Le Loewe Foundation Craft Prize met en lumière le meilleur de l’artisanat d’art international à Paris
Le Loewe Foundation Craft Prize, récompense majeure de l’artisanat d’art initiée par Jonathan Anderson, vient d’annoncer à Paris ses lauréats 2024. Leurs œuvres, ainsi que celles des 26 autres artistes finalistes, sont présentées jusqu’au 9 juin au Palais de Tokyo au sein d’une exposition célébrant le bel objet et la maestria technique.
Par Thibaut Wychowanok.
Le Palais de Tokyo accueille le Loewe Foundation Craft Prize 2024
Depuis sa création en 2016 à l’initiative de Jonathan Anderson, directeur de la création de la maison Loewe, on peut mettre au crédit du Loewe Foundation Craft Prize d’avoir participé à l’émergence d’une impressionnante génération d’artistes et artisans internationaux. Avec ses 3 900 candidats issus de 124 pays pour, à la fin, 30 artistes finalistes exposés et presque autant de savoir-faire (bois, cuir, papier, céramique, métal, verre…), l’édition 2024 ne fait pas exception. “Lorsque j’ai initié ce projet, il n’existait aucun prix international, nous confie Jonathan Anderson quelques heures avant l’annonce des lauréats. Il subsistait des évènements locaux, comme celui du Craft Council au Royaume-Uni, mais aucun qui ne réunisse autant d’artisanats et de pays différents.”
Andrés Anza, lauréat du Loewe Foundation Craft Prize 2024, vu par Jonathan Anderson
Composé d’un panel d’experts reconnus, d’Oliver Gabet du musée du Louvre à Abraham Thomas du MET, le jury a choisi de récompenser cette année le Mexicain Andrés Anza pour sa monumentale sculpture en céramique de plus de 4 mètres de haut constituée de cinq parties interconnectées cuites une seule fois au four et peintes à l’acrylique. L’impressionnant objet aux protubérances organiques évoque tour à tour un golem pop irréel et un végétal préhistorique, s’éloignant en réalité d’un élément figuratif fixe pour s’ouvrir à une abstraction totale à laquelle participe l’usage monochrome et uni de la couleur.
L’œuvre d’Andrés Anza aurait pu être réalisée il y a une centaine d’années, comme hier.” – Jonathan Anderson
Les sculptures d’Andrés Anza ont ainsi en commun de s’élever à partir de l’inconnu, l’allusion et l’ambigu. L’identité y est fluctuante, les formes insaisissables, à la fois paysage, humain et non humain. “C’est un objet que vous ne pouvez rattacher à aucune période historique, commente Jonathan Anderson. Il aurait pu être réalisé il y a une centaine d’années. Ou hier. Son usage de la technique traditionnel du modelage par pincement a impressionné le jury. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que cette technique s’observe aussi bien dans la céramique mexicaine – que connaît très bien Andrés Anza – que dans la céramique indienne ou arabe. Il use de cette technique difficile avec une telle obsession qu’il réussit même à faire émerger un mouvement. J’apprécie également l’aspect tactile de la pièce. On a envie de la toucher, ce qui me paraît toujours essentiel pour un objet.”
Les bagues exceptionnelles de Miki Asai, mention spéciale du jury Loewe Craft Prize 2024
Les débats ont été intenses de l’aveu même du jury, preuve en est l’attribution exceptionnelle cette année de trois mentions spéciales. La première revient à la Japonaise Miki Asai pour ses bijoux hors du commun, soit trois sculptures portables au doigt à la manière de bagues, surmontés de vases miniatures délicatement recouverts de fragments de coquilles d’œuf, de coquillages et de pigments minéraux offrant une patine mosaïquée et irisée. Ces piédestaux ornés d’objets inspirés de natures mortes offrent ainsi d’étonnants et infimes fragments de vie et de beauté.
La porcelaine d’Emmanuel Boos, mention spéciale du Loewe Craft Prize 2024
La seconde mention spéciale revient à Emmanuel Boos pour sa table basse “Comme un lego” (hommage à un morceau d’Alain Bashung écrit par Gérard Manset) constituée de 98 briques de porcelaine amovibles. Rien d’étonnant puisque le Français est considéré comme l’un des meilleurs céramistes de l’Hexagone – ici dans une maîtrise parfaite de la technique de l’émail tenmoku, les amateurs parisiens ayant déjà pu apprécier ses pièces à la galerie Jousse Entreprise.
À la fois surface et volume, chaque brique semble chercher son point d’équilibre entre puissance et précarité, forme rectangulaire solide et volontairement imparfaite. Autant d’éléments au bord de l’effondrement et qui pourtant constituent un tout compact et puissant. Sa maîtrise de la couleur, ici à travers le fameux émail tenmoku, joue tout autant de l’ambiguïté entre présence et effacement : la teinte terreuse se fait pleine et resplendissante sur la surface alors que les arêtes en sont presque dépourvues, dessinant littéralement la couleur dans l’espace.
Le bois magnifié de Heechan Kim, mention spéciale du Loewe Craft Prize 2024
La troisième mention spéciale revient enfin au Coréen Heechan Kim pour une impressionnante structure en bois de frêne et fil de cuivre. “Dans le design, l’usage impose normalement sa forme à l’objet, nous explique-l’artiste. Je travaille à renverser la proposition en permettant à mon matériau de participer à la création de la forme de l’objet. Je plonge chaque morceau de bois finement raboté dans l’eau puis je les plie à l’aide d’un fer chaud normalement utilisé pour fabriquer des instruments de musique. Ce n’est qu’ensuite que j’assemble les différentes courbes obtenues. J’ai initié cette pièce avec cinq anneaux que j’ai reliés en me laissant porter par le matériau lui-même.” L’entité bulbeuse tient comme miraculeusement par des fils de cuivre perforés et cousus à la main par le créateur, évoquant une croissance organique minutieuse et exponentielle.
La nature en mouvement d’Ikuya Sagara au Palais de Tokyo pour le Loewe Foundation Craft Prize
Parmi les 26 autres créateurs exposés, on retiendra également l’artiste japonais Ikuya Sagara qui réalise pour l’occasion une “peinture” en 3 dimensions à partir de paille de riz, de bois, et d’herbe de la pampa japonaise. Le maître chaumier installé dans une région riche en rizières proche de Kobe transcende la tradition héritée du tressage du chaume de kayabuki pour exprimer un paysage abstrait, donnant l’illusion du mouvement d’un champ balayé par le vent.
Les bijoux imprimés en 3D de Norman Weber
À l’inverse, le joaillier Norman Weber semble embrasser la technologie la plus actuelle pour brouiller les pistes quant à l’identité même de ses pièces. “Cette série de cinq bijoux a pour point de départ des pierres précieuses, nous précise-t-il, mais également leur présentoir. Ces objets sont en réalité générés par ordinateur et imprimés en 3D et en plastique. Je détourne ensuite la précision numérique en intervenant avec des processus artisanaux pour la peinture et l’assemblage. J’aime apporter un déséquilibre : les couleurs un peu passées évoquent par exemple des outils oubliés au soleil ou sur la plage alors que les formes évoquent plutôt quelque chose de futuriste.” Factice ou réel, fantaisie pop ou joaillerie, architecture portable – Norman Weber assume son amour du brutalisme – ou objet décoratif, chaque pièce procure un effet kaléidoscopique et paradoxal profondément séduisant.
La coquille flottante d’Alison Croney Moses
Un esprit de contradiction que l’on retrouve dans la sculpture en bois de l’Américaine Alison Croney Moses. La pureté et la douceur de ses lignes viennent comme en opposition avec l’extrême tension de la structure. En poussant le matériau à ses limites, la coquille flottante déployée sur elle-même imite la mémoire musculaire et les courbes du corps féminin pendant la maternité, entre contraction et étirement.
Les 30 créations des finalistes du Loewe Foundation Craft Prize sont à découvrir du 15 mai au 9 juin 2024 au Palais de Tokyo, Paris 16e.