16 août 2023

Béatrice Dalle : pourquoi l’actrice punk fascine-t-elle autant ?

Alors que Béatrice Dalle est l’affiche du film Le bonheur est pour demain de Brigitte Sy, Numéro revient sur la vie, chaotique et fascinanteet la carrière exigeante d’une actrice hors-norme, qui infuse le cinéma français de son aura rock’n’roll.

En août dernier, dans le troublant et très métaphysique La Bête de la jungle, l’actrice Béatrice Dalle, 59 ans, incarnait une physionomiste de club envoûtante parée d’une cape Saint Laurent qui contait, de sa voix rauque et sexy, les aventures d’un couple qui peine à s’aimer. En novembre 2023, on retrouvait ce timbre pénétrant et ténébreux en voix off du documentaire Béatrice Dalle, à prendre ou à laisser, disponible sur le site de France TV, qui raconte la vie chaotique et fascinante de la comédienne. 

 

Ce mercredi 31 janvier 2024, l’actrice est à l’affiche du film carcéral, romantique et émouvant, Le bonheur est pour demain aux côtés de Laetitia Casta. L’occasion de revenir sur l’existence et la carrière d’une artiste hors-norme, qui infuse le cinéma français de son aura rock’n’roll. 

 

1. Béatrice Dalle est l’anti nepo baby

 

Contrairement à de nombreuses stars de la jeune génération (Lily-Rose Depp, Margaret Qualley), Béatrice Dalle ne vient pas du tout d’un milieu artistique ou aisé. Fille d’un enfant de la DDASS, ancien fusilier marin devenu mécanicien et d’une mère au foyer, Béatrice Françoise Odona Cabarrou, née à Brest en 1964, grandit dans une cité HLM du Mans, dans un contexte modeste, ennuyeux et tendu. La jeune fille ne s’entend pas avec ses parents, qu’elle trouve racistes, voire « fachos », et désire plus de liberté. Elle a aussi du faire face, à 6 ans, aux attouchements de son grand-père. 

 

Adolescente rebelle, elle fugue, et dit avoir l’impression d’être née adulte. « Je n’écoutais pas ce qu’on me disait, je n’écoutais que moi et ça n’a pas changé jusqu’à aujourd’hui« , confiait-elle au Monde en 2020. Un an plus tôt, la comédienne ténébreuse avouait au micro de France Inter : « Il y a eu un drame (avec mes parents, ndlr). Comme je voulais me sauver sans qu’ils s’en rendent compte, avec une copine on a mis des trucs dans leurs verres pour qu’ils s’endorment et en fait ils l’ont vu, et ça les aurait tués s’ils avaient bu. Donc on m’a déjà foutue en hôpital psychiatrique pour tentative de parricide. »

2. L’actrice de 37°2 le matin a été découverte dans la rue

 

Béatrice Dalle n’a pas encore 15 ans quand elle débarque à Paris des rêves plein la tête. Elle vit dans la rue, fréquente le milieu punk, sort aux Bains Douches, adore les concerts (notamment des Bérurier Noir) et forcément, sa beauté punk tape dans l’œil des Parisiens. Crinière noire corbeau, bouche démesurée, regard de sorcière… elle incarne à la perfection les années 80, décadentes et sauvages. La légende veut qu’à 19 ans, alors que la jeune femme tout juste mariée au peintre Jean-François Dalle fait la manche sur les Champs-Élysées, elle attire le regard d’un mannequin nommé Rudy Verwey qui lui propose de la présenter à son agence. 

 

La suite ? Un photographe la fait poser pour la une du magazine Photo Revue et l’agent Dominique Besnehard la contacte. Elle est d’abord réticente à faire du cinéma, mais elle passe des auditions et décroche, en 1986, face à Jean-Hugues Anglade un rôle dans le film culte 37°2 le matin de Jean-Jacques Beineix. Elle y incarne une Betty inoubliable, à la sensualité explosive, dont les looks de pin-up sont toujours postés sur Instagram aujourd’hui. Sa carrière est lancée. Hollywood l’appelle. Elle ne répond pas, expliquant qu’elle ne parle pas anglais. Ici se niche déjà le mythe Béatrice Dalle : une actrice qui est tout sauf un objet ou une lolita à la merci des producteurs, plutôt une artiste farouche qui se refuse autant qu’elle (se) donne.

3. Béatrice Dalle : des rôles trash et des propos cash

 

L’actrice proche de la maison Saint Laurent a joué dans peu de films commerciaux, mais ses choix artistiques exigeants et judicieux, des long-métrages anticonformistes aux univers forts et souvent décalés ou trash (signés Jim Jarmusch, Claire Denis, Olivier Assayas, Christophe Honoré, Michael Haneke, Abel Ferrara, Virgnie Despentes, qui est sa grande amie, et Gaspar Noé), parlent pour elle. Mais ce sont aussi ses propos sans filtre ou trash qui ont participé à l’ériger en icône punk. 

 

Bien avant le mouvement #MeToo et l’enquête judiciaire ouverte contre Patrick Poivre d’Arvor, Béatrice Dalle exposait les travers du présentateur alors qu’elle était l’invitée du journal de 20 heures en direct sur TF1, en 1992. Invitée dans le cadre de la promotion du film La Belle Histoire de Claude Lelouch, l’actrice est interrogée par PPDA sur un vol de bijoux – qu’elle avait caché dans ses cuissardes – pour lequel elle a été condamnée, alors qu’elle avait prévenu ne pas vouloir aborder ce sujet, en amont. Elle répond alors au journaliste : « Et vous, est-ce que vous regrettez certaines lettres que vous m’avez envoyées ? Et dont je ne vous aurais jamais parlé si vous ne m’aviez pas posé cette question, alors que l’on vous avait demandé avant de vous taire ? »

4. Argent, sexe, drogue… Des interviews sans tabou

 

Lors de ses – rares – interviews, l’indocile Béatrice Dalle aborde des sujets souvent tabous comme l’argent, la drogue – elle avoue avoir été accro à l’héroïne pendant 10 ans – ou le sexe. Elle a notamment confié à Léa Salamé lors de l’émission Stupéfiant ! sur France 2 : « Je suis à moins mille sept cents balles sur mon compte, j’ai pas d’appart, j’ai pas de bagnole, j’habite chez un pote. Moi, je ne fais que des films indépendants. Je ne fais que du théâtre subventionné. J’ai jamais une thune. » 

 

Plus provocatrice, la comédienne avait déclaré, en 2017, dans les colonnes de Libération, avoir déjà mangé un bout de cadavre humain. « Ça n’avait absolument aucun goût. Comme on avait pris beaucoup de drogues, ma copine et moi, peu importe ce qu’on aurait mangé, on n’en aurait eu aucun souvenir. (…) Moi, c’était un petit bout d’oreille, trop cartilagineux pour avoir un goût particulier. Ma copine était étudiante en médecine. Dans son apprentissage, elle prenait des cours de dissection et je l’ai accompagnée une ou deux fois. (…) Je suis prête à tout expérimenter, sinon la vie m’ennuie. Ce qui me tient à cœur, c’est de ne pas atteindre à l’intégrité physique et morale des gens. A partir de là, je fais ce que je veux de ma vie. »

5. Les amours tumultueuses de Béatrice Dalle, de Rupert Everett à JoeyStarr

 

Le peintre Jean-François Dalle, l’acteur Rupert Everett, l’avocat Arno Klarsfeld, Jim Jarmusch ou encore le rappeur JoeyStarr, qu’elle a failli épouser… La vie amoureuse mouvementée de Béatrice Dalle a souvent fait la une des tabloïds. Mais celle qui a été la plus décriée reste son histoire avec Guénaël Meziani, un homme incarcéré pour avoir violé et séquestré l’une de ses anciennes compagnes. Après l’avoir rencontré dans une prison de Brest, sur le tournage du film Tête d’or de Gilles Blanchard, elle l’épouse en 2005 (en prison) avant de divorcer en 2013 de cet homme devenu violent envers elle après sa sortie de prison. 

 

Celle qui n’a pas eu d’enfant et qui n’hésite par à fréquenter des hommes plus jeunes ou naviguant en dehors de son milieu (comme un professeur de MMA) incarne aujourd’hui la liberté et l’indépendance. Une forme d’intransigeance et de contestation rare dans le cinéma français. Celle qui ne cesse de déclarer son amour pour Kurt Cobain – elle lui rendra hommage lors du festival du Printemps de Bourges 2024 – et pour le Christ a d’ailleurs fait encrer sur son bras une phrase de son idole, Pasolini, qui en dit long sur son statut d’éternelle marginale : “Mon indépendance qui est ma force induit ma solitude qui est ma faiblesse”. 


Le bonheur est pour demain (2024) de Brigitte Sy, avec Béatrice Dalle, Damien Bonnard et Laetitia Casta, actuellement au cinéma. Béatrice Dalle, à prendre ou à laisser (2023) d’Élise Baudouin, disponible sur le site de France TV.