De “Parasite” à “Apocalypse Now”: à quoi servent les director’s cut?
Alors que le multi primé "Parasite" de Bong Joon-ho fait l’objet d’une nouvelle sortie en salles ce mercredi dans une version en noir et blanc et qu’un projet d’adaptation du film au format série est en cours, la vaste question du remodelage des œuvres cinématographiques se pose à nouveau. La tendance du director’s cut est-elle pertinente au regard des nombreuses révisions que les cinéastes proposent de leurs films ? Retour sur quelques cas emblématiques.
Par Margaux Coratte.
L’art du montage est un cheval de bataille historique entre les réalisateurs et l'industrie du cinéma. Les sociétés de production, souveraines aux États-Unis, exercent leur pouvoir hégémonique en intervenant lors de cette étape primordiale qui donne corps au film. Obligés de couper, expurger et censurer leurs images, les cinéastes savent pourtant que la vengeance est un plat qui se mange froid. Et elle s’appelle director’s cut. "Montage du réalisateur" en français, il s'agit d'une version d'un film censée représenter les intentions originelles du réalisateur. En observant uniquement les désirs de celui-ci, elle promet d’embarquer le spectateur dans une version qui colle au plus près à son idée de départ. Ainsi, la tendance du director’s cut s’invite parmi les chefs-d’œuvre, même lorsque ces innombrables remodelages ne sont pas toujours heureux.
Si la version longue du Grand Bleu de Luc Besson est magnifique, celle de la saga Harry Potter l’est beaucoup moins. Loin de proposer une version reflétant la vision idéale de ses réalisateurs, celle-ci vient uniquement répondre à un coup de marketing. Un peu plus de Poudlard et de Voldemort fait vendre, et la Warner l’a bien compris. Pourtant, on ne peut réduire le remaniement des films à une simple démarche lucrative. D’aucuns diront d’ailleurs qu’il ne faut pas confondre director’s cut et extended cut. Si la première vise à améliorer le récit initial, l’autre y ajoute simplement des scènes ou séquences coupées sans pour autant en modifier l'histoire. De Francis Ford Coppola à Terry Gilliam et Gus Van Sant, découvrez trois films aux multiples visages.
1. Apocalypse Now de Francis Ford Coppola (1979)
Les nombreuses versions du long-métrage de Francis Ford Coppola illustrent parfaitement les dérives du director’s cut. La raison en est simple : remodelages, raccourcis, prolongations… la liste des remaniements est longue, alors que le statut de chef-d’œuvre du film premier n’est plus à débattre. Vingt-deux ans après sa sortie initiale, le cinéaste en propose une nouvelle version, plus longue, baptisée Apocalypse Now (redux). La plongée cauchemardesque dans l’empire cruel de Kurtz passe de 2h30 à 3h20. Les spectateurs hallucinent, eux qui pensaient avoir déjà fait le plein de napalm en 1979. Crise nostalgique de Francis Ford Coppola ou coup de marketing ? Apocalypse Now (redux) (du latin "reduco", signifiant "ramener") a pourtant conquis la critique, qui y a vu un génial approfondissement de son discours initial. En revanche, la troisième version, plus courte, est moins connue car peu appréciée.
2. Brazil de Terry Gilliam (1985)
Le conflit qui a opposé Terry Gilliam à ses producteurs lors du montage du film est historique. Sidney Sheinberg (à l’époque à la tête d’Universal) souhaitait changer radicalement la fin du film, jugée trop compliquée par la majorité des membres de la société de production. Relaté par le documentaire The Battle of Brazil, le désaccord a donné lieu à une véritable lutte. Selon le réalisateur, les producteurs d’Universal "ne savaient pas ce qu’était Brazil. Ils ne comprenaient pas le film. Pour eux, l’important était d’enlever tout ce qui pouvait déranger le public, en fait, tout ce qui le rendait intéressant". Alors qu’il organisait des projections secrètes pour les journalistes, Terry Gilliam a finalement été contraint de faire trois versions différentes de Brazil. La version des producteurs préfère une fin heureuse et se termine avec l’envolée onirique de Sam et Jill alors qu’ils sont couchés sur le lit, tandis que la version américaine de 132 minutes modifie le début et la fin, suivant les propositions de Sheinberg. Enfin, la version européenne, considérée comme celle du réalisateur, et donc du director's cut est plus longue.
3. Restless de Gus Van Sant (2011)
Cas particulier de cette sélection, ce film méconnu de Gus Van Sant fait suite à sa très belle tétralogie explorant la mort – Gerry, Elephant, Last Days et Paranoid Park. Explorant ici l’amour naissant entre deux adolescents, le réalisateur fait une fois encore interagir Eros avec Thanatos, car la mort n’est jamais loin d’un amour fugace. Sur le Blu-Ray du film, Gus Van Sant en propose une version alternative, sans aucun dialogue. Muette, elle offre une vision expérimentale de l’histoire tragique, jamais sortie au cinéma. Tournées au moment du tournage de Restless, les scènes ont été jouées par les comédiens entre les prises, sans qu'ils ne prononcent un mot. La langueur et la sensation de flottement propres à l'univers du réalisateur atteignent ici une intensité poussée à l'extrême. Cette version inédite n'est donc pas un pur produit de la tendance du director's cut, puisqu'elle n'entend pas proposer une version améliorée du film, mais elle offre tout de même un autre regard sur l'histoire.