Albane Cleret, la business woman chez qui les stars se bousculent à Cannes
À l’occasion de l’ouverture du 75e Festival de Cannes, rencontre avec Albane Cleret, l’entrepreneure qui convie, sur sa terrasse, les personnalités incontournables des industries du cinéma, du luxe et même de l’automobile à parler business…
Propos recueillis par Chloé Sarraméa.
La mémoire d’Albane Cleret renferme les secrets les mieux gardés de Cannes. Et les quelques mètres carrés de sa terrasse aussi. Ouverte pendant toute la durée du festival, depuis vingt ans déjà, elle accueille un restaurant, un bar et même des installations inédites – dont une cascade de champagne Moët et Chandon ! – sur le toit de l’hôtel JW Marriott. S’imposant comme l’espace privé le plus festif et désirable de la Croisette, il a vu passer une panoplie de stars à qui Albane Cléret garantit la plus stricte intimité, résistant à la demande croissante des marques qui la sponsorisent de rendre ses soirées instagrammables. Ainsi, durant l’effervescence du Festival, près de 800 personnes par jour se bousculent sur sa terrasse, rivalisant – Cannes oblige –, de désirs et d’exigences que la propriétaire s’efforce de combler.
Devenue très amie avec certaines des personnalités qu’elle invite, dont Isabelle Adjani et Robert Pattinson, celle qui a arrêté l’école après l’obtention de son brevet des collèges quelque part en Picardie a fait de sa vie une success story. La grand-messe du cinéma mondial génère 40% du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise d’évènementiel Albane Cleret Communications. Avant d’accueillir sa première soirée suite à l’ouverture de la 75e édition du festival, la business woman chez qui les stars se bousculent a dégagé un petit moment dans son emploi du temps très bousculé pour nous accorder cet entretien.
Numéro : Vous fêtez votre 21e année au Festival de Cannes. Qu’est-ce qui vous ferait le plus plaisir sur votre terrasse pour cette édition ? La venue de Diam’s, peut-être, qui présente un documentaire sur sa vie…
Albane Cleret : On ne sait pas du tout si Diam’s viendra ! Je n’organise pas uniquement des événements autour de célébrités sur la terrasse… mais beaucoup d’autres rendez-vous d’affaires, un déjeuner pour la marque Ralph Lauren, un cocktail sur un bateau, un dîner Louis Vuitton, un autre pour la maison Dior… Peu importe le nombre de célébrités que j’accueille parmi mes invités, mon objectif est que tout le monde soit content et garde de bons souvenirs de son passage.
En parlant de souvenirs, quelle est la demande la plus folle que l’on vous ait faite ?
Je pense que c’est celle d’installer, en plein festival, une voiture sur le toit de l’hôtel JW Marriott – ce qui n’est évidemment pas possible puisqu’il faudrait utiliser des grues ! Il est arrivé aussi qu’on me demande de faire livrer, à trois heures du matin, dix-sept cheeseburgers avec frites. Ou encore, de venir avec un labrador dans le lounge… L’acteur Nick Nolte m’a aussi demandé de pouvoir rester sur place toute la nuit, pendant les heures de fermeture, pour pouvoir passer un moment au calme et pouvoir rester tranquillement discuter avec son fils. Je suis donc partie me coucher et, à 6 heures du matin, le personnel d’entretien est tombé sur eux ! [Rires.] J’ai d’autres demandes atypiques, comme celles de stars qui veulent passer par l’entrée de service, un accès souterrain…
Lesquelles ?
Eh bien, si Sylvester Stallone ou Robert Pattinson passent par la porte d’entrée, Leonardi Di Caprio, lui, se cache. Ça dépend des tempéraments et des habitudes de chacun…
À l’ère d’Instagram, comment fait-on pour garder confidentiel ce qui se passe dans un dîner privé ?
Depuis que je tiens cette terrasse, j’ai toujours veillé à ce que les gens que je reçois soient protégés du regard des autres, j’ai toujours empêché même une simple photo… mais c’est vrai qu’aujourd’hui, ce n’est plus possible. Pour échapper aux réseaux sociaux, il faudrait vivre seul sur une île avec des livres et son âme sœur. Même les présidents et les grands patrons du CAC 40 les utilisent pour communiquer… on a vu toute l’importance qu’ils ont prise au moment des élections présidentielles…
Justement, l’arrivée de Brut et de TikTok – des plateformes disponibles sur les réseaux sociaux – en tant que nouveaux partenaires officiels du Festival impacte-t-elle votre business ?
Je travaille déjà depuis trois ans avec Facebook et Instagram. Nous découvrirons tous ensemble ce qui va se passer avec la venue de TikTok. Concernant Brut, Guillaume Lacroix et Renaud Le Van Kim sont venus me voir lorsqu’ils ont créé leur média. Ils n’étaient pas connus et souhaitaient que je les mette en avant sur ma terrasse. Je l’ai fait : je trouvais le concept génial et appréciais qu’ils produisent des documentaires sur des sujets comme la diversité dans le cinéma. Et ils sont restés fidèles.
Certains s’inquiètent, en revanche, de la nomination d’Iris Knobloch, l’ex-patronne de Warner Europe, à la tête du Festival dès l’an prochain…
Iris a tout pour réussir à ce poste : du charisme, une culture cinématographique et de l’entregent. Elle parle couramment anglais, allemand et français, elle a travaillé avec des majors…
Justement, certains craignent le conflit d’intérêts, pas vous ?
Il faut laisser aux personnes nommées à des postes décisifs les moyens de faire leurs preuves. L’arrivée d’Iris est fantastique : elle connaît tout le monde et je suis certaine que le duo avec Thierry Frémaux sera parfait et détonant ! Nous exerçons des métiers où la critique est très facile. Vous travaillez dans la mode, vous le savez, non ? Et c’est d’ailleurs très français.
Vous avez des détracteurs ?
Quand j’ai commencé, ma terrasse était installée sur le palais des Festivals. Puis j’ai quitté le lieu pour le toit du JW Marriott et les gens ont pris des paris : “Elle va se planter, c’est trop grand ! Comment va-t-elle faire venir des équipes de films pendant la journée ?” Finalement, tout le monde se bat pour venir !
En 2012, vous annonciez un chiffre d’affaires d’un million d’euros. Il est passé à trois millions en 2018. À quoi est due cette expansion ?
J’ai porté cette agence comme mon deuxième enfant, d’ailleurs, je l’ai créée quatre jours avant la naissance de ma fille ! J’ai toujours été extrêmement honnête vis à vis des gens avec lesquels je travaille, qu’ils soient producteurs de cinéma ou appartiennent à des maisons de mode. Et je n’ai rien lâché sur mon degré d’exigence. Ainsi, le chiffre d’affaires a augmenté d’année en année même si l’on a subi les dommages collatéraux du Covid-19… les industries du cinéma, de la mode et du luxe dépendent évidemment de l’économie mondiale. Un conflit gravissime fait actuellement rage aux portes de l’Europe et cela freine les investissements : si l’on entre en guerre, les gens ne voudront plus aller au cinéma, tout va augmenter…
Des investisseurs russes vous ont-ils fait défaut cette année ?
C’est un coup dur pour certaines maisons de luxe présentes au Festival. Elles déploient de gros moyens pour que leurs invités russes et chinois deviennent des gros clients, et s’ils ne viennent pas, elles voient bien sûr leur business réduit. De mon côté, et c’est paradoxal car, comme vous le remarquiez, de nouveaux venus sont désormais présents comme Campari, TikTok et Brut, j’ai plus de difficultés pour monter une production à un million d’euros. Cela signe peut-être la fin d’un modèle qui n’est plus dans l’air du temps.
Les soirées des Oscars vous font-elles rêver ?
Mes rêves sont bien plus simples : être sur un bateau au milieu de la mer, sur une moto sur une route ensoleillée ou dans une voiture de collection ! [Rires.] Par contre, j’aime ce show must go on à l’américaine : ils font des speechs impeccables sans papier, c’est très fluide, les tenues sont incroyables… Je ne pourrais pas dire que ça ne m’attire pas !
Le procès opposant Amber Heard et Johnny Depp fait rage aux États-Unis…
C’est compliqué de s’exprimer là-dessus. Qui suis-je pour juger l’un ou l’autre ?
Vous pouvez néanmoins juger sa médiatisation.
Certes, les Oscars exercent sur moi une certaine fascination, mais beaucoup de choses dans le système américain ne me font pas rêver. En l’occurrence, je ne trouve pas terrible la médiatisation de ce procès : on parle de violences et on les surexpose. Ça me dérange. Qu’est-ce qu’on fait quand des femmes se font tabasser dans la rue ou agresser par leurs époux en plein confinement ?
Lorsque vous étiez jeune, vous avez changé de prénom après avoir rencontré, dans un rallye, une belle jeune fille nommée Albane. Pensez-vous, parfois, à ce qu’elle est devenue ?
Je me dis surtout que c’est drôle de l’avoir fait en l’honneur d’une personne dont j’ignorais même le nom de famille ! J’avais seize ans et j’en ai quarante-neuf aujourd’hui, c’est impossible de savoir où elle est à présent…
Reste-t-il de la place, dans la vie que vous menez aujourd’hui, pour la jeune Carole élevée en Picardie ?
La petite Carole est celle qui me fait totalement douter de moi sur beaucoup de points. Elle a souvent été dépassée par la Albane qui voulait prouver à ses parents – ou à je ne sais qui – qu’elle était capable de tout. C’est évident qu’il y a une dualité entre ces deux personnes. J’étais une petite fille rondelette qui a grandi à la campagne, la gamine que les gens trouvaient mignonne, rigolote et pétillante. J’ai voulu me transformer en working girl, sensuelle à une époque, qui voulait réussir… Tout ça en regrettant, parfois, de ne pas avoir été un garçon…
On dit beaucoup de vous que vous êtes très influente…
Je suis un peu insecure sur certains points, je ne serais pas capable de me qualifier ainsi…
Certains jeunes acteurs ont-ils réussi grâce à vous ?
Disons que je permets à de jeunes acteurs de faire des rencontres. En suggérant, par exemple, à une marque pour laquelle j’organise un dîner à Paris de les inviter. À Cannes, mon lieu crée des ponts entre des personnes de la mode, de la joaillerie, de l’industrie automobile, du voyage et du cinéma. Il faut mélanger les genres : c’est comme ça que le business se fait. Pour le tournage d’un film, on a besoin de voitures : j’ai présenté les gens de BMW à Dimitri Rassam [producteur et fils de Carole Bouquet], qui travaillait sur Le Petit Prince [2015]. Grâce à ça, la voiture initialement dessinée est devenue une BMW… Aujourd’hui, les membres de Kourtrajmé [collectif de cinéastes, dont Kim Chapiron et Ladj Ly, né dans les années 90] m’envoient des messages me disant qu’ils n’oublieront jamais comment je les ai accueillis à l’époque où ils n’étaient pas connus et pas vraiment invités aux événements cannois.
Votre plus grande angoisse est-elle de perdre votre téléphone ?
Plutôt qu’il arrive quelque chose à ma fille ! Mais oui, perdre son téléphone, c’est très ennuyeux… On est tous addicts. Alors, je fais toujours attention de ne pas le laisser dans le taxi. Et je fais des sauvegardes ! Pendant le festival, allumer son smartphone à 8 heures du matin et lire mille SMS en espérant qu’ils apportent une bonne nouvelle : c’est plutôt ça l’angoisse.
La Terrasse by Albane est ouverte toute la durée de la 75e édition du Festival de Cannes sur le toit de l’hôtel JW Marriott.