Jordan Peele: the director behind “Nope” in 5 obsessions
Le cinéaste américain Jordan Peel est considéré comme l’instigateur d’un nouveau type de cinéma d’horreur : accolé au réel, il est apparu au cours de la dernière décennie et redonne ses lettres de noblesse au genre. Avec trois films à son actif, Get out (2017), Us (2019) et Nope (2022), en salle dès ce mercredi 10 août, il bouscule tous les codes de l’horreur avec ses films mêlant pop culture et cinéma d’auteur, tout en proposant à chaque fois une expérience renversante. Plongée dans l’univers du nouveau maître du suspense et de l’horreur, à travers cinq de ses obsessions.
1. Critiquer la société américaine
Une maison au style colonial et à la pelouse parfaitement entretenue dans Get Out (2017), une résidence secondaire moderne dans un quartier résidentiel bourgeois de Santa Cruz dans Us, un ranch au beau milieu des plaines américaines non loin d’un parc d’attraction sur le thème de la ruée vers l’or dans Nope (2022) : chez Jordan Peele, l’horreur s’inscrit toujours dans la banalité de la réalité américaine. Dans Get Out, la maison des parents de Rose (Allison Williams), la petite amie de Chris (Daniel Kaluuya), devient le cadre d’un drame social et horrifique, critique de l’héritage – encore bien trop vivant – de la colonisation. La dénonciation du racisme systémique est un leitmotiv de ses films, qui dressent tous à leur manière un portrait glaçant des relations entre Noirs et Blancs, et de la façon dont elles sont basées sur une histoire ultra-violente, insidieusement cachée dans les moindres détails du quotidien. Dans Us, Jordan Peele y conjugue une peinture des rapports de classe entre une famille blanche bourgeoise, dont la mère alcoolique et blasée – Kitty – est incarnée par Elisabeth Moss, et une famille noire dont la mère, Adelaïde, est incarnée par Lupita Nyong’o. Dans Nope, Jordan Peel s’attaque à un nouveau mythe : celui du rêve américain. Véritable variation sur le besoin de célébrité, les différentes intrigues qui s’entremêlent – la quête du cliché parfait d’une force mystérieuse attaquant le ranch de OJ (Daniel Kaluuya) et Emerald (Keke Palmer), l’ambition d’un enfant star traumatisé devenu directeur d’un parc à thème (Steven Yeun) — forment une critique de la société du divertissement qui découle du capitalisme poussé à son paroxysme.
2. Croiser les genres et les références
Si la violence sociale de la société américaine est l’un des fil rouge de son travail, elle est toujours traitée avec une pointe d’ironie, à l’image de cette scène emblématique de Us où Lupita Nyong’o demande leur identité à des intrus à la ressemblance troublante. “We are Americans”, répond son double, avant de s’adonner à un véritable massacre. Il est vrai que Jordan Peele a d’abord commencé comme humoriste dans le duo Key and Peele avec le comique Keegan-Michael Key. Il a joué dans de nombreuses comédies en tant qu’acteur avant de prendre de court le cinéma américain en réalisant un premier thriller horrifique en 2017, Get Out, Oscar du meilleur scénario original en 2018. Les films de Jordan Peele sont à l’image de sa carrière : des objets cinématographiques non identifiés, entre suspense, horreur, science-fiction, farce, western, épopée et drame social. Sublimes et terrifiants, merveilleux et triviaux, ils convoquent de nombreuses références. Des années 80 en passant par des moments charnières de l’histoire du racisme, comme les JO de Berlin de 1936 où le coureur noir américain Jesse Owens a défilé avec ses quatre médailles d’or devant Hitler, des moments d’anthologie de l’histoire du cinéma avec l’évocation de Race Horse (1878) – première image cinématographique animée d’un cavalier par le photographe américain Eadweard Muybridge – à des références au folklore allemand du Doppelgänger – double maléfique : le réalisateur virtuose hybride des références mythologiques savantes et populaires au sein d’un univers qui lui est très personnel.
3. Explorer le côté sombre de la psyché humaine
Fantasme d’une jeunesse éternelle dans Get Out, volonté d’ascension sociale dans Us, ambition dévorante et attraction pour le feu des projecteurs dans Nope : les films de Jordan Peele exploitent les traits les plus sombres de notre psychologie. Les monstres du cinéaste prennent racine dans nos vices et nos failles. Ils sont d’ailleurs souvent d’apparence humaine. Le réalisateur accorde une part importante de sa narration aux traumas et à la psychologie des personnages. Dans Get Out, la mère de Rose hypnotise ainsi Chris après qu’il lui ait raconté l’histoire du décès de sa mère : les scènes qui en découlent accordent une place de choix à l’inconscient, la frontière se faisant de plus en plus fine entre le rêve et la réalité. Dans Us, la première scène est un flashback de l’enfance d’Adelaïde, qui est psychotique et déprimée depuis qu’elle a rencontré, dans une attraction à la fête foraine, une mystérieuse petite fille. Dans Nope, c’est le personnage de Ricky (Steven Yeun), directeur du parc à thème western Jupiter’s Claim, qui est hanté par un souvenir traumatique vécu sur un tournage lorsqu’il était enfant. Dans tous ses films, Jordan Peele accorde une attention particulière aux fantômes de ses personnages, et s’attèle à nous plonger dans l’architecture de la psyché humaine.
4. Jouer des signes et des symboles
Coïncidences, images aux significations mystérieuses – comme ces lapins blancs et marrons en cage au début de Us : les œuvres de Jordan Peele accordent une grande place aux symboles. Ainsi, on retrouve des citations extraites de l’Ancien Testament aux références cryptiques, qui, comme des prophéties, annoncent la tournure des événements à suivre. Le film Us s’ouvre sur le verset Jeremiah 11:11 “ Je vais faire venir sur eux un malheur auquel ils ne pourront échapper, ils auront beau crier vers moi, je ne les écouterai pas. ”, tandis que son dernier film, Nope, débute par la citation suivante : “Je jetterai sur toi des impuretés, je t’avilirai, Et je te donnerai en spectacle. ” (Nahum 3:6). Donnant un coté quasi mystique aux intrigues de ces deux films, ces citations mises en exergue convoquent une forme de fatalité que les personnages vont tenter de déjouer. Entre tragique et fantastique, Jordan Peele s’attèle aussi à susciter des atmosphères pesantes, où chaque détail est mis en œuvre pour matérialiser la manière dont l’inexpliqué surgit. Un vol d’oiseaux en bord de mer annonce un mauvais présage, un vent mystérieux qui se lève sur les plaines du ranch précède l’arrivée d’une force non identifiée… Aucun détail n’est laissé au hasard : tout est pensé sur le registre du signe.
5. Subvertir le white gaze
Comment définir la démarche du maître de l’horreur Jordan Peele? En un mot, politique. L’histoire du cinéma américain est en effet marquée par l’omniprésence du regard occidental, white gaze, et la marginalisation de l’expérience noire, qui si elle apparaît parfois à l’écran est souvent stéréotypée. Le premier succès commercial d’Hollywood est d’ailleurs le film The Birth of a Nation (1915) du réalisateur américain David Ward Griffith, qui, quarante ans après la guerre de Sécession, fait l’apologie de la ségrégation et du Klu-Klux-Klan. En s’intéressant à la vie quotidienne d’individus de la classe moyenne afro-américaine, Jordan Peele s’érige contre cette invisibilisation qui a irrigué toute l’histoire du cinéma américain, et souhaite “banaliser les visages noirs dans la pop culture“. Pour le réalisateur, il est essentiel de créer de nouvelles mythologies : intégrer les figures noires aux histoires folkloriques (Us), réhabiliter l’histoire des cow-boys noirs et magnifier la rébellion face à une force terrible et invisible (Nope). Aux côtés de talentueux acteurs tels que Daniel Kaluuya, Lupita Nyong’o ou Keke Palmer, c’est de l’avenir du cinéma d’horreur américain dont il est question.
Nope, de Jordan Peel, en salles dès le mercredi 10 août.