19 oct 2022

Interview d’Isabelle Adjani sur la musique et sur son duo avec The Penelopes

En octobre 2022, l’actrice iconique Isabelle Adjani et l’excellent duo électro-pop français The Penelopes unissaient leurs forces créatives sur le duo The Last Goodbye. Une chanson d’amour mélancolique, onirique et émouvante. Alors que l’actrice française sortira un nouvel album, Bande originale, le 10 novembre 2023, retour sur notre interview des musiciens et de l’immense comédienne.

propos recueillis par Violaine Schütz.

Après une collaboration remarquée sur un single, en 2019, l’immense actrice Isabelle Adjani et l’excellent duo électro-pop (sous perfusion new wave) français – exilé à Londres – The Penelopes unissaient à nouveau leurs forces créatives. En octobre 2022, ils publiaient The Last Goodbye, une chanson d’amour mélancolique, onirique et émouvante, qui s’accompagnait d‘un beau clip en animation, dévoilé en avant-première dans le métavers. L’héroïne sublime de Possession (1981) et de La Reine Margot (1994) et les deux dandys et amis d’enfance des Penelopes, Axel Basquiat et Vincent Trémel, nous parlaient alors de leurs affinités électives et leur vision romantique de la musique. Retour sur cet échange passionnant, alors qu’Isabelle Adjani sortira un nouvel album, Bande originale, le 10 novembre 2023, comprenant des duos avec Christophe et Benjamin Biolay.

 

Interview d’Isabelle Adjani et du duo The Penelopes

 

Numéro : Isabelle, qu’est-ce qui vous a donné envie de chanter de nouveau avec les Penelopes après un premier duo en 2019 intitulé Meet Me by the Gates ?

Isabelle Adjani : The Last Goodbye, notre nouveau morceau, est plus qu’une chanson, c’est un projet global un peu inédit alliant métavers et NFT. Ça m’a tenté parce que c’est l’inconnu pour moi. Et aussi, Vincent et Axel sont deux garçons tellement doués, absolument délicieux, d’une délicatesse hors du commun, passionnés et zen à la fois. Il n’y a jamais de moment ennuyeux ou de stress avec eux pendant l’enregistrement. Ils sont des partenaires d’une grande douceur. La voix d’Axel est complètement « barrywhytienne » (en référence au crooner soul Barry White, ndr). C’est le seul chanteur que je connaisse avec des graves aussi étonnants. Et la discrétion de Vincent me scotche. Et puis, ce sont deux artistes dont Lana Del Rey (j’en suis fan !) ne peut pas se passer… Cela ajoute à ma fierté de participer à ce Last Goodbye.


The Last Goodbye, parle du départ de l’être aimé, ainsi que du monde qui se délite, avec en toile de fond la problématique environnementale. Quel regard portez-vous sur cette chanson ?
Isabelle Adjani :
Ce sont les thématiques qui nous habitent et dans lesquelles on habite aussi… Il y a quelque chose d’à la fois désabusé et mélancolique dans la conscience que nous avons d’un monde dans lequel nous avons de plus en plus de mal à vivre. Mais en même temps, les ressources que nous aurons jusqu’à la fin des temps, pour y échapper, résonnent comme un mantra chanté et enchanté, dans The Last Goodbye.

 

Il y a de la mélancolie et un côté dansant dans ce titre. Ce sont des contrastes qui vous plaisent dans l’art ?
Isabelle Adjani : Ah oui, vraiment oui. Dans l’art, si l’espoir et le désespoir ne se côtoient pas, ça ne me touche pas.

Axel et Vincent, pouvez-vous nous raconter une anecdote sur votre rencontre avec Isabelle ?

Vincent Trémel : Nous avons adoré notre première rencontre avec Isabelle, en 2019, pour le morceau Meet Me by the Gates. Nous avions booké un studio à Paris pour pouvoir écouter de la musique. On a tout de suite échangé de manière très vive. Je me rappelle qu’on lui a joué les deux remixes qu’on avait fait pour Lana Del Rey (d' »Ultraviolence » et « Brooklyn Baby »). On a également parlé de Leonard Cohen et évoqué directement l’idée de produire les voix avec peu d’effets dessus sur nos morceaux. Pas de tricherie, contrairement à ce qui se passe sur beaucoup de disques actuels. On voulait une certaine proximité de la voix avec l’auditeur. C’était vraiment incroyable d’avoir une discussion artistique à bâtons rompus après deux minutes. On adore Isabelle ! 

Axel Basquiat : Lorsque nous avons fait le premier shooting photo avec Isabelle et qu’elle a posé son bras sur mon épaule, je crois que j’ai littéralement buggé à ce moment-là. C’est d’ailleurs devenu la photo de la pochette du titre Meet Me by the Gates. Ensuite, quand j’ai vu son visage dans le retour de la caméra pendant le tournage du clip de ce morceau et je n’ai pu m’empêcher d’avoir les larmes aux yeux devant ce regard si mélancolique. 

 

Quels sont vos points communs avec Isabelle ?

Axel Basquiat : Je pense que nous avons en commun l’attachement aux détails et une recherche de la précision que j’appelle « le moment du détail« . Isabelle est extrêmement précise en studio dans le placement de sa voix. La façon dont elle prononce le mot « petrified » dans notre chanson The Last Goodbye est magique. Il y aussi une forme de spleen dans notre approche de la création musicale. Sinon, je pense qu’on a en commun un certain goût pour le « non sense » du quotidien. Nous arrivons aussi à trouver Cioran à la fois super sombre et… hilarant.

 

Pourquoi avoir choisi de partager d’abord le clip animé de The Last Goodbye dans le métavers ?

Vincent Trémel : Nous entretenons une relation douce-amère/ »love and hate » avec le concept de métavers. Mais nous préférons ne pas être conservateurs, comme l’étaient ceux qui refusaient le MP3 il y a vingt ans. Cela nous paraît plus intéressant de faire un travail de recherche et de tenter de laisser une trace en tant qu’artistes précurseurs explorant le web 3.0. 

Axel Basquiat : J’ai toujours détesté les frontières. Ce peut sembler un peu trivial et candide, mais je me demande si un accès démocratique à des métavers ne pourrait pas sauver d’une forme d’ennui certains gosses issus d’un milieu modeste. Est-ce que leurs journées ne seraient pas moins longues si le monde n’avait pas de frontières ? 

« Je me suis toujours vue comme une actrice-chanteuse et je suis toujours surprise quand on me parle de moi en tant que chanteuse. » Isabelle Adjani

 

Isabelle, comment définiriez-vous l’importance de la musique dans votre carrière ?
Isabelle Adjani : J’imagine que vous me demandez ça en tant que chanteuse ? Je me suis toujours vue comme une actrice-chanteuse et je suis toujours surprise quand on me parle de moi en tant que chanteuse. Si la chanson existe dans ma carrière, donc la musique, c’est seulement parce que le génial Gainsbourg a existé. Il m’a convaincue que le soufflé et le grain de voix d’une actrice pouvaient receler un charme infini. En tout cas, c’était sa préférence en tant qu’auteur-compositeur. Et puis les actrices que j’aime ont chanté… Marilyn Monroe, Jeanne Moreau et d’autres. C’est drôle d’ailleurs, car je chante dans mes deux derniers films, Peter van Kant de François Ozon et Mascarade de Nicolas Bedos (qui sortira en salle la semaine prochaine, ndr). 

 

Quels sont vos goûts musicaux ? 
Isabelle Adjani : J’aime beaucoup les artistes de pop internationale, la scène underground et les groupes de pop de musique british tout en étant toquée de l’auteur-compositeur belge Tamino. Chez les filles, en France, c’est Juliette Armanet, Pomme et d’autres.

 

Travaillez-vous sur un album sous votre nom ?
Isabelle Adjani : En fait, depuis pas mal d’années déjà, nous avons travaillé sur des chansons sous forme de duos avec Pascal Obispo et l’album qu’il a réalisé et produit sortira au printemps 2023 avec de nouveaux morceaux que nous avons enregistrés récemment avec Benjamin Biolay, Gaëtan Roussel et d’autres merveilleux artistes figureront sur l’album dont certains, hélas disparus comme Christophe et Daniel Darc. C’est un album très émotionnel fait avec beaucoup d’amour et la participation artistique de Cécile de Laurentis qui apporte un univers symphonique nous rapprochant à la fois du Japon et de Massive Attack.

Axel et Vincent, vous sortirez le 25 novembre un album intitulé Life is Long sur lequel chantent Isabelle Adjani, Asia Argento, Virginie Ledoyen, Lola Bessis et Nathalie Baye… Pourquoi ce titre ?

Axel Basquiat : « La vie est longue ! »… « Qu’est-ce que c’est long ! ». C’est quelque chose que je me disais constamment quand j’étais enfant, dans ma chambre. Tout était assez gris et sans espoir dans la ville où nous avons grandi avec Vincent, dans la banlieue nord de Paris (à Stains, où les deux amis faisaient figure d’outsiders avec leur passion pour The Cure et Sartre au milieu des fans de rap, ndr). J’ai toujours gardé cette phrase au fond de moi jusqu’à ce qu’elle devienne plus ambivalente, voire positive. Quand j’étais ado, je trouvais les journées sans fin, sans perspective et je ne savais pas par où commencer pour prendre cette vie à bras le corps. Le groupe d’indie pop anglais The Smiths a eu un grand écho chez nous, notamment le morceau The Queen Is Dead (1986) sur lequel le chanteur Morrissey dit : « Life Is Very Long When You’re Lonely. » Durant l’écriture de ce nouveau disque, j’ai réalisé qu’on avait le temps de faire des choses, qu’on pouvait trouver un espoir même s’il est illusoire. Je me suis dit qu’on pouvait aussi ralentir nos chansons.

 

Pourquoi avoir fait appel à des actrices pour chanter ? Est-ce l’influence de Serge Gainsbourg ?

Axel Basquiat : Nous sommes d’énormes fans de Gainsbourg mais en réalité nous sommes presque plus influencés par un duo comme celui réunissant Nick Cave et Kylie Minogue. On a toujours aimé les duos assez inattendus, tels que Lana Del Rey et The Weeknd, Françoise Hardy et Blur, Mark Lanegan et Isobel Campbell, Isabella Rossellini et les Tindersticks. On avait déjà travaillé avec Asia Argento pour son dernier long-métrage. Ensuite nous avons eu l’idée d ‘enregistrer avec Isabelle et puis tout s’est enchaîné naturellement.

Comment s’est fait le casting ?

Vincent Trémel : Cela peut paraître étonnant mais tout s’est fait super simplement, sans forcer. Ce n’est pas un réel casting. Nous nous sommes rapprochés ces dernières années du milieu du cinéma (les Penelopes ont composé plusieurs bandes sonores de films et de séries, ndr) et de la jeune génération de réalisateurs et réalisatrices. Comme on écrivait des chansons qui étaient conçues pour être des duos, au fil des rencontres, des envies et de notre instinct, des liens se sont tissés. Nous allons uniquement vers des artistes qu’on respecte par dessus-tout, dont on aime l’attitude, la générosité, les choix artistiques. Mais on cherche une certaine forme de surprise dans la collaboration.

 

Comment décririez-vous votre musique ?

Vincent Trémel : C’est vraiment une question difficile. Notre background est clairement la pop indé anglaise et américaine mais on adore aussi le disco, par exemple. On a toujours mélangé cet ADN musical avec plus ou moins d’éléments de musique électronique ou plus récemment avec des éléments d’ambient, de sonorités cinématiques ou de pop orchestrale. Cela ne nous a jamais intéressé de répéter ce que faisaient nos idoles. On a fait des remix car on était loin de ce milieu « dance » hédoniste, à la base. On a aussi toujours été aussi assez proche de la mode ou de l’art contemporain, dans une certaine forme de recherche.

Axel Basquiat : Un ami anglais me disait qu’on était un « art pop duo ». Dans un sens, j’aime bien ce résumé… Même si maintenant nous sommes peut-être revenus à quelque chose de plus stable, plus dans notre ADN : la pop mélancolique.

 

The Last Goodbye (2022) de The Penelopes and Isabelle Adjani, disponible. Bande originale (2023) d’Isabelle Adjani, disponible le 10 novembre 2023.