Ruben Östlund: des vidéos de ski à la Palme d’or
Lauréat de la Palme d’or en 2017 pour “The Square”, Ruben Östlund a su conquérir grâce à ses satires sociales pleines d’humour et de situations embarrassantes. Face à ses films, le spectateur est forcé d’admettre ses contradictions, et s’identifie presque malgré lui à ces personnages séduisants mais surtout plein de lâcheté. Dans le cadre de sa programmation consacrée au Festival de Cannes, Arte nous fait découvrir les films de ce réalisateur suédois, entre critique du milieu de l’art et drame familial.
Par Camille Moulin.
Ruben Östlund élabore ses films à la manière d’un plat aigre-doux. Saisissants d’un point de vue esthétiques, ses long-métrages exposent avec humour la lâcheté du quotidien, révélée par des situations résolument ordinaires : le vol d’un téléphone, la peur du danger, la manipulation. Ruben Östlund force alors son spectateur à se projeter dans ces situations embarrassantes, l’amenant à se questionner : à la place de ce personnage, que ferais-je ? Maître de la provocation, le cinéaste nous interroge dans nos valeurs et nos croyances, plaçant ce que nous croyons être face à la réalité de ce que nous sommes vraiment.
Un observateur de la lâcheté humaine
Né à Göteborg en Suède en 1974, Ruben Östlund commence sa carrière de cinéaste à 19 ans, sur les pistes des Alpes et de l’Amérique du Nord, en tant que réalisateur de ski freestyle. Là, il apprend la persévérance : la moitié de l’année, de décembre à avril, il filme tous les jours, jusqu’à capter un mouvement ou une posture parfaite. Une obstination dont il fait aujourd’hui preuve lorsqu’il dirige ses acteurs, exigeant de certaines scènes jusqu’à 70 prises. À la fin de la journée, la prestation des comédiens, harassés, n’a plus rien d’un jeu et touche enfin l’authenticité voulue par le cinéaste.
Héritier de Michael Haneke et de Luis Buñuel, Ruben Östlund manie cruauté et humour, imaginant chacun de ses films comme une satire sociale. Prétention du milieu de l’art, amour familial, effet de groupe : il décortique crument le comportement humain, à la manière d’un sociologue. Après un premier film peu remarqué en dehors de la Suède The Guitar Mongoloid (2004), son second long-métrage, le film à sketches Happy Sweden (2008), analyse de manière troublante l’influence du groupe sur l’individu. Thème central de ses films, le phénomène du “bystander effect” (ou l’“effet du témoin”) est illustré dans des scènes souvent crispantes : lorsqu’une situation d’urgence se déclenche dans une foule, plus le nombre de personnes est élevé, moins l’individu a tendance à agir. Le spectateur est alors confronté, à travers des personnages fictifs, à sa propre impuissance.
Un sixième film couronné de la Palme d’or
Dans ces scénarios plein de justesse, le réalisateur incorpore ici et là des situations qu’il a vécu ou dont il a été témoin. En 2011, trois ans avant Snow Therapy – qui sera sélectionné dans la catégorie Un Certain Regard à Cannes –, Ruben Östlund réalise Play : dans un centre commercial, trois jeunes garçons se font racketter, sans violence, par un groupe d’adolescents d’origine africaine. Pour écrire ce scénario, le cinéaste s’était inspiré d’un fait divers suédois : entre 2006 et 2008, une bande d’adolescents immigrés étaient parvenus à mettre au point un système de racket placide, grâce au seul pouvoir de la manipulation.
C’est en 2017, pour son dernier film, The Square qu’il reçoit finalement la Palme d’or à Cannes, ultime consécration du cinéma. Dans cette satire du milieu de l’art contemporain, le réalisateur conte la chute d’un homme, partagé entre l’humanisme qu’il défend et son profond égoïsme. Aux côtés du cinéaste depuis Snow Therapy, son chef opérateur, Fredrik Wenzel, marie les plans larges et fixes à des plans séquence centrés sur un personnage, captant intimement sa démarche ou sa posture. Fixant de magnifiques édifices, sa caméra sublime l’architecture des lieux de tournages, entre les immeubles créés par Charlotte Perriand aux Arcs dans Snow Therapy et le Palais Royal de Suède, transformé par l’architecte Gert Wingårdh, dans The Square.
Retrouvez la sélection des films de Ruben Östlund d’Arte sur la plateforme arte.tv.