Qui est Elsa Werth, artiste lauréate du 23e prix Fondation Pernod Ricard ?
En pleine la semaine de l’art à Paris, la Fondation Pernod Ricard dévoilait ce vendredi 21 octobre au soir dans son espace l’identité de la 23e lauréate de son prix annuel récompensant un jeune artiste de la scène française. Cette année, celui-ci revient à Elsa Werth, remarquée ces dix dernières années pour son œuvre pluridisciplinaire posant un regard acide sur les conséquences du capitalisme, du consumérisme ou encore de l’aliénation au travail.
Par Matthieu Jacquet.
S’il est difficile de rester aujourd’hui insensible aux conséquences délétères du capitalisme et de la mondialisation, de l’aliénation au travail ou encore de la saturation de l’information, utiliser l’art comme support de résistance à ces problématiques sans tomber dans le littéral n’est pas toujours chose aisée. Elsa Werth a précisément fait de cet enjeu le cœur de sa pratique. Depuis près de dix ans, l’artiste française de 37 ans déploie une œuvre transversale, entre sculptures, installations sonores et interactives et livres d’artistes, qui prend comme fil rouge les gestes transactionnels entre les individus et comment ceux-ci reflètent nos relations sociales, économiques et professionnelles contemporaines et notamment les rapports entre dominants et dominés.
De ses créations in situ faites de cordes tendues et accrochées par des nœuds dans l’espace à ses reproductions de journaux quotidiens célèbres, dont tout le contenu a été effacé pour n’en laisser que les noms des pays cités, en passant par son échelle faite de rubans adhésifs colorés incarnant l’illusion de l’ascension sociale, ou encore sa vidéo réunissant les drapeaux des 197 pays du monde dans une frise mouvante colorée, l’artiste propose une œuvre conceptuelle caractérisée par son économie de moyens autant que sa volonté d’évoquer l’absurdité des jeux de pouvoirs qui régissent notre monde. Ce vendredi 21 octobre au soir, en pleine semaine de l’art à Paris, la Fondation Pernod Ricard récompensait sa pratique audacieuse et pluridisciplinaire en lui remettant son prix annuel récompensant un jeune artiste de la scène française. Celle-ci succède ainsi au dernier lauréat Boris Kurdi, récompensé en octobre 2021, mais également à des figures aujourd’hui très reconnues en France comme à l’international, telles que Clément Cogitore ou Tatiana Trouvé.
Dans le cadre de la traditionnelle exposition collective des finalistes, Elsa Werth présente depuis début septembre à la Fondation Pernod Ricard plusieurs nouvelles œuvres sous un commissariat de Clément Dirié. Aux côtés des cinq autres nommés Benoît Piéron, Eva Nielsen, Timothée Calame, Fabiana Ex-Souza et Hélène Bertin, on découvre dans l’enceinte de l’institution parisienne une installation composite pour le moins déroutante. Alors que se répète aléatoirement dans l’espace le mot “Abracadabra”, ralenti et interrompu par des glitchs sonores, ainsi que des bruits d’alarmes ou de machines à sous, le public contourne trois sculptures verticale en bois peint posées contre les cimaises. En s’approchant, on peut y lire dans des couleurs vives les titres caractéristiques des bannières de chaînes d’information en continu. Désormais figés sur toutes les faces de ce matériau primaire, ces flux visuels habituellement incessants ont été peints rapidement par l’artiste afin d’y traduire la succession frénétique d’actualités qui caractérise ces médias, et finit par envahir – voire hanter – l’esprit de leurs téléspectateurs.
Le regard critique de l’artiste se complète par une œuvre encore plus surprenante, installée sur la vitrine de la salle qui offre une vue immédiate sur les rails de la gare Saint-Lazare. Des indications sont données sommairement. Invités à récupérer une pièce gravée à l’entrée de l’exposition, à l’image de celles collées sur la vitre, les visiteurs peuvent la lancer pour déterminer l’issue de leur journée. Si en tombant la pièce s’arrête sur la face où est inscrit le mot “Monday” (lundi), leur destin du jour sera de travailler. Si elle tombe de l’autre côté, où est inscrit “Sunday” (dimanche), ceux qui manipuleront cette pièce seront incités à profiter librement de leur journée en évitant le travail à tout prix. En détournant les codes de l’exposition avec ce projet ludique un rien acide, Elsa Werth a séduit le jury du 23e Prix Fondation Pernod Ricard, qui lui offre la somme de 15 000 euros pour monter un projet personnel à l’étranger. Comme chaque année depuis a création de cette récompense 1999, une œuvre de l’artiste sera également acquise par la Fondation Pernod Ricard pour l’offrir aux collections du Musée national d’art moderne – Centre Pompidou.
Les œuvres d’Elsa Werth sont à découvrir dans l’exposition “Horizones” des six finalistes du 23e Prix Pernod Ricard, présentée jusqu’au 29 octobre 2022 à la Fondation Pernod Ricard, Paris 8e.