10 oct 2022

Numéro art 11 : l’avant-propos de Thibaut Wychowanok

À l’occasion de la sortie du Numéro art 11, en kiosque à partir du 18 octobre prochain, le rédacteur en chef du magazine Thibaut Wychowanok revient sur la peintre Joan Mitchell, figure légendaire de l’expressionnisme abstrait exposée jusqu’au 27 février 2023 à la Fondation Louis Vuitton.

Retrouvez le Numéro art 11, en kiosque et sur iPad à partir du 18 octobre.

 

 

“Ne me ressors pas cette histoire de Monet”. C’est en ces termes que Joan Mitchell accueillit, à l’orée des années 80, Suzanne Pagé à Vétheuil, le village où elle s’était installée en 1968. Excédée, sans doute, que tous ses visiteurs lui rappellent que le Giverny de Monet n’était qu’à quelques encablures, et que le peintre s’inspirait comme elle de ces bords de Seine. Et pourtant, trente ans après sa mort, l’artiste américaine est célébrée par la Fondation Louis Vuitton (dont Suzanne Pagé est aujourd’hui la directrice artistique) à travers une rétrospective exceptionnelle et un dialogue saisissant avec… Monet. La vérité du rapport de Mitchell à l’Impressionniste est évidemment plus complexe qu’une phrase incisive lâchée derrière les lunettes de soleil dont elle ne se séparait que rarement. Seule, l’Américaine déambulait dans le jardin de l’Impressionniste. Elle appréciait peu, en réalité, le premier Monet. Elle lui préférait le dernier. Celui des grands formats infinis, qui se concentre sur les jardins, l’eau et ses reflets. Celui, au fond, plus gestuel, qui cherche à traduire une sensation jusqu’à l’abstraction – sans jamais abandonner le motif.

Joan Mitchell, “Sunflower” (1990-1991). Huile sur toile, 280 x 400,1 cm. Fondation Louis Vuitton, Paris. © The Estate of Joan Mitchell. © Primae/David Bordes

Ce Monet, décrié par la critique qui voit dans ses recherches picturales le résultat désastreux de son problème de cataracte, est redécouvert à la fin des années 40 par quelques artistes, qui en parlent au célèbre critique d’art Clement Greenberg. Puis le directeur du MoMA de l’époque achète les premiers Nymphéas. Monet influencera l’expressionnisme abstrait auquel Joan Mitchell est rattachée. Elle, ne parlait pas de sensation, comme son aîné, mais de feeling. À 17 ans, son père lui demande de choisir entre ses deux passions : la poésie et la peinture. Elle alliera en réalité les deux. Sa peinture, totalement abstraite, certes, forme cependant un chant de nuances et de tonalités, un poème évoquant le lac Michigan de son enfance, le fleuve Hudson de son long séjour à New York, aussi bien que les bords de Seine. Ce jeu de mémoires croisées se nourrit de rémanences dans un carrefour génial de perceptions. Mitchell peignait la nuit. Elle vérifiait les couleurs le jour. Ce qu’elle aimait par-dessus tout ? Voir ce qu’une couleur faisait à une autre.

 

Joan Mitchell est un génie – notons que le terme ne s’emploie qu’au masculin. Mais elle fut toute sa vie considérée comme seconde. L’Américaine appartenait à la seconde génération de l’expressionnisme abstrait. Elle était aussi à l’arrière- plan de son mari, le peintre Jean-Paul Riopelle. Elle faisait bien évidemment partie de ce “deuxième sexe” à qui l’on reproche beaucoup plus qu’au premier ses excès. On ne reviendra pas sur ceux de Mitchell. On préférera se réjouir que Suzanne Pagé (qui lui avait offert une exposition muséale à l’ARC dès 1982) et une institution comme la Fondation Louis Vuitton lui cèdent la première place, aux côtés – et en égale – de Monet.

 

 

“Monet – Mitchell”, jusqu’au 27 février 2023, Fondation Louis Vuitton, Paris 16e.

 

 

Retrouvez le Numéro art 11 sur iPad en kiosque.

Cover : hommage à Joan Mitchell par le photographe Douglas Irvine. Mannequin : Sofia Fanego chez Silent Models. Retouche : Hudson Retouch.