Cannes 2023 : Martin Scorsese enflamme le Festival avec Killers of the Flower Moon
Porté par Leonardo DiCaprio, Robert De Niro et Lily Gladstone, Killers of the Flower Moon, film de plus de trois heures entre western, enquête et brûlot politique, marque le retour de Martin Scorsese en grande forme et enflamme cette nouvelle édition du Festival de Cannes.
Par Olivier Joyard.
Killers of the Flower Moon enflamme le Festival de Cannes
Cannes 2023, festival sans limite d’âge ? Après la Palme d’or d’honneur décernée à l’octogénaire Harrison Ford et avant l’arrivée de Marco Bellochio (83 ans) et Ken Loach (86 ans) en compétition, Martin Scorsese, 80 printemps, a fait parler de lui. Attendu par une foule fébrile, long de presque 3h20, Killers of The Flower Moon s’affirme comme son plus beau film depuis Le Loup de Wall Street (2013) et s’installe parmi ses classiques. Pour la première fois, l’auteur de Mean Streets s’attaque au western, genre fondateur du cinéma américain qui a bercé son enfance autant que le film noir. Mais comme le naturel revient au galop, il raconte aussi une histoire de meurtres et de domination masculine, à l’imaginaire mafieux. Par sa longueur, sa construction musicale proche du blues où de nombreux plans semblent tisser une complainte existentielle déchirante, Killers Of The Flower Moon justifie pleinement ses variations de focale, pour raconter l’histoire éternelle de la violence américaine.
Une enquête au pays des Indiens Osage portée par Leonardo DiCaprio et Robert De Niro
Scorsese adapte un classique contemporain de la non-fiction, le livre enquête de David Grann sorti en 2017, auquel il emprunte son titre. L’action se passe dans les années 1920 en Oklahoma. Après plusieurs déplacements forcés à travers l’Amérique, la découverte hasardeuse du plus grand champ de pétrole du pays offre la richesse aux Indiens Osage. Ils possèdent alors le plus haut revenu par habitant du pays, une ironie de l’Histoire qui finit par se retourner contre eux. Le gouvernement fédéral met d’abord en place un système complexe de tutelle offrant à des profiteurs blancs une part des richesses. Mais ce n’est que le début. De nombreux Osage décèdent dans des circonstances violentes, sans que la police corrompue n’intervienne. Le livre racontait l’enquête du FBI – qui vivait alors ses premières années – à travers l’un de ses agents. Si ce personnage est présent dans le film, Scorsese préfère emprunter un chemin moins balisé en s’intéressant à un vétéran de l’armée américaine, Ernest Burkhart (Leonardo DiCaprio), qui reprend le fil de sa vie auprès de son oncle William Hale (Robert De Niro), un riche propriétaire terrien aux méthodes douteuses. Deux blancs au pays des indiens, deux colons d’un nouveau genre.
Killers of the Flower Moon : une réflexion amère sur la cupidité et le racisme
Arrivé à Osage, Burkhart se marie à Molly (Lily Gladstone), une Indienne dont la famille possède des puits de pétrole. Il est sincèrement amoureux, mais son oncle lui fait comprendre que le décès de sa femme arrangerait les finances de la famille, puisqu’il récupérerait son magot. S’enclenche une saga de mort et d’argent, un véritable génocide dont Ernest est l’un des rouages. Les Osage tombent comme des mouches, William Hale commandite des meurtres auxquels son neveu participe avec une forme de déni plus ou moins vivace, avant que l’étau ne se resserre sur Molly. Killers of The Flower Moon se déploie comme un spectacle irrésistible en même temps qu’une réflexion amère sur la cupidité comme fondement du rêve américain, ce détournement des idéaux de démocratie et de justice façonné par la suprématie blanche. DiCaprio et De Niro appuient sur la pédale tragique avec une détermination qui force l’admiration. La comédie surgit parfois, mais le fond reste habité par les flammes et le sang.
Martin Scorsese propose un western d’un nouveau genre
Suivant les traces des western tardifs des années 1960 et 1970 (Little Big Man d’Artur Penn, Les Cheyennes de John Ford) qui reconnaissaient les violences atroces commises contre les Amérindiens, Scorsese adopte un point de vue méditatif. Si les héros du film sont des blancs incarnés par DiCaprio et De Niro, le cinéaste des Affranchis en fait des bourreaux dont la violence est impardonnable en même temps que des figures de cinéma fragiles qu’il faut aimer. Il s’attache aussi à soigner les personnages amérindiens (géniale Lily Gladstone, aussi bien placée que ses congénères dans la course aux prochains Oscars) et à scruter leur terre avec amour, même si le film qui emprunterait radicalement leur point de vue reste à faire. Scorsese n’en aurait pas été capable : Killers of The Flower Moon reste une expression de culpabilité (thème scorsesien s’il en est) qui tente, non pas de réparer le mal qui a été fait, mais d’en imprimer puissamment les images. Dans la scène finale, le cinéaste apparait lui-même à l’écran. En dressant la morale noire de cette histoire au pays du roi dollar, il offre à ce film attachant, sincère et droit, sa profondeur définitive. Et sa brûlante actualité.
Killers Of The Flower Moon de Martin Scorsese, avec Leonardo DiCaprio, Robert De Niro, Lily Gladstone. Sortie le 18 octobre.