Devenir adulte au cinéma : entre sexualité et dépression
“Été 85” est le premier film de la sélection 2020 du Festival de Cannes à être dévoilé au public. Le dix-neuvième long-métrage de François Ozon s’attaque à un genre très apprécié du cinéma américain, le “coming of age”. Autrement dit, le film d'apprentissage. Retour sur neuf films qui ont fait l’importance du genre.
Par Honorine Boudzoumou.
Dans son dernier film, François Ozon présente l'histoire d'Alexis, un garçon de 16 ans qui fait la rencontre du fascinant David avec lequel il vivra un été inoubliable et une histoire d'amour qui bouleversera sa vie. Avec Été 85, dont le scénario est librement adapté du roman d'Aidan Chambers, Dance on My Grave, le réalisateur évoque les premiers émois, la découverte des sentiments, l’amour foudroyant et le deuil à travers un coming of age lumineux et intense. À cette occasion, Numéro revient sur le genre à travers neuf longs-métrages qui s’attarde sur le fameux passage à l’âge adulte.
1. Les 400 coups de François Truffaut (1959)
Grand classique du cinéma français, Les 400 Coups est considéré comme l’un des premiers films du mouvement de la Nouvelle Vague. C’est aussi l’un des premiers coming of age a avoir marqué l’époque – avec La Fureur de Vivre (1955) de Nicholas Ray, en donnant une nouvelle image de l’adolescent. Dans Les 400 Coups, on découvre le jeune Antoine Doinel – brillamment interprété par Jean-Pierre Léaud – jeune garçon considéré par ses parents et professeurs comme un fauteur de troubles. Avec le personnage d’Antoine Doinel, Truffaut se raconte. Et c’est sans doute ce qui rend le film profondément touchant. Le cinéaste a dédié son long-métrage à André Bazin, critique de cinéma, qui l’a aidé à mettre de l’ordre dans sa vie lorsqu’il était plus jeune. Il marque aussi le début d’une longue collaboration entre Jean-Pierre Léaud et François Truffaut, que l’on retrouve dans quatre autres films sous les traits d’Antoine Doinel : Antoine et Collette (1962), Baisers Volés (1968), Domicile Conjugal (1970) et L’Amour en Fuite (1979).
2. Juno de Jason Reitman (2007)
Avec un scénario signé Diablo Cody (Jennifer’s Body, Tully), Juno a marqué une ère : celle des teen movies écrits et réalisés par des femmes. Dans cette comédie-dramatique, Juno (Ellen Page), une adolescente de 16 ans indépendante à l’esprit vif, découvre qu’elle est enceinte… de son meilleur ami. Elle doit désormais faire face à sa grossesse et au jugement de son entourage, tout en poursuivant le lycée. Le cours de sa vie bouleversé, elle prend alors du recul et envisage le monde comme l’adulte qu’elle n’est pas encore. Portant sur la perte de l’innocence enfantine, la possibilité de disposer de son corps et la découverte de la sexualité, Juno brille surtout par la qualité de son scénario. Diablo Cody – lauréate de l’Oscar du meilleur scénario pour son travail – imagine une histoire mêlant problèmes d’adolescence et difficultés d’une vie adulte. “Vous savez, il y a toute cette idée que la virginité est une fleur sacrée ou quelque chose comme ça, et ce déséquilibre dans la façon dont la sexualité des femmes est présentée, et je déteste ça, explique la scénariste. “Les femmes sont intelligentes, les femmes sont drôles, les femmes sont vives, et je voulais montrer que ces filles étaient humaines et non les adolescentes stéréotypées que l'on voit souvent dans les médias”.
3. Skins de Jamie Brittain et Bryan Eisley (2007)
Tout au long de ses sept saisons, la série britannique Skins a mis en scène la complexité de l’adolescence. Sexe, drogues, maladies mentales, relations toxiques, deuil, mort, pauvreté, racisme, questionnement sur le genre… la série prend un chemin bien plus radical que les teen dramas de son époque. Prenant en compte de ce que voudrait voir la jeunesse lorsqu’on dépeint sa réalité, Skins présente les histoires d’adolescents borderline de Bristol. Chaque épisode correspond aux épreuves d’un personnage en particulier. Adolescents pendant la diffusion de la série, certains acteurs ont maintenant des carrières notables au cinéma comme Nicholas Hoult (Tolkien), Hannah Murray et Joe Dempsie (Games of Thrones), Kaya Scodelario (Le Labyrinthe), Daniel Kaluuya (Get Out) ou Dev Patel (Lion). Plus de dix ans après la diffusion du premier épisode, la série continue de fasciner et de captiver grâce à son originalité et sa pertinence vis-à-vis des sujets traités. Elle permet au monde des séries d’évoluer en matière de représentation de l’adolescence. Héritière de Skins, la série HBO Euphoria (2019) créée par Sam Levinson est en phase de devenir un phénomène marquant une nouvelle génération d’adolescents.
4. Le Monde de Charlie de Stephen Chbosky (2012)
Impossible de parler de coming of age sans mentionner Le Monde de Charlie de Stephen Chbosky. Logan Lerman y interprète Charlie Kelmeckis, un adolescent écrivant régulièrement des lettres à sens unique à un ami. Dans celles-ci, il dépeint sa première année de lycée avec ses défis, ses rencontres, ses victoires, ses peines et la difficulté d'effectuer une transition entre le collège et le lycée. Le film explore avec finesse la psychologie du personnage atteint de dépression et d’anxiété alors qu’il tente de se faire des amis qui l’accepteront tel qu’il est. Premier long-métrage du réalisateur de Wonder et adapté de son propre roman The Perks of Being a Wallflower paru en 1999, le film est présenté au Festival International du Film Indépendant à Toronto où il reçoit un très bon accueil de la critique.
5. Boyhood de Richard Linklater (2014)
Filmé sur 12 ans, Boyhood, qui a valu à Richard Linklater le Golden Globe du meilleur réalisateur en 2015, est un drame expérimental – du fait de la longueur du tournage – qui suit la vie de Mason (Ellar Coltrane) de ses 6 à ses 18 ans. Avec ce long-métrage, Richard Linklater parvient à saisir le développement d’un enfant qui jongle entre ses deux parents divorcés. Filmé depuis la plus petite enfance, Boyhood peut être vu comme l’aboutissement du genre, tout en étant une déconstruction de celui-ci. En se concentrant sur plusieurs petits moments et non un grand moment de la vie du protagoniste, Richard Linklater montre que ces instants n’en sont pas moins importants lors d'un récit initiatique et aident à la construction d’un individu.
6. Mommy de Xavier Dolan (2014)
Que ce soit avec J’ai Tué Ma Mère (2009) ou Ma Vie Avec John F. Donovan (2018), Xavier Dolan n’est pas novice lorsqu’il s’agit de filmer la construction émotionnelle à l'adolescence. “Je sais que ce qui m’émeut systématiquement – et c’est à travers ce système-là que j’essaye d’émouvoir les gens –, c’est l’idée du temps qui passe. Les gens qui vieillissent, qui changent, les erreurs qu’on fait, les gens qui nous quittent, les amis qui s’en vont, la vieillesse, les rêves échoués…”, confiait-il dans les colonnes de Trois Couleurs à propos de son cinquième long-métrage, Mommy. Toujours intéressé par les relations mère-fils, le cinéaste québécois y explore cette fois l’instabilité, l'espoir et la nocivité d’un amour intense. Dans Mommy, Steve (Antoine Olivier Pilon), garçon violent, et sa mère Diane (Anne Dorval), font la rencontre de Kyla (Suzanne Clément) leur nouvelle voisine introvertie et bègue avec laquelle ils développent un lien émotionnel et affectif solide. Ensemble, ils sont heureux, en harmonie, et ont trouvé un équilibre sain. Pourtant, la nature de leur relation est tout autre : elle est toxique.
7. Grave de Julia Ducournau (2016).
Ovni du Sundance, film marquant de la Semaine de la Critique à Cannes en 2016 et nommé aux Césars en 2017, le premier long-métrage de Julia Ducournau, Grave a apporté un vent de nouveauté dans le cinéma français en renversant les codes du coming of age. Il raconte l’histoire de Justine (Garence Marillier), végétarienne depuis son plus jeune âge qui se découvre – lors de sa première année en école vétérinaire – un appétit anormal pour la viande. Salué par la critique et ovationné outre-Atlantique, le long-métrage fait la jointure entre horreur et teen movie pour offrir un coming of age porté sur l'introspection de sa protagoniste. Justine doit s’adapter à sa propre personne et découvrir ses désirs.
8. Moonlight de Barry Jenkins (2016)
Adapté de la pièce In Moonlight Black Boys Look Blue de Tarell Alvin McCraney et Oscar du meilleur film en 2017, Moonlight de Barry Jenkins a séduit le monde et surpris le cinéma grâce à sa poésie. Divisé en trois chapitres, il raconte le parcours de Chiron – sublimement interprété par Alex Hibbert, Ashton Sanders et Trevante Rhodes –, garçon originaire des quartiers pauvres de Miami en proie au trafic de drogues. Lorsqu’il est enfant, Chiron nommé “Little” par les autres garçons de l’école aime danser et n’entretient pas de bons rapports avec sa mère (Naomi Harris), héroïnomane. Il est aussi victime de harcèlement. La raison ? Il est homosexuel. De son enfance jusqu'à sa vie adulte, en passant par son adolescence, on suit l'acceptation et la compréhension de soi d'un protagoniste qui tente de se définir hors des relations qui ont marqué sa vie. Moonlight est un coming of age qui offre de la diversité par les thèmes qu'il aborde – amour, homosexualité, différence, sensibilité, etc. – mais aussi par son personnage principal émouvant et neuf en termes de représentation d'enfance noire.
9. Lady Bird de Greta Gerwig (2017)
Premier long-métrage de la réalisatrice américaine Greta Gerwig, Lady Bird a marqué les esprits. Dans le film, qui a remporté le Golden Globes de la meilleure comédie en 2018, Saoirse Ronan y interprète Christine McPherson, adolescente rebelle vivant à Sacramento ne répondant plus qu’au nom de Lady Bird. Ambitieuse, elle souhaite améliorer sa vie pour sa dernière année de lycée afin de sortir de sa routine et partir faire ses études à New York. Lady Bird se déroule en 2002, année où Greta Gerwig était elle-même adolescente. Jeune femme indépendante, Lady Bird vient d’une famille ouvrière dont elle a honte souhaite s’émanciper, à l’instar de ce qu’à vécu Greta Gerwig.