Walter De Maria dévoile une nouvelle œuvre par-delà la mort
La Gagosian Gallery présente au Bourget une installation grandiose du maître du land art, finalisée après sa mort en 2013.
Par Thibaut Wychowanok.
Si Walter De Maria nous a quittés, le mythique artiste américain parvient à produire encore aujourd’hui de nouvelles œuvres. Une gageure, d’autant qu’on les découvre toujours aussi monumentales et fascinantes. On doit ce coup de force à la Gagosian Gallery qui a finalisé, en collaboration avec la succession de l’artiste, une œuvre initiée en 1993 par Walter De Maria, mais jamais terminée (les mots “Truth” et “Beauty” devaient encore être gravés sur le granit). Enfin, jusqu’à présent… puisque Truth / Beauty et ses 24 sculptures en acier et granit se laissent désormais contempler jusqu’au 20 avril au sein du vaste espace du Bourget.
L’installation a beau avoir été finalisée post-mortem (ce qui n’est pas sans poser de questions), elle n’en reste pas moins du pur De Maria. Dès les années 60, le Californien s’impose comme l’une des figures majeures du land art, du minimalisme et de l'art conceptuel. Son vocabulaire, à l’œuvre dans l’installation du Bourget, associe alors monumentalité des installations, usage fréquent du métal et de formes géométriques répétées à l’envi, et jeu d’une précision mathématique avec l’architecture ou le paysage.
Au Bourget, la nouvelle installation ne déchaîne pas les éléments, mais convoque tout autant le sublime.
Son œuvre la plus connue,The Lightning Field, achevée en 1977, consiste ainsi en l’installation de 400 poteaux en acier inoxydable dans le désert du Nouveau-Mexique. Régulièrement répartis sur un kilomètre, ils forment un champ de paratonnerres que les visiteurs ne peuvent découvrir que par groupe de six, en passant vingt-quatre heures abandonnés sur les lieux, attendant patiemment que les éclairs se déchaînent (ce qui était somme toute assez rare, confient les connaisseurs).
Une expérience du sublime
Au Bourget, la nouvelle installation ne déchaîne pas les éléments, mais convoque tout autant le sublime, cette passion mêlée de terreur décrite par le philosophe Edmund Burke en 1757 et éprouvée par l’homme face à une nature aux manifestations puissantes, ce sentiment de sidération et de solitude face à ce qui est plus grand que lui. L’œuvre en granit et métal n’a rien de naturel, mais forme pourtant, par bien des aspects, un paysage (un vaste mur bleu évoque d’ailleurs le ciel).
Et si la description de l’œuvre tient de la pénible notule scientifique, loin de la beauté fascinante qui émane de l’objet, elle rend bien compte de la perfection mathématique et absolue de l’ensemble : une série de quatorze sculptures réparties en sept paires, composées chacune de deux bases en granit sur lesquelles reposent deux paires de deux barres en acier formant l’une un chevron, l’autre un X, et où sont gravés les mots Truth et Beauty. Les barres de la première sculpture se composent de cinq faces. Puis le nombre de faces augmente par multiple de deux sur chaque paire jusqu’à atteindre 17 faces sur la dernière.
Les vertiges de la contemplation
Le spectateur, qui peut se déplacer au sein de l’installation, fait donc l’expérience d’une œuvre massive et imposante qui se multiplie, suite mathématique précise et interminable en théorie. Il peut alors facilement être pris d’un vertige grisant face à cette beauté totale, parfaite, lisse en surface, comme glissant vers un infini qui le dépasse. Pris au piège du sublime, il l’est tout autant lorsqu’il fait face aux deux concepts gravés dans le granit, “Beauté” et “Vérité”, terribles absolus inatteignables pour l’esprit humain.
Truth / Beauty de Walter De Maria à la Gagosian Gallery, 26, avenue de l’Europe, 93350 Le Bourget. Jusqu’au 20 avril, www.gagosian.com