Who is Mahmood, the Italian pop star who conquered the world?
Pour le nouveau Numéro art, le chanteur italien Mahmood s’est glissé dans la peau du dandy et homme de lettres Robert de Montesquiou dans une mise en scène de l'artiste Francesco Vezzoli. Rencontre avec le phénomène.
Propos recueillis par Thibaut Wychowanok.
Numéro art : Francesco, nous avons commencé à évoquer votre projet avec Mahmood il y a presque deux ans. Au-delà de son statut de pop star, que représente-t-il pour que vous ayez ce désir tenace de le mettre en scène ?
Francesco Vezzoli : La pop music a toujours été un peu ma madeleine de Proust. Je parlerais même de “malédiction” de Proust tant la musique populaire, la culture populaire en général, me travaille constamment. La pop music en Italie, tout comme en France, a souffert de l’hégémonie anglo-saxonne après la Seconde Guerre mondiale. L’Italie ne réussissait à exporter ses artistes que lorsque leur musique était associée d’une manière ou d’une autre à l’opéra, c’est-à-dire à la dernière grande époque musicale de l’Italie. Je sais bien que d’autres formes ont existé – je pense notamment à la musique populaire napolitaine –, mais dans ce monde où tout a toujours tendance à être simplifié, l’opéra demeure la référence musicale ultime quand on pense à l’Italie. Je nomme cela le “théorème Bocelli”. Andrea Bocelli a conquis le monde avec un style largement inspiré de l’opéra et de sa tradition mélodramatique.
Le succès mondial de Mahmood vient-il démentir ce théorème, ou au contraire le confirmer?
F.V. : Mahmood est une figure musicale passionnante justement parce qu’il rend contemporain le style de l’opéra. Il embrasse une musique urbaine, avec ses racines méditerranéennes et arabes, qu’il associe à la manière de chanter de l’opéra. Mahmood module sa voix et peut passer d’un falseto à un bel canto. Il me fait penser à Maria Callas et à son obsession pour ce bel canto, cette recherche du timbre, ce mélange de virtuosité vocale et d’utilisation d’ornements, de nuances et de vocalises sur une tessiture très étendue. Plus important encore, les thèmes qu’il développe dans sa musique sont mélodramatiques. Son succès Rapide est un long monologue exprimant la douleur d’un homme après avoir perdu son amour. Ce chant du désespoir masculin et des sentiments profonds est propre à la culture de l’opéra. Et je ne trouvais jusqu’ici que peu d’exemples d’une affirmation du sentiment “masculin” mélodramatique dans la pop music…
“Être sentimental est bien plus radical qu’être gay. Sur Instagram, il y a plus de biceps que de larmes.” Francesco Vezzoli
Mahmood, vous avez affirmé il y a quelque temps que vous étiez 100% italien. Seriez-vous le symbole de l’Italie contemporaine ?
Mahmood : On a très souvent essayé de définir ma musique ou de la mettre dans une catégorie. Pour ma part, j’ai nommé ce que je fais : “Morocco Pop”. Parce que ce n’est ni de la pop, ni du hip-hop, ni du trap. Le Morocco Pop n’existe pas. Ce terme incarne mon envie d’échapper aux schémas existants et de laisser libre ma musique. Beaucoup de gens ont voulu de faire de moi un symbole politique en Italie, de par mes origines, etc. Mais je me contente de représenter les gens qui me ressemblent, une jeunesse qui travaille dur pour réaliser son rêve dans ce pays. Je suis né dans le quartier de Gratosoglio, au sud de Milan. J’ai grandi seul avec ma mère et, les dernières années, nous n’avions pas beaucoup d’argent. Ma mère ne trouvait pas de travail et continuait pourtant à me soutenir. Elle croyait en moi et en ma musique. Quand j’avais 3 ans, elle me retrouvait devant la télévision en train de chanter et de danser. La musique a toujours été ma passion. Et maintenant que le succès est au rendez-vous, je veux juste rendre à ma mère tout ce qu’elle m’a apporté pendant vingt-sept ans.
Quand avez-vous commencé la musique ? Cette technique lyrique dont parle Francesco, est-elle innée ou l’avez-vous étudiée ?
M. : J’ai commencé à étudier la musique et à écrire des chansons à 12 ans. Les cours de piano et de chant m’ont familiarisé avec les techniques lyriques. Mais le premier CD que j’ai acheté était The Score des Fugees. Faire la première partie du concert de Lauryn Hill [en 2019] a été pour moi la réalisation de l’un de mes plus grands rêves. Mes autres modèles étaient Stevie Wonder, et Prince bien sûr. Je n’ai écouté que plus tard les grands chanteurs de la musique italienne classique comme Lucio Dalla, Lucio Battisti, Paolo Conte – un vrai génie. Grâce à ces musiciens, j’ai appris à façonner le squelette d’une véritable chanson italienne et j’ai pu commencer à écrire pour des artistes de mon pays comme Marco Mengoni, Elodie, des rappeurs…
En quoi la musique arabe vous a-t-elle influencé ?
M. : Ma mère était très portée vers le classique, alors que mon père écoutait de la musique égyptienne et des chanteurs arabes. J’ai très tôt mixé ces deux genres dans ma tête. Sherine était la chanteuse préférée de mon père. Je chante encore très souvent Sabri Aleel, l’une de ses chansons très populaire en Egypte. Et mon titre Soldi contient une phrase en arabe que mon père me disait toujours quand je jouais enfant avec mes cousins : “Il est temps de rentrer à la maison.” Je souhaitais l’intégrer pour me rappeler à jamais l’image paternelle.
“Nous vivons une époque où nous sommes tous Mahmood et Montesquiou à la fois. Sur Instagram, toute cette vanité, toutes ces paillettes… Les gens ne le savent pas mais cela vient de Montesquiou.” Francesco Vezzoli
Francesco évoquait l’aspect mélodramatique de votre chant et de vos paroles et soulignait combien ce trait était rare chez une star masculine de pop music. La masculinité que vous représentez est loin des stéréotypes du hip-hop par exemple…
M. : La masculinité peut prendre beaucoup de visages. Il est important pour moi de n’en rejeter aucun aspect.
F.V. : Ce que je vais dire est une provocation que j’assume. La masculinité, et l’orientation sexuelle plus encore, sont des sujets extrêmement compliqués en Italie. Être sentimental est bien plus radical que d’être gay. Sur Instagram, les gays se comportent exactement comme des hétérosexuels et suivent le même ensemble de valeurs : le culte du corps, le pouvoir, l’argent… Il n’y a pas de place pour la souffrance ou l’émotion. Sur Instagram, il y a plus de biceps que de larmes.
Pour Numéro art, vous avez mis en scène Mahmood à la manière de l’aristocrate, dandy et critique d’art français du xixe siècle Robert de Montesquiou. Il est même photographié devant son portrait réalisé par Giovanni Boldini. Pourquoi établir ce parallèle ?
F.V. : Montesquiou incarne un degré de sophistication ultime qui mêle à la fois la littérature, l’histoire de l’art… et un style vestimentaire extrêmement aristocratique. Je ne pouvais pas trouver plus éloigné de lui qu’un chanteur italien comme Mahmood. J’aime l’idée d’effectuer un glissement entre deux personnages si différents, l’un qui ne porte que des costumes, l’autre qui s’habille en survêtement. Petit, j’étais fasciné par ces installations de fête foraine où vous glissez votre tête dans un trou. Elle apparaît alors sur le corps d’un personnage dessiné sur la palissade. Et quelqu’un prend la photo… Vous êtes devenu quelqu’un d’autre. Mahmood porte le plus beau costume imaginable, tenant une canne comme Montesquiou… Cette fusion crée une iconographie parfaitement contemporaine. Nous vivons une époque où nous sommes tous Mahmood et Montesquiou à la fois. Sur Instagram, toute cette vanité, toutes ces paillettes… Les gens ne le savent pas mais cela vient de Montesquiou. En fusionnant ces deux traditions, je crois avoir réalisé conceptuellement une image juste de notre époque.
Numéro art: Francesco, what is it about Mahmood that made you want to work with him?
Francesco Vezzoli: Pop music has always been my “madeleine de Proust.” I’d even go as far to say my “malédiction de Proust,” because pop music and pop culture in general affect me constantly. Italian pop music, like French, suffered from Anglo-Saxon domination after World War II: Italy only managed to export artists whose music was somehow linked to opera, i.e. Italy’s last great musical era. Obviously there were other forms – Neapolitan music for example – but in a world where everything tends towards simplification, opera remains the ultimate reference when you say “Italy.” I call this the “Bocelli theory” because Andrea Bocelli conquered the world with a style that was largely inspired by the melodramatic tradition of opera.
Does Mahmood contradict or support this theory?
FV: Mahmood is an exciting musical artist precisely because he makes the operatic mode contemporary, embracing urban music, with its Mediterranean and Arab roots, which he sings in the style of opera. Mahmood modulates his voice and can go from a falsetto to bel canto. He reminds me of Maria Callas and her obsession with bel canto, this search for timbre, this mix of vocal virtuosity and the use of ornamentation, nuances and vocalizations over a vast range. But even more than that, the themes he deals with in his music are melodramatic. His hit Rapide is a long monologue expressing the pain of a man who’s lost his love: singing about male despair and deep feelings is a staple of opera. And up till now I hadn’t found many examples of “masculine” melodramatic feeling being expressed in pop music…
“Being sentimental is much more radical than being gay. On Instagram, there's more biceps than tears.” Francesco Vezzoli
Mahmood, you’ve described yourself as 100% Italian. Are you a symbol of contemporary Italy?
Mahmood: People often try to define my music or to pigeon-hole it. I call what I do “Morocco Pop” – it’s neither pop, nor hip-hop, nor trap. Morocco Pop doesn’t actually exist, but the term encapsulates my need to free myself from existing musical classifications and do my own thing. Lots of people have wanted to make me into a political symbol in Italy, because of my origins, etc. But I’m happy just to represent others like me, young people who work hard to make their dreams come true in this country. I was born in Gratosoglio, south of Milan, where I grew up alone with my mother. We didn’t have much money at the end. My mother couldn’t find a job but still supported me. She believed in me and in my music. When I was three years old, she found me in front of the TV singing and dancing. Now I’m successful, I just want to give her back everything she gave me for last 27 years.
When did you start studying music? Is your technique innate or did you learn it?
M: I started studying music and writing songs when I was 12. I learned classical techniques through piano and singing lessons, but the first CD I bought was the Fugees’ The Score. Being Lauryn Hill’s support act [in 2019] was a dream come true. My other role models were Stevie Wonder and Prince, of course. It was only later that I listened to the great Italian singers like Lucio Dalla, Lucio Battisti and Paolo Conte – a true genius. Through them, I learned how to shape a true Italian song and could start writing for other Italian artists like Marco Mengoni, Elodie, and various rappers.
How has Arab music influenced you?
M: My mother was into European classical music, whereas my father listened to Egyptian music and Arab singers. Early on I begin mixing the two in my head. Sherine was my father’s favourite: I still often sing Sabri Aleel, one of her hits in Egypt. My track Soldi has an Arabic phrase my father always used when I was playing with my cousins: “It’s time to go home.” I wanted to include it in the song so that I’d always be reminded of the image of my father.
“We live in a time when we are all Mahmood and Montesquiou at the same time. On Instagram, all that vanity, all that glitter… People don't know it, but it comes from Montesquiou…” Francesco Vezzoli
Your version of masculinity is miles from the stereotypes of hip-hop, for example…
M: Masculinity can take on many different forms. It’s important for me not to reject any aspect of it.
FV: What I’m about to say now is provocation but I’m willling to own it. Masculinity, and sexual orientation even more, are extremely complicated subjects in Italy. Being sentimental is much more radical than being gay. When you go on Instagram, gay Italians behave exactly like heterosexuals and follow the same set of values: body worship, power, money… There is no room for pain or emotion. On Instagram, there are more biceps than tears.
For Numéro art, you’ve styled Mahmood in the manner of French dandy and aesthete Robert de Montesquiou. You’ve even posed him in front of Bolidini’s famous portrait of Montesquiou. Why draw this parallel?
FV: Montesquiou embodied an extreme sophistication that mixed literature, art history and a very aristocratic style of dress. I couldn’t think of anyone more different than an Italian singer like Mahmood. I like the idea of bringing together two such opposites, one who wears only suits, the other only tracksuits. When I was young, I was fascinated by those fairground attractions where you put your head through a cut-out and have your photo taken on someone else’s body. I dressed Mahmood in the most beautiful suit imaginable, holding a cane like Montesquiou’s. This fusion creates a perfectly contemporary iconography. Today we’re all Mahmood and Montesquiou at once, on Instagram there’s all this vanity and glitter… People don’t know it, but that comes from Montesquiou. By merging these two traditions, I’ve created a conceptual snapshot of our times.