Une épopée de la couleur à la Manufacture de Sèvres
La céramique a toujours été un terrain privilégié d’expression pour les amoureux de la couleur. La Manufacture de Sèvres expose près de 400 pièces qui expriment leur passion de la chromie.
Par Oscar Duboÿ.
Photos Philippe Fragnière.
De Roubaix à Bordeaux, les musées français nous en font voir de toutes les couleurs. Dans le Nord, le musée d’Art et d’Industrie La Piscine témoignait en avril du rôle prépondérant joué par les coloristes dans le graphisme et l’aménagement urbain des années 70. C’est au tour désormais du musée des Arts décoratifs de Bordeaux, de présenter jusqu’en novembre tout un “colorama” à travers l’histoire du mobilier. Hasard ou coïncidence, la Manufacture de Sèvres s’apprête à son tour à révéler la magnifique palette explorée notamment par les céramistes dans une riche exposition, L’expérience de la couleur, organisée en partenariat avec le 40e anniversaire du Centre Pompidou. Cet événement révèlera au public près de 400 œuvres, réparties entre le troisième étage de la Manufacture et le pavillon Pompadour (Sèvres), ainsi que dans la galerie parisienne de la Manufacture.
En effet, l’institution avait beaucoup à montrer, étant l’héritière d’une tradition chromatique très particulière dans l’histoire de la céramique. Peu après sa création en 1740, le bleu impose déjà son empreinte, qu’il s’agisse du cobalt à la profondeur inégalée, ou du céleste, un bleu turquoise voulu par Louis XV pour les pièces de son service personnel. Le rose Pompadour, le vert, le jaune jonquille viendront ensuite compléter une palette qui continue d’évoluer au fil des techniques, grâce à la mise en place d’un véritable laboratoire capable de réaliser toutes sortes d’émaux, du plus brillant au plus minéral, jusqu’à l’orange Sottsass.
Dans les salles thématiques de la Manufacture, ce nuancier se déploie, laissant la place, au troisième étage, à une approche de la couleur à travers quatre axes sensoriels. Qu’elle soit lumière, matière, geste ou espace, elle affiche ici tous ses moyens d’expression, révélés par la sensibilité de différents artistes. L’histoire s’écrit ainsi à travers les œuvres, rendant hommage à ceux qui ont su faire avancer le débat autour de l’abstraction chromatique, comme Josef Albers, Sonia Delaunay ou Yves Klein, jusqu’aux interprétations plus récentes laissées par des artistes contemporains tels que Kristin McKirdy, Daniel Dewar et Grégory Gicquel, ou encore Merete Rasmussen.
Fidèle à cet esprit de transversalité,la directrice de la Manufacture de Sèvres, Romane Sarfati, continue de promouvoir les collaborations avec les artistes et les designers en résidence. Ainsi, le céramiste Emmanuel Boos a conçu des “émaux-thèques” toutes personnelles, tandis que l’artiste d’origine lyonnaise Lionel Estève travaillait sur des surfaces miroitantes. Quant aux créations des duos de designers Doshi Levien, et surtout Scholten & Baijings, elles se sont révélées si judicieuces qu’il aurait été dommage de ne pas les intégrer dans le parcours. Basés aux PaysBas, Stefan Scholten et Carole Baijings se sont fait un nom dans l’univers du mobilier en proposant une esthétique très graphique fondée sur des couleurs douces, que les ateliers ont su transposer, après une multitude d’essais, sur la céramique. “Ils sont arrivés avec leur projet et cette gamme de couleurs pastel, presque éthérées, qui caractérisent leur travail”, se souvient Yves Mirande, directeur du développement culturel et de la communication de la Manufacture. “Pendant deux ans, les artisans ont ainsi essayé de reproduire ces tonalités sur la céramique. Ils présentaient leurs tests aux designers, qui sont venus tous les deux mois à Sèvres pour faire des ajustements. C’est d’ailleurs grâce à ces dialogues que nous nous dépassons à chaque collaboration.” Le résultat est exposé à la Galerie de Sèvres, à Paris : une série de disques et de vases striés, où les jeux de transparence permettent de restituer la subtilité de la palette de Scholten & Baijings, malgré des défis techniques d’envergure : “Il a fallu procéder par superpositions et croisements de couleurs pour en obtenir de nouvelles, à la façon d’un tartan inspiré des ‘plaques d’études’ dont se servent les artisans pour travailler. Sans oublier les dégradés, notamment celui qui va du doré au blanc… Les designers se sont montrés très exigeants et se sont beaucoup investis dans l’atelier”, conclut Yves Mirande. C’est ainsi qu’à Sèvres, de nouvelles couleurs naissent tous les jours.
L’univers coloré de Scholten & Baijings, jusqu’au 10 novembre à la Galerie de Sèvres, 4, place André- Malraux, Paris I er.
L’expérience de la couleur, du 12 octobre 2017 au 2 avril 2018, à la Manufacture de Sèvres, 2, place de la Manufacture, Sèvres (92).