En direct de Cannes 2022 : avec le documentaire Moonage Daydream, le Festival rend hommage au grand David Bowie
Présenté au Festival de Cannes le 23 mai, Moonage Daydream est un objet filmique consacré à David Bowie qui n’est pas un documentaire classique. Pensée comme une « odyssée cinématographique », l’œuvre a été réalisée par l’Américain Brett Morgen à qui l’on doit un impressionnant documentaire sur Kurt Cobain (Montage of Heck).
Par Olivier Joyard.
Il arrive que le Festival de Cannes propose des échappées loin du cinéma d’auteur mondial, qui rejoignent les préoccupations des cinéastes contemporains par l’ampleur de la proposition artistique qu’elles défendent. Présenté sur la Croisette en séance de minuit, Moonage Daydream, documentaire de près de 2h20 signé par l’américain Brett Morgen (on se souvient de son remarquable The Kid Stays in The Picture, sur le producteur Robert Evans) fait partie de cette catégorie grâce à son personnage central, David Bowie, icône pop hors dimension et artiste total.
Nous ne sommes pas devant un documentaire-biopic de base. Le film veut épouser le geste artistique du génie anglais et en transmettre la sève autrement que par de pures informations. Aucun commentaire en voix-off, quasiment aucune date et aucun titre de morceaux ou d’albums ne viennent ponctuer le récit. À la place, un flux ininterrompu d’archives et de musique, des sons et des images où David Bowie semble réapparaitre constamment sous un nouveau jour, esquisse perpétuelle, homme-icône renouvelable et ambigu.
Certes, Moonage Daydream suit à peu près la chronologie, en proposant une longue plongée dans les années 1970, celles de Ziggy Stardust et Aladdin Sane, entre autres folies, jusqu’au moment de rupture berlinois où Bowie signe non seulement Heroes mais aussi Low et le magnifique Station to Station, chef-d’œuvre urbain par excellence. À travers cette période allemande, Morgen analyse la méthode employée par Bowie pour écrire et composer, en compagnie de Brian Eno. C’est l’un des seuls moments où les coulisses de la création sont évoquées. Morgen s’intéresse davantage au personnage Bowie. Son sens de l’avant-garde mais aussi ses qualités de pur entertainer, sont mis en avant davantage que ses affres créatives et personnelles. Il n’est même pas question de drogue, c’est dire.
Malgré ce manque, le film intéresse et donne l’envie irrésistible de réécouter des albums en boucle. Les archives rassemblées grâce à l’appui des héritiers de David Bowie – mort un jour sinistre de janvier 2016 à l’âge de 69 ans – mais aussi celui de son producteur historique Tony Visconti, traversent quatre décennies de sublime transformisme, de vie intime ou publique saisissante et d’œuvres qui vont au-delà de la musique : son travail de peintre à l’expressionnisme très marqué est dévoilé. Les apparitions de Bowie à la télévision, toujours tranchantes, sont longuement utilisées. Dans les concerts, la beauté de la voix et du corps du Thin White Duke émerge naturellement.
Moonage Daydream a ses limites, liées à l’admiration sans bornes que porte son auteur au modèle qu’il a choisi. Bowie est quasiment présenté comme l’inspirateur d’une philosophie, la philosophie d’un monde sans Dieu, ce qui n’est pas forcément d’une légèreté à toute épreuve. Mais dans sa matière-même, ce documentaire foisonnant ravira celles et ceux qui aiment l’auteur de Rock ’n’ Roll Suicide par-dessus tout. Pour les autres, sa vie d’explorations et de tolérance reste un sujet fascinant. Pas une chanson entendue dans ce documentaire, même celles de la période étrange du début des années 1980, ne sonne comme une représentation du passé. Le présent, c’est Bowie. Encore et toujours.
Moonage Daydream (2022) de Brett Morgen, présenté hors-compétition en séance de minuit à Cannes, en salle le 22 septembre prochain.