qu’on va tourner deux films en même temps, était une gageure particulière.
« J’ai une obsession du spectateur à chaque moment de fabrication du film. Je ne le lâche jamais. » Martin Bourboulon
Je crois que vous avez demandé aux acteurs de se battre vraiment. Quelle anecdote retenez-vous à ce sujet ?
Je me souviens très bien de la première fois où j’ai rencontré dans le même espace géographique, tous les acteurs (François Civil, Vincent Cassel, Pio Marmaï et Romain Duris) ensemble. On était dans un gymnase à Montreuil. On leur avait proposé de s’entraîner avec Yannick Borel, qui est un champion olympique français d’escrime. C’est à ce moment-là que je les ai vus tous les quatre en joggings, avec des épées, en train de se préparer et de s’entraîner. Et que je leur ai dit que je voulais filmer l’action en temps réel, ce qui voulait dire, dans un langage cinématographique, filmer les scènes de combats en plan séquence. L’idée était de se situer dans une mécanique du vrai et de ne presque pas tricher. Je leur ai annoncé qu’ils n’allaient pas être doublés dans leurs combats. Et je me suis rendu compte à ce moment-là de l’accueil favorable et excitant face à ce challenge. Ils se sont immédiatement dits, lucides : « D’accord, donc il va falloir s’entraîner. »
Eva Green incarne un personnage de femme très indépendante et puissante, dans Les Trois Mousquetaires : Milady. Alors que votre film Eiffel avait été épinglé par rapport à la différence d’âge des deux acteurs principaux : Romain Duris était beaucoup plus âgé qu’Emma Mackey. Vous vouliez renverser la vapeur ?
Il n’y avait pas du tout d’esprit de revanche ni d’envie de régler des comptes. Il y a simplement un premier opus qui s’appelle D’Artagnan et le deuxième qui s’appelle Milady. Et ne serait-ce que pour rendre hommage aux titres et à la dynamique des films qu’on avait envie de rendre le personnage de Milady central dans le second volet. Et ceux qui ont lu Les Trois Mousquetaires savent que Milady a une histoire très forte avec Athos. C’est une femme qui, au fond d’elle-même, a été abîmée, meurtrie, par la nature masculine et s’est sentie trahie par les hommes. Sa lecture de la masculinité a été fragilisée. J’avais le devoir et l’obligation de raconter ce personnage-là en étant fidèle au texte. Dans les Trois Mousquetaires, les femmes (incarnées par Eva Green, Lyna Khoudri et Vicky Krieps) sont autant au coeur du récit que les hommes.
Entre Eiffel, les deux volets de la comédie Papa ou Maman et Les Trois Mousquetaires, vous avez réalisé presque 10 millions d’entrées en salle. Comment expliquez-vous le succès de vos films ?
Je ne sais pas si ça s’explique vraiment. En tout cas, moi, je considère qu’il y a un point commun très fort entre, malgré tout, entre ces films. Ce que je ne trouve pas surprenant dans mon métier, et que font de grands cinéastes américains – comme Spielberg – dont je m’inspire, c’est de confronter mon regard à la grande histoire. C’est une obsession thématique, chez moi, de se dire comment l’individu se confronte à l’extérieur et à l’immensité de ce qui l’entoure. Dans Eiffel, j’imagine : et si il avait dresser cette tour par amour pour une femme ? Et cette obsession thématique vaut peu importe le genre cinématographique. J’aime la comédie, les films d’aventures, les films historiques. Et j’ai toujours souhaité me balader dans différents registres. Mais, sans que ça soit une explication pour ces chiffres vertigineux, j’ai une obsession du spectateur à chaque moment de fabrication du film. Je ne le lâche jamais. Je suis toujours en train de me demander comment il va vivre cette scène. Est-ce qu’il va comprendre les enjeux ? Est-ce qu’il va rire ? Est-ce que l’action que je lui propose dans Les Trois Mousquetaires va lui donner une sensation d’immersion ? Ça fait trop de bien et ça procure trop de plaisir quand on fait des films et qu’on touche les gens. Et je veux faire un cinéma populaire avec le maximum d’ambition et d’exigence artistique, avec un beau casting et de la sincérité. J’essaie d’aller au bout de mon idée, pour ne rien regretter.
« Le succès du film Le Règne animal, d’Anatomie d’une chute ou de Barbie est très encourageant. Ce sont des films originaux et ambitieux qui attirent le public en salle. » Martin Bourboulon
Quels sont vos projets ?
Je tourne les trois premiers épisodes de la série d’époque Carême, qui est un magnifique projet destiné à la plateforme Apple TV+ mettant en scène Lyna Khoudri, Benjamin Voisin, Jérémie Renier et Juliette Armanet. La meilleure manière de décrire ce projet c’est : « sex, food and politics« . C’est l’histoire de ce jeune cuisinier, Antonin Carême (incarné porté par Benjamin Voisin), qui va s’infiltrer dans les arcanes du pouvoir, en devenant notamment espion pour le gouvernement au moment où Napoléon va devenir Premier consul. Il va vivre plein d’aventures et d’histoires d’amour très fortes avec des espionnes. J’y explore l’univers de la cuisine, qui est une grande arme de Talleyrand, qui se retrouve être une force et une arme de la diplomatie à ce moment-là où la France est quand même très fragilisée.
Vous travaillez sur une adaptation du livre 13 jours, 13 nuits dans l’enfer de Kaboul de Mohamed Bida racontant l’évacuation de civils afghans par la police française lors de la chute de Kaboul en 2021…
Et je prépare en même temps un autre film que je vais faire avec Pathé, Dimitri Rassam et encore, qui s’appelle 13 jours, 13 nuits dans l’enfer de Kaboul et qu’on tourne au printemps prochain. C’est un retour, pour moi, aux films plus contemporains. Et on suit le destin de ce commandant de police qui s’appelle Le Commandant Mohamed Bida, et qui sera joué par Roschdy Zem. Il s’est retrouvé de manière totalement inouïe, à l’ambassade de France, au moment où les talibans à Kaboul, en Afghanistan, sont revenus au pouvoir. Il a organisé la plus grande exfiltration humaine jamais réalisée depuis la Seconde Guerre mondiale. Le film est en effet basé sur le livre qu’il a écrit, du même nom. Un récit haletant qui parle du déracinement. Car certes, des vies ont été sauvées grâce à l’exfiltration mais à l’arrivée, c’était quand même des gens qui ne voulaient pas partir.
Pensez-vous qu’un film doit être vu au cinéma ?
Je pense qu’un film doit être vu. Les réalisateurs et les acteurs ne travaillent pas pour eux, mais pour le public, pour le spectateur. Je trouve que tant qu’un film est vu, c’est déjà génial. Évidemment qu’un film au cinéma permet d’être réceptif à des intentions artistiques d’un metteur en scène ou d’un acteur de manière plus sensible. Quand on est enfermé dans une salle de cinéma, dans le noir, on ressent particulièrement certaines choses, notamment le travail sur le son, qui participe complètement à l’émotion d’un film et qu’on a peut-être plus de mal à percevoir quand on regarde sur un autre support. Maintenant, l’émotion, elle peut se créer au cinéma, mais aussi, fort heureusement, sur d’autres supports. Disons que je suis un fervent défenseur de la salle de cinéma en proposant des films pour le cinéma, comme Les Trois Mousquetaires, mais je pense qu’un film peut très bien exister sur une plateforme.
Il y a récemment eu, notamment à cause des plateformes, une désertion du public dans les salles de cinéma. Qu’est ce qui, d’après vous, peut faire revenir les spectateurs dans les salles obscures ?
Ce dont on se rend compte, c’est qu’on ne peut plus capitaliser sur une recette. La formule est très vite décodée par le spectateur. Les films Marvel fonctionnent moins bien, par exemple. Le succès du film Le Règne animal, d’Anatomie d’une chute ou celui de Barbie est très encourageant. Ce sont des films originaux et ambitieux qui attirent le public en salle. C’est rassurant.
Les Trois Mousquetaires : Milady (2023) de Martin Bourboulon, au cinéma le 13 décembre 2023.