Pourquoi un distributeur de billets a-t-il enflammé la foire Art Basel Miami Beach ?
Parmi les nombreux stands de galeries internationales présentes à Art Basel Miami Beach trônait un distributeur automatique de billets insolite pensé par le collectif MSCHF, et présenté par la galerie Perrotin. Une œuvre d’art insolite et tapageuse croisant photomaton et machine à sous s’amusant avec cynisme des dérives du marché de l’art.
Le distributeur automatique de billets MSCHF à Art Basel Miami Beach
À première vue, l’objet a tout d’un distributeur automatique de billets classique. Et pourtant, cette borne ATM (pour “Asynchronous Transfer Mode”, “mode de transfert asynchrone”) installée en plein cœur d’Art Basel Miami Beach, du 1er au 4 décembre 2022, est une œuvre d’art bien plus insolite qu’elle n’en a l’air. Car en plus de permettre à n’importe quel visiteur de retirer de l’argent, la machine ironiquement intitulée “ATM Leaderboard” – “tableaux des gagnants” – tire systématiquement le portrait de chacun de ses utilisateurs, à la manière d’un photomaton. En outre, chaque personne qui s’y succède prend le risque de voir le montant de son compte affiché dans un classement et exposé aux yeux de tous. Résolument interactive et activée pour l’événement, la pièce pensée par le subversif collectif new-yorkais MSCHF, créé en 2016 et composé d’artistes, de designer set de développeurs, a fait – une fois de plus – du stand de la galerie Perrotin la grande attraction de la foire internationale d’art contemporain, qui fêtait son vingtième anniversaire à Miami la semaine passée.
Le principe est pourtant simple : lorsque l’on insère sa carte bancaire dans la machine imaginée par MSCHF, le montant du compte correspondant s’affiche sur un écran façon jeu d’arcade. Si sa bourse est bien fournie, l’utilisateur est qualifié par la machine comme l’heureux gagnant de ce jeu imaginaire ; en revanche, malheur à celui qui s’avèrerait être à découvert ! Car pour les propriétaires de comptes plus modestes, l’écran affiche une cuvette de toilettes remplie de billets avant que la chasse ne soit tirée pour les faire disparaître dans les canalisations, pendant que s’affiche – non sans ironie – le mot “Goodbye” (“Au revoir”). Tout le long de cette expérience virtuelle, l’utilisateur voit s’afficher sur la partie supérieure du distributeur la liste des personnalités les plus riches étant passée par la machine, leur portrait et le solde de leur compte. Dès la deuxième journée d’ouverture d’Art Basel Miami Beach, le musicien et producteur américain Diplo et ses quelques 3 millions de dollars de fortune présents sur sa carte bancaire se sont hissés en tête du classement d’ATM Leaderboard. Si l’on aurait pu attendre d’une telle célébrité la volonté de rester discrète sur le sujet, le concerné n’a pas manqué de publier ce résultat sur ses réseaux sociaux, photo à l’appui, en écrivant avec triomphe : “Je viens de gagner Art Basel”. Son record sera ensuite dépassé par le compte d’une personnalité anonyme, affichant 9 millions de dollars.
Le monde de l’art contemporain tourné en dérision
Tournant en dérision la spéculation financière, les jeux de pouvoir, le consumérisme ostentatoire mais également les excès du marché de l’art contemporain, le collectif MSCHF frappe fort en infiltrant cette année la Art Basel Miami Beach, rendez-vous majeur du milieu où se rencontrent pendant quelques jours les amateurs d’art et collectionneurs parmi les plus fortunés. Piloté par son fondateur Gabriel Whaley, le groupe renforce le côté tapageur de son action en s’associant à la galerie Perrotin, dont le fondateur français, Emmanuel Perrotin, est connu depuis trente ans pour créer l’événement avec des projets mémorables. “Cela fait partie de l’ADN [d’Emmanuel Perrotin] depuis le début de travailler avec des artistes qui brisent les frontières de ce qui est considéré comme appartenant aux beaux-arts”, confiait récemment au média Artnet le directeur de communication de la galerie née à Paris, déployée aujourd’hui sur trois continents (Amérique, Europe et Asie). Déjà en 2019, le marchand d’art star avait créé le buzz en exposant lors de cette même foire l’œuvre Comedian de l’artiste italien Maurizio Cattelan, simple banane accrochée à l’une des cloisons blanches du stand par un ruban de scotch en aluminium, dont le premier exemplaire était parti à l’époque pour 120 000 dollars. Trois ans plus tard, l’installation de MSCHF a été vendue 75 000 dollars à une collectionneuse de Miami.
MSCHF, le sulfureux collectif d’artistes new-yorkais
Éditer et revendre 666 paires de sneakers contenant chacune une goutte de sang humain, mélanger du déodorant Axe à du parfum Chanel n°5, acheter des précieux sacs Birkin de Hermès pour les transformer en Birkenstock … En six ans d’existence, MSCHF – pour “mischief”, qui signifie en anglais “méfait”, “sottise” ou “espièglerie” – a déjà réalisé en six ans de nombreux projets subversifs et médiatisés, comme sa collaboration sulfureuse avec le rappeur Lil Nas X. Le collectif basé dans l’arrondissement de Brooklyn a également séduit des personnalités célèbres dans le monde entier, à l’image de Kylie Jenner qui avait publié une paire de leurs fameuses Birkenstock sur Instagram.
En parallèle de cette visibilité très grand public, leurs projets attisent depuis quelques temps l’intérêt du monde de l’art contemporain. Preuve de cet engouement, le collectif présente sa toute première exposition personnelle à la galerie Perrotin à New York jusqu’au 23 décembre 2022. MSCHF a transformé pour l’occasion l’espace en temple du capitalisme, recréant un centre commercial riche de multiples objets, entre robots-chiens télécommandés et une impression en 3D à taille réelle de la chanteuse et actrice Jennifer Lopez, conçue à partir de photographies de paparazzi. Interrogeant avec humour les rituels de création de valeur et de fétichisation des objets et des personnes, cette exposition, tout comme leur projet remarqué à Art Basel Miami Beach, sont autant de manière d’exprimer leur regard mordant sur le monde de l’art contemporain. Un monde au sein duquel, dans la lignée de leur prédécesseur Maurizio Cattelan, ils semblent déjà s’insérer avec succès.
MSCHF, “No more tears, I’m lovin’ it”, jusqu’au 23 décembre 2022 chez Perrotin, New York.