Jean-Michel Othoniel réenchante le Petit Palais avec son art de l’émerveillement
Dix ans après sa rétrospective au Centre Pompidou, l’artiste français propose avec son exposition Le Théorème de Narcisse, au sein du Petit Palais et de son jardin, une ode à la beauté, un havre de paix destiné à nous guérir des troubles du temps. Visite guidée.
Par Thibaut Wychowanok.
En 70 œuvres, Jean-Michel Othoniel dessine au Petit Palais un parcours enchanté : sa Rivière bleue de briques miroitantes, dès l’entrée du musée parisien, évoque le vaste chemin pavé du Magicien d’Oz. “Cette idée de mettre en scène le bâtiment, en dialoguant avec la grille dorée, forme une invitation à entrer. Je viens chercher le public dans la rue et je l’accompagne sur un tapis bleu, qui le met lui-même dans une position d’acteur de cette exposition. Le Petit Palais était un lieu conçu pour émerveiller les gens en 1900. J’avais envie de réactiver cet émerveillement, de redonner au lieu ce pouvoir qu’il avait à l’époque de faire rêver son public.” explique l’artiste.
Le voyage sera onirique, les illusions nombreuses dès le seuil. Dans le jardin, les gigantesques Nœuds d’argent, entrelacs parés de perles en Inox, reflètent la colonnade et les fresques dans un geste d’irréalité assumé. “En travaillant sur ce projet, et sur cette architecture du Petit Palais, j’ai vu beaucoup de parallèles entre l’époque 1900 et celle que l’on vit aujourd’hui, notamment dans ce désir de s’abstraire du monde. De retourner à la nature, dans les jardins. En 1900, quand les jardins apparaissent, ce sont des lieux d’émerveillement et de science. Ils sont très contestés dans la civilisation du début du siècle parce qu’ils qui ne participent pas à une société active – les gens qui vont dans les jardins se plongent dans un état de contemplation. En s’abstrayant du monde. Aujourd’hui, nous vivons la même chose : ce retour à la nature, ce besoin de s’abstraire de la ville pour mieux y revenir.”
Surplombant l’escalier en spirale de Charles Girault, sa Couronne de la Nuit rappelle, quant à elle, le célèbre Kiosque des noctambules situé près de la Comédie-Française. À l’intérieur toujours, son Agora forme une grotte de briques argentées – à la fois cachette où s’abriter du tumulte et lieu protégé pour renouer le dialogue collectif. La lumière jaillit toujours, comme un geste profondément spirituel et d’une douceur infinie. Le Théorème de Narcisse, puisqu’il s’agit du nom donné à l’exposition, convoque sur terre un Olympe offert désormais au commun des mortels. Pour l’artiste, ce Narcisse n’est pas l’homme-fleur névrosé se perdant dans son propre reflet, mais une invitation à la sublimation de soi et du monde au sein de leurs réverbérations dans une multitude de surfaces enveloppantes. “Dans Théorème, il y a une référence pasolinienne évidente, et, du même coup, spirituelle. Je crois beaucoup à la force des œuvres d’art, qui nous permettent d’affronter le monde, de nous en abstraire, aussi, pour atteindre un état plus contemplatif. Cette beauté est un accès à la spiritualité, au sacré.”
Le vaste hall du bas révèle une surprise. En 2013, Jean-Michel Othoniel découvre que les formes sur lesquelles il travaille rappellent celles issues des modèles mathématiques du scientifique argentin Aubin Arroyo. De leur discussion sont nés les nombreux Nœuds sauvages qui peuplent l’espace, assemblage impressionnant de perles évoquant l’ADN et l’infinité de ses possibilités. Comme une manière pour l’artiste de renouer avec un certain idéal de la Renaissance où l’art et la science ne formaient qu’un même domaine. Sur les murs, des jeux de briques de verre aux couleurs chatoyantes évoquent une autre référence inattendue, et pourtant chère à l’artiste : les compositions de l’art minimal et conceptuel de Donald Judd ou de Carl Andre. Ici, elles prennent une dimension mystique. Et rappellent que le travail de la matière (le verre de Murano faisant sa renommée internationale) demeure au cœur de cet art du beau. “La beauté, c’est l’imperfection, précise Jean-Michel Othoniel. Je suis très ému par les briques indiennes parce que justement elles sont imparfaites, ce sont des couleurs que je n’arrive pas à maîtriser, elles sont toujours mouvantes. Il y a de l’impureté dans le verre. Il y a un petit accident. Très jeune j’avais déjà travaillé sur cette notion qu’on appelle en espagnol le morbo, qui est la chose étrange qui fait la beauté. Par exemple on dit d’un garçon qui a une oreille décollée qu’il est morbo. Il a une sorte de beauté étrange qu’on trouve beaucoup dans la culture espagnole. C’est du côté de cette beauté que j’aime être. Une beauté qui dérange, de petit détail qui cloche et qui du coup fait que la beauté est encore plus forte.”
Le Théorème de Narcisse de Jean-Michel Othoniel, Petit Palais, Paris. Jusqu’au 02 janvier 2022.