Qui est Lina Ghotmeh, l’architecte qui signera le 22e pavillon de la Serpentine Gallery ?
Après Counterspace, Junya Ishigami et dernièrement Theaster Gates, la Serpentine Gallery vient de dévoiler le nom de l’architecte qui signera son 22e pavillon éphémère : la Franco-Libanaise Lina Ghotmeh. L’occasion de découvrir un premier aperçu de son projet à l’ambition collective et écoresponsable, qui verra le jour en juin 2023 au cœur de Hyde Park, à Londres.
Par Matthieu Jacquet.
Il y a tout juste un mois, les visiteurs de Hyde Park pouvaient encore pénétrer dans l’édifice noir érigé par l’artiste Theaster Gates au milieu de la verdure du parc londonien. Au sein de ce cylindre en bois à la structure minimaliste, dont le toit comportait une ouverture circulaire vers le ciel, on pouvait découvrir sept peintures abstraites du plasticien afro-américain dans une ambiance solennelle proche du sacré. Envisagé comme un espace de recueillement, le 21e pavillon de la Serpentine Gallery a accueilli tout l’été durant des concerts de jazz ou de chorales, des conférences et même une cérémonie de thé, l’occasion de s’imprégner une nouvelle fois de la transversalité culturelle assumée par l’institution londonienne à travers la création annuelle de cette structure éphémère, commandée chaque été à un architecte ou artiste différent. Habituellement annoncée plus tard dans l’année, l’identité de la personnalité derrière le prochain pavillon éphémère de la Serpentine vient tout juste d’être dévoilée : il s’agit de l’architecte franco-libanaise Lina Ghotmeh. Celle-ci succèdera ainsi à Theaster Gates mais aussi au cabinet Counterspace, à l’origine du pavillon de 2021, au Japonais Junya Ishigami, auteur du pavillon de 2019, ou encore à Frida Escobedo et Francis Kéré.
À 42 ans, la discrète Lina Ghotmeh bénéficie d’une réputation déjà bien établie dans le monde de l’architecture. Celle qui a grandi a Beyrouth avant de quitter le Liban pour poursuivre ses études à Paris a d’abord fait ses armes dans les Ateliers Jean Nouvel – qui avait lui-même réalisé un pavillon rouge sang pour la Serpentine Gallery en 2010 – puis se dirige vers Londres, au sein de l’agence d’architecture britannique Foster + Partners. Après avoir travaillé sur de nombreux projets non réalisés tels que le musée Arthur Rimbaud à Charleville-Mézières, le musée d’Histoire Naturelle du Danemark ou encore le stade national du Japon à Tokyo, la jeune femme connaît la reconnaissance de son milieu lorsqu’elle remporte avec les deux autres architectes de sa première agence parisienne DGT le concours pour la création du nouveau Musée National Estonien à Tartu. Inauguré en 2016, le bâtiment doté d’une surface de près de 34 000 m2 frappe immédiatement par sa toiture oblique partant du sol pour s’élever jusqu’à 14 mètres de haut : ici, les trois architectes font référence à la fonction de piste de décollage pour avions du terrain sur lequel il est construit, jadis aérodrome soviétique. Fruit d’un travail colossal, cet édifice baigné de lumière tout en verre et en béton vaudra à l’agence DGT de remporter Grand Prix AFEX de l’architecture française dans le monde, salué pour les qualités esthétiques, matérielles et pratiques du bâtiment, mais également pour leur choix audacieux de l’installer sur les terres de cette base militaire historique plutôt que sur le site proposé lors de l’appel à projets.
Forte de ce succès, Lina Ghotmeh fonde en 2016 sa propre agence à Paris, Lina Ghotmeh – Architecte. Elle réalise alors de nombreux ensembles immobiliers, en France comme à l’étranger, et repense l’aménagement intérieur de plusieurs lieux ouverts au public, de la scénographie de la rétrospective “Hokusai” au Grand Palais au restaurant Les Grands Verres au sein du Palais de Tokyo en passant par la boutique parisienne du chocolatier Patrick Roger. En 2020, elle signe la création d’une tour de logements en béton couleur sable au cœur de Beyrouth, dont elle présente l’année suivante la maquette lors de la 17e Biennale d’architecture de Venise. Depuis plusieurs années, l’architecte franco-libanaise développe avec son agence une démarche qu’elle a baptisée “Archéologie du futur” avec l’ambition de développer des projets aussi durables qu’historiques, tenant compte du passé et des enjeux politiques, socio-culturels et environnementaux de chaque espace investi. La nature y occupe à ce titre une place centrale, aussi bien à travers les matériaux mobilisés dans les constructions que dans le respect impératif des paysages d’origine.
Intitulé “À table”, son projet pour le 22e pavillon éphémère de la Serpentine Gallery s’inscrit dans cette lignée, avec la création d’un bâtiment entièrement à partir de matériaux durables, biosourcés et à faible émission carbone. Avec une hauteur relativement basse et une structure étendue à l’horizontale, sa forme s’inspirera des toguna, ces constructions rudimentaires installées au centre des villages dogons du Mali investies par les habitants lors de moments de discussion et de prises de décision, tandis qu’un toit plissé maintenu par des nervures en bois clair évoquera le feuillage et les arbres de Hyde Park. Ouvert sur la verdure du grand parc londonien, avec quelques cloisons floutées permettant d’y faire rentrer la lumière, le pavillon comportrera en son cœur un élément clé : la table, meuble invitant à l’échange, au partage et à la création. “À l’ère actuelle, ce pavillon offre un espace de célébration (…), déclare Lina Ghotmeh dans un communiqué. Nous nous y retrouverons pour manger, travailler, nous amuser, nous rencontrer, parler, repenser et décider.” Une manière de rappeler la mission collective et événementielle du pavillon éphémère, depuis sa création en 2000 avec l’architecte Zaha Hadid : inviter le public à se rencontrer et à se recueillir librement pour partager des moments d’émerveillement, jusqu’à penser ensemble le monde de demain.
Le 22e Pavillon de la Serpentine Gallery signé par l’architecte Lina Ghotmeh sera visible de juin à octobre 2023 dans les Kensington Gardens de Hyde Park, Londres.