Quand le textile devient œuvre d’art : Hella Jongerius à Lafayette Anticipations
Pour sa nouvelle exposition à la fondation Lafayette Anticipations, Hella Jongerius nous invite au cœur de sa production de textile. Pendant tout l’été, la Néerlandaise et son équipe transforment l’ensemble du bâtiment en atelier de création, rythmé par l’usage de trois métiers à tisser inédits.
Par Matthieu Jacquet.
Des nuées de rose, de bleu, de vert et de noirs parsèment une multitude de fils colorés qui semblent provenir du ciel… Depuis le 7 juin dernier, voilà ce qui habille le hall lumineux du 9, rue du Plâtre. Dans ces méandres de textiles, des morceaux hybrides de différentes épaisseurs et textures – tressés, rembourrés ou effilochés – provoquent une vibration qui frôle l'hallucination visuelle. Dès cette installation monumentale et radicale, l’ambition de la designer Hella Jongerius est annoncée : transformer la fondation Lafayette Anticipations en immense atelier explorant les riches et nombreuses potentialités du fil.
Un projet d’ampleur pour cette créatrice Néerlandaise, riche d’une expérience de plus de 25 ans dans le design textile qui lui vaut aujourd’hui une notoriété internationale. En 1993, la jeune Hella crée le Jongeriuslab, un laboratoire d’expérimentation, de création et de recherche théorique aujourd’hui basé à Berlin. Depuis, elle collabore avec de grands groupes tels que IKEA, KLM ou le studio de création textile Maharam. Il y a deux ans, elle verbalise et diffuse son point de vue sur la création en rédigeant le manifeste Beyond the new avec la théoricienne Louise Schouwenberg : toutes deux y défendent la fragilité croissante des savoir-faire et l’importance de leur valorisation face aux enjeux contemporains.
Présentée jusqu’au 8 septembre, l’exposition Entrelacs, une recherche tissée, illustre avec une grande clarté ces intentions de la créatrice, qui se concrétisent avec la conception de trois métiers à tisser uniques spécialement pour ce projet. Le premier, baptisé Space loom, apparaît dès l’entrée dans la fondation : la designer et son équipe y investissent toute la hauteur du bâtiment, qui se mue un métier monumental de 16 mètres de haut. Au 1er étage, trois personnes actionnent simultanément un deuxième métier, sans couture, en vue de créer des objets textiles en trois dimensions. Avec lui, on découvre l’une des particularités de cette exposition : ouvrir l’atelier au public pour y montrer toute la journée les designers en plein travail. Le métier Jacquard, au deuxième étage, explore quant à lui une technique tout à fait contemporaine : la création de tissages à partir de fichiers numériques, où chaque pixel se transpose en croisure de fil.
Délibérément évolutive, l’exposition-atelier de Hella Jongerius explorera pendant tout l’été les spécificités de ces métiers inédits jusqu’à son dernier jour, où le public pourra apprécier le résultat de ces trois mois de travail entre les murs de la fondation. Si cet ambitieux projet revalorise les nombreuses richesses de la création textile en passant par le concret de la technique, le caractère très didactique de son incursion dans le processus créatif pourrait bien provoquer l’effet inverse, laissant de côté des spectateurs non initiés habitués à un parcours plus classique.
L’exposition Hella Jongerius, une recherche tissée est à voir à la fondation Lafayette Anticipations jusqu’au 8 septembre, Paris 4e. Entrée libre.