L’artiste Max Hooper Schneider invente les créatures d’un monde post-humain au MO.CO
Fleurs en métal aux airs de plantes carnivores, maisons de poupée glacées par le cuivre et autres vivariums remplis d’uranium… Jusqu’au 24 avril, l’exposition personnelle de Max Hooper Schneider au MO.CO, à Montpellier, esquisse les contours d’un monde hypothétique d’où l’humain aura disparu. Plongée dans ces paysages hybrides qui réunissent une dizaine d’œuvres récentes et une vingtaine de pièces inédites du trentenaire californien, réalisées lors de sa résidence en Occitanie.
Par Matthieu Jacquet.
Qu’est-ce qui survivra à l’humanité lorsque celle-ci aura quitté la Terre ? La question aurait de quoi inquiéter les plus sereins d’entre nous. Si les scientifiques du monde entier sont nombreux à alerter sur les désastres climatiques actuels et à venir, Max Hooper Schneider a choisi d’y répondre à sa manière : en produisant des œuvres déroutantes aux airs d’hypothèses. Flore monstrueuse animée par des mécanismes discrets, rebuts plastiques et plantes fossilisés dans le cuivre, mascottes publicitaires engluées dans une mélasse fluorescente couverte d’uranium… Fruit d’une résidence à Montpellier, l’exposition personnelle de l’artiste californien présentée jusqu’au 24 avril au MO.CO Panacée déploie, salle après salle, des paysages étranges dans lequel le spectateur déambule, explorateur du monde potentiel qu’il aura laissé derrière lui. Un monde dont l’humain est volontairement laissé absent, comme l’annonce un premier espace hostile dont on hésite à franchir le seuil.
L’artiste partage une vision plutôt optimiste : la vie peut tout à fait émerger sur les ruines des ères qui l’ont précédée.
Alors qu’un lino trompe-l’œil recouvre le sol d’un faux parterre de sable, trois monticules émergent et, avec eux, des organismes métalliques pointus aux airs de plantes carnivores du futur. L’un ouvre et ferme ses longs pétales griffus tel une fleur en pleine éclosion, les autres dardent leur tige vers le ciel, comme pour piquer un ennemi invisible… Dévoilées pour la première fois fin octobre à Paris lors de l’exposition personnelle de l’artiste à la galerie High Art, ces œuvres mouvantes en aluminium s’inspirent en fait des épizoaires, les plantes et animaux vivant sur le corps d’autres espèces sans les détruire. En ajoutant ces créatures cinétiques au simulacre d’une nature à l’état brut, qui rappelle un désert aride où peu d’organismes végétaux survivent, l’artiste de 39 ans traduit sa vision plutôt optimiste, si ce n’est animiste : la vie peut tout à fait émerger sur les ruines des ères qui l’ont précédée, aussi délétères furent-elles. D’ailleurs, lorsqu’on s’approche des monticules, les traces d’un passé séculaire apparaissent à travers des fossiles partiellement enfouis dans le sable, fragments d’ossements récupérés par le plasticien dans un musée de sciences naturelles d’Arizona, qui laissent planer le mystère sur l’espèce dont elles sont le squelette.
Souvent plus scientifique qu’artistique, la méthode de Max Hooper Schneider s’écarte des chemins habituellement empruntés par ses consœurs et confrères. Dès l’origine de son parcours, craignant de devoir se soumettre au formatage des études d’art, ce fils d’une professeure de philosophie a boudé les écoles des beaux-arts pour leur préférer un cursus en architecture du paysage et un autre en biologie marine, qui ont attisé chez lui le désir ardent de percer les secrets du vivant. Ainsi lors de sa récente résidence à Montpellier, le trentenaire américain souhaitait s’entourer de spécialistes locaux pour inspirer une vingtaine de nouvelles pièces : lors de ses séjours dans la région, il a pu notamment visiter une soierie dans les Cévennes et l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), rencontrer plusieurs artistes, travailler avec des chercheurs du CNRS pour filmer dans leurs laboratoires des réactions chimiques dangereuses et même terminer ses sculptures en fonte avec un soudeur sur place. Qu’elles soient humaines, scientifiques ou matérielles, ces multiples ressources ont nourri et structuré l’imagination sans bornes de l’artiste.
“Max Hooper Schneider adore quand on lui dit non, note Anya Harrison, co-commissaire de l’exposition. En l’accompagnant pendant des mois, la jeune femme a pénétré l’esprit foisonnant de cet artiste, toujours force de proposition, qui redouble de créativité face aux contraintes. “L’impossible lui permet d’engager de nouvelles recherches : on lui demande une solution, il en propose vingt !” À l’instar de nombreux artistes de sa génération, de Hicham Berrada à Anicka Yi en passant par Bianca Bondi et Mimosa Echard, Max Hooper Schneider utilise la physique et la chimie pour créer des formes et réactions inédites qui libèreront les œuvres de sa seule main pour laisser la nature opérer. Cette approche commune traduirait-elle une volonté d’humilité, en confrontation avec la figure de l’artiste démiurge qui a dominé l’histoire de l’art des derniers siècles ? En offrant à ses œuvres cette indépendance, Max Hooper Schneider transforme l’angoisse provoquée par la prise de risque et l’incertitude en moteur de sa création. À la Panacée, on croise ainsi des cactus et un aloe vera recouverts d’une solution de cuivre, ainsi que trois oranges brunissantes, plongées dans un bac rempli de liquide toxique. L’avenir de ces végétaux grignotés par la matière reste inconnu, laissant le spectateur infime et fugace témoin d’une transition chimique que l’on mesurera en décennies, voire en siècles.
Max Hooper Schneider utilise la physique et la chimie pour créer des formes et réactions inédites qui libèreront les œuvres de sa seule main pour laisser la nature opérer.
Au-delà de ses talent plastiques, Max Hooper Schneider démontre aussi son sens très cinématographique de la mise en scène. Ses œuvres plus anciennes, des cubes de Plexiglas contenant néons, ampoules, plantes et fleurs en plastique et même un bar miniature, mettent en exergue l’attention au décor et au détail de ce collectionneur de maisons de poupée, qu’il chine durant de longues heures de prospection sur Google afin de trouver la perle rare. Tourné pendant le confinement dans le désert du Far West, son film Son offre un contrepoint plus absurde à l’exposition : de la route 66 aux chambres sordides des motels, un requin bodybuildé cherche son fils disparu dans un monde post-apocalyptique dont toute trace humaine semble envolée. Malgré son propos funèbre, la vidéo délirante voire grotesque n’est pas sans rappeler l’humour grinçant des films de l’artiste français Pierre Huyghe, avec lequel Max Hooper Schneider a travaillé deux ans sur ses fameux aquariums. Aujourd’hui, les viviers sous vitrines du Californien semblent eux aussi faire directement écho aux pièces de son aîné.
Malgré la profusion d’éléments et l’apparent désordre organique de ses œuvres, le Californien propose au MO.CO une disposition plutôt sage et domestique, où la main humaine transparaît dans des choix ironiquement décoratifs : une plante est posée sur un guéridon, un coquillage et des quartz coulés dans la fonte sont fusionnés à une balançoire pour ne jamais en tomber, jusqu’à la dernière salle où un loup empaillé se poste parmi des branchages montés sur des briques en béton, dans l’esprit des dioramas des muséums d’histoire naturelle du 19e siècle. À l’image de cette œuvre, certaines pièces de l’Américain perdent en force lorsqu’elles tombent dans le plus figuratif et figé, sonnant, dans ce futur hypothétique, comme les reliques d’une approche théâtrale légèrement datée – comme semblent l’indiquer les stalactites d’un bleu fluorescent qui recouvrent l’animal dissimulé dans les taillis, gelant la scène dans une période lointaine et révolue.
Une fois les œuvres affranchies de leur auteur, de belles surprises naissent de son monde autonome où pourrissement et destruction ouvrent à la renaissance et à l’ébullition.
À l’inverse, dans la même salle, un amas de verre au sol réveillé par de brusques décharges électriques bruyantes anime le parcours par ses explosions sonores – et lumineuses – aléatoires. Happé par une musique menaçante ainsi qu’une vidéo, projetée en grand sur deux murs qui se font face, le spectateur découvre alors, sur ces images, des formes serpentines mouvantes, filmées en accéléré, dans un aquarium : suite à l’allumage d’une poudre de mercure, ces créations chimiques se développent et se résorbent par elles-mêmes pendant une cinquantaine de minutes, dans un hypnotisant ballet organique. “Le chaos peut-il avoir une forme ?”, semblait interroger Max Hooper Schneider au début de l’exposition. Une fois les œuvres affranchies de leur auteur, de belles surprises naissent de son monde autonome où pourrissement et destruction ouvrent à la renaissance et à l’ébullition. Un nouveau cycle s’enclenche alors : une ère post-anthropocène de laquelle, comme une réponse aux scepticisme et pessimisme contemporains, émerge finalement une salvatrice puissance d’émerveillement.
Max Hooper Schneider, “Pourrir dans un monde libre”, jusqu’au 24 avril au MO.CO Panacée, Montpellier.