Venice Biennale: discover the French Pavilion of Laure Prouvost
L’artiste qui représente la France à la Biennale de Venise cette année est en couverture du nouveau Numéro art. Née à Croix en 1978, Laure Prouvost s’installe très jeune à Londres. Pari gagnant, en 2013, l’artiste est récompensée du prestigieux Turner Prize. Ses vidéos et installations ont déjà des allures de contes de fées dysfonctionnels et loufoques multipliant les jeux de langage. Elle rend ainsi hommage à son grand-père (fictif?) disparu en creusant un tunnel jusqu’en Afrique. Après son exposition au Palais de Tokyo en 2018, elle représente la France à la Biennale de Venise avec la commissaire Martha Kirszenbaum. On la retrouve sur la lagune accompagnée de son animal fétiche : la pieuvre.
En écrivant ces lignes j’essaie de me rappeler la première fois que j’ai rencontré Laure Prouvost – sans y parvenir. Ce que je sais, c’est que je connaissais sa voix avant de la connaître. Je l’avais entendue en tant que narratrice de l’une de ses vidéos lors d’une projection londonienne, et je m’étais demandé alors si je ne l’avais pas déjà rencontrée quelque part. En l’écoutant, j’avais en effet éprouvé un intense sentiment de “déjà-vécu”, comme si elle m’avait un jour parlé en rêve, comme si je l’avais connue dans une vie antérieure. En l’appelant pour évoquer avec elle son projet pour le Pavillon français à la Biennale de Venise, j’ai été ravie de l’entendre à nouveau. Sa voix est douce, basse, apaisante, pleine d’autorité aussi. Elle me calme instantanément. Je pourrais l’écouter pendant des heures.
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Avant de développer son projet pour le Pavillon français de la biennale, Laure s’est lancée dans un road-trip qui l’a conduite de Nanterre à Venise, en passant par Croix (près de Roubaix), sa ville natale. En chemin, elle a tourné un lm intitulé Deep Blue Sea Surrounding You/ Vois ce bleu profond te fondre, enrôlant au passage douze personnes d’âges et de parcours très divers, chacune possédant un talent particulier (notamment la magie, la danse ou la musique). La troupe constituait ainsi une sorte de cirque ambulant dont les membres étaient unis par leur expérience commune d’une passion particulière. En amont de ce voyage, divisé en plusieurs segments, Laure avait écrit, en collaboration avec d’autres, un scénario qui intercalait différentes “couches” de français, d’anglais, d’italien, d’arabe et de dialecte néerlandophone. L’idée d’entreprendre ce voyage, de partir chercher quelque chose ou quelqu’un et de mélanger fiction et réalité était directement issue de ses précédents travaux.
Laure décrit l’itinéraire qu’elle a imaginé pour son projet de la façon suivante : “Un voyage vers notre inconscient. À l’aide de nos cerveaux logés dans nos tentacules, nous creusons des tunnels vers le passé et l’avenir, en direction de Venise. Suivons la lumière.” L’installation Deep Blue Sea Surrounding You/Vois ce bleu profond te fondre pose la question de la formation de l’identité, depuis le concept d’identité nationale jusqu’à un lieu où cette identité n’existe pas, où le langage, son appropriation et son détournement conduisent à l’éloignement et aux malentendus. Laure Prouvost a également tiré son inspiration du cadre de la biennale : une île envahie par les eaux, submergée quand il pleut, et qui s’enfonce lentement dans la mer. L’artiste conçoit l’exposition comme le corps d’une pieuvre, avec la tête au milieu, et comme une métaphore des origines de notre planète. Elle veut nous placer en immersion dans le ventre d’une créature inconnue, afin de découvrir qui nous sommes. La mer est la métaphore par excellence de l’inconscient, puisqu’elle reste l’un des derniers lieux inexplorés de notre planète, son contenu à peine entrevu restant inaccessible. La question de l’identité, de sa formation à la fois consciente et in- consciente, de son expression, de sa perception par autrui, de ce que veut dire être un autre, ou bien l’Autre – tout cela occupe une place fondamentale dans Deep Blue Sea Surrounding You, qui pose aussi la question de la représentation d’une nation.
Dans ses Exercices de style (1947), Raymond Queneau raconte 99 fois l’histoire d’un homme qui prend le bus, à chaque fois dans un style différent. La plupart d’entre nous effectuons régulièrement les mêmes trajets, empruntons les mêmes rues, faisons nos courses dans les mêmes supermarchés. L’expérience globale semble identique, mais dans les détails de ce que nous ressentons en chemin, elle est différente. Laure décrit l’élan qui l’a poussée à réaliser Deep Blue Sea Surrounding You comme un besoin de mieux comprendre qui nous sommes. Saurons-nous mieux le comprendre en restant en territoire connu, ou en voyageant ? Si nous entreprenons ce voyage vers l’ailleurs, pourrons-nous échapper à nous-mêmes, “sortir de notre esprit” – ou prendrons-nous conscience, une fois arrivés, que nous sommes le produit de l’endroit d’où nous venons ? Même si elle s’appuie sur des comportements et des objets du quotidien, l’œuvre de Laure Prouvost a des allures de conte de fées. Ses histoires sont souvent un peu fantastiques, ou relèvent du mythe, comme si les protagonistes partaient chercher un trésor de l’autre côté de l’arc-en-ciel, un mirage dans le désert, une maison en pain d’épices – pour que s’opère au cours du voyage une sorte de transformation radicale.
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Comme moi, et comme beaucoup d’autres, Laure est à la recherche de quelque chose. Mais, comme moi et comme beaucoup d’autres, elle ne sait pas exactement ce qu’elle cherche, ce qui rend la chose impossible. Chaque fois qu’elle découvre ou apprend quelque chose de nouveau, elle se rend vite compte qu’elle l’a mal interprété, mal compris. Que la surface, l’image, les lettres ou les sons ne sont pas ce qu’ils paraissaient. Et à chaque fois qu’elle parvient à cette conclusion, elle repousse l’image pour découvrir ce qu’il y a derrière, ré- arrange les lettres pour voir ce qu’elles révèlent, et murmure les mots à voix haute pour entendre leurs secrets. Il se peut alors qu’elle ne trouve pas ce qu’elle est venue chercher, mais en général, elle saisit autre chose. Elle m’a raconté que l’idée de Deep Blue Sea Surrounding You était centrée sur le voyage qui l’a conduite à réaliser cette œuvre : un voyage qui n’atteint aucun point culminant, n’a aucune fin concrète, mais nous fait connaître l’expérience d’être avec d’autres que soi, tout au long du chemin.
Deep See Blue Surrounding You/Vois ce bleu profond te fondre, du 11 mai au 24 novembre, Pavillon français, Biennale de Venise.
As I write this, I try to remember the first time I met Laure Provoust, but I can’t. When I called her to discuss her project for the French Pavilion at the 2019 Venice Biennale, I was so happy to hear her voice – soft, low, calming, and authoritative, it instantly soothes me. I could listen to her for hours.
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To develop her project for the French Pavilion, Laure took a road trip from Croix, where she was born, to Venice, and made a film along the way – Deep Blue Sea Surrouding You/Vois ce bleu profond te fondre. She collected 12 people of different ages and backgrounds, each of whom had a special talent – e.g. magic, dance, music – to create a sort of travelling circus, and also co-wrote a multi-lingual script. The idea of taking a journey, of searching for something or someone, and of mixing reality with fiction, have evolved in Laure’s previous work.
Laure describes her vision of this journey as “a trip to our unconscious. With the help of our brains in our tentacles, we dig tunnels to the past and the future towards Venice. Let’s follow the light.” Deep Blue Sea will consider the formation of identity, from the concept of a national identity, to a place of no identity – where language, and its appropriation and misappropriation, lead to disconnection and misunderstanding. Laure was equally inspired by Venice, a group of watery islands that are gradually sinking into the ocean. Laure envisions the exhibition as the body of an octopus, a metaphor for the origins of the planet, immersing viewers in the stomach of an unknown creature in order to find out who we are. The sea, of course, is a quintessential metaphor for the unconscious, one of the few places on Earth that remains truly uncharted. The question of identity – how it is formed, both consciously and unconsciously, how it is expressed, how it is viewed by others, what it means to be another, or the other – is also fundamental to Deep Blue Sea, which quite pointedly asks, “What does it mean to represent a nation?”
Raymond Queneau’s 1947 novel Exercices de style recounts the simple tale of a man taking a bus journey 99 times, and each time the story is told in a different style. Most of us take the same journeys very regularly – to work, to school, to university, to the shops. We walk down the same roads, take the same trains, go to the same grocery store, and repeat the same things over and over again. The overall experience might appear the same on the surface, but the minutiae of what is seen and felt are entirely different every time. Laure has described the impetus to make Deep Blue Sea as a wish to try and understand ourselves better. Yet will we understand ourselves better by remaining in familiar territory or by travelling somewhere else? Will we escape ourselves through travel, or will we arrive only to realize that we’re the product of where we came from? Although she often uses everyday behaviours and objects, Laure’s work has a fairy-tale quality: the stories are often fantastical in nature, as if the protagonists are seeking a treasure at the end of the rainbow, the mirage across the desert, a cottage made of candy – some kind of radical transformation at their journey’s conclusion.
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Like me, and like many people, Laure is searching for something. But, like me, and like many people, she doesn’t quite know what it is, which makes it impossible to actually find. Each time she discovers or learns something new, she quickly realizes that she’s misunderstood it – that its surface, image, letters or sound are not what they initially appear. And each time she realizes this, she pushes through the image to find what’s behind it, rearranges the letters to see what they reveal, and whispers the words out loud to hear their secrets. Laure described her idea for Deep Blue Sea Surrounding You/Vois ce bleu profond te fondre as being entirely about the journey that took place to make it – one which, like my volcano ascent, has no climax, nor tangible ending, but is ultimately about the experience of being with other people along the way.
Deep See Blue Surrounding You/Vois ce bleu profond te fondre, May 11 to November 24, French Pavilion, Venice Biennale.