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Expo : les sublimes montagnes de Saint-Moritz vues par Gerhard Richter à la galerie Hauser & Wirth
Peintre parmi les plus reconnus de notre époque et star du marché, Gerhard Richter fait cet hiver l’objet d’une exposition organisée par la galerie Hauser & Wirth, à Saint-Moritz. Une célébration de l’amour de l’artiste allemand pour la vallée suisse de l’Engadine, qui lui a inspiré des dizaines de peintures et photographies depuis 1992.
Par Matthieu Jacquet.
L’Engadine : une vallée inspirante, de Proust à Gerhard Richter
Quel est le point commun entre Friedrich Nietzsche, Marcel Proust, Jean Cocteau ou encore Alberto Moravia ? Des chefs-d’œuvre majeurs, certes, une créativité artistique ou littéraire indéniable, mais surtout une région : l’Engadine, vallée suisse où tous ces hommes illustres ont séjourné voire vécu un moment de leur vie. Une passion partagée qui ne surprend pas lorsque l’on voit les atouts du lieu, à quelques kilomètres de la frontière italienne : des flancs de montagne impressionnants culminant jusqu’à 4000 mètres d’altitude, des lacs s’étendant à perte de vue – Sils, Silvaplana, Saint-Moritz –, bordés de forêts de sapins, aussi propices aux sports d’hiver qu’aux randonnées estivales.
Un cadre qui n’a pas manqué de séduire une autre grande figure de l’histoire de l’art. Gerhard Richter, peintre parmi les plus célèbres de l’art contemporain qui, suite à un séjour au village de Sils à l’hiver 1989, n’a cessé d’y revenir depuis son Allemagne natale afin de profiter de sa quiétude et de son impressionnant paysage. Au point que ce dernier lui ait inspiré une série de photographies et de peintures, les Engadin paintings, aujourd’hui au cœur d’une exposition organisée par Dieter Schwarz, spécialiste de l’artiste et ancien directeur du Kunstmuseum Winterthur, en collaboration avec la galerie Hauser & Wirth, le Musée Segantini – consacré au peintre symboliste éponyme – et la maison-musée Nietzsche de Sils-Maria, résidence secondaire du célèbre philosophe durant les dernières années de sa vie (1881 à 1888). Dans le village de Saint-Moritz, station de ski huppée de la région où l’institution artistique internationale possède l’une de ses antennes, plus de soixante-dix œuvres de l’artiste allemand sont présentées jusqu’au 13 avril prochain, réparties dans ces trois lieux. Un clin d’œil à la carrière du peintre allemand qui, en 1992, présentait déjà une petite exposition de photographies dans la maison-musée Nietzsche.
Gerhard Richter : un artiste qui brouille les limites entre peinture et photographie
De Gerhard Richter (né en 1932), on connaît avant tout les toiles qui, depuis la fin des années 60, brouillent avec habileté les limites entre peinture et photographie. Souvent réalisées d’après ses propres clichés, ensuite projetés sur la surface vierge grâce à un épiscope, ces œuvres se caractérisent par un flou pictural qui enveloppe l’ensemble, faisant disparaître les détails habituellement obtenus par la mise au point lors de la prise de vue. Un effet que l’on constate dès la visite du Musée Segantini, où sont présentées plusieurs œuvres de cet ordre : sur Wasserfall (1997), par exemple, une cascade émerge derrière une forêt, entre deux montagnes sous un ciel clair. L’absence de profondeur de champ, qui aurait sur la photographie séparé premier et second plans, génère une vision bidimensionnelle et presque abstraite du paysage d’Engadine, désormais esquissé par des lignes indéfinis et nuances de vert et de bruns d’une intensité contrastée. Dans la toile Schnee (1999), les branches noires d’un arbuste défeuillé grignotent quant à eux un paysage sourd étouffé par le blanc de la neige. Comme un contrepoint à la netteté obtenue grâce à l’appareil photo, l’arbre, principal sujet de la peinture, se confond là aussi avec son décor, si bien qu’il semble n’en rester qu’une impression mémorielle – comme si le passage du temps en avait, progressivement, estompé la précision dans l’esprit de l’artiste. Rappelons-le : en 1965, déjà, Richter représentait son oncle Rudi en tenue de soldat d’après une photo prise peu de temps avant sa mort sur le front vingt ans plus tôt. Sur cette toile toute en nuances de gris, l’homme souriant semblait là aussi disparaître dans son environnement grâce des traits de peinture diluée, à l’image d’un dessin au crayon que l’on gomme peu à peu du papier.
À la galerie Hauser & Wirth, les métamorphoses du paysage d’Engadine
Au-delà de ces quelques toiles, l’exposition “Gerhard Richter: Engadin pantings” réunit surtout, dans ses trois espaces, une dizaine de photographies peintes (Overpainted Photographs) selon l’une des autres techniques signature du peintre. Sur ces clichés de la vallée suisse capturés au fil de ses pérégrinations pédestres, ensuite tirés sur papier photo au format classique 10 x 14 centimètres, l’Allemand ajoute méticuleusement des touches de peinture à l’huile qui transforment le paysage suisse. Sur l’une d’entre elles, une nuée de peinture bleu marine semble dévorer la vallée à la tombée du jour, sur une autre, un nuage jaune paille réveille son paysage d’une aura solaire, tandis que des touches de rose, blanc et violet sur l’herbe verte semblent, dans une troisième image, faire apparaître un parterre de fleurs annonciateur du printemps. Au fil de ces œuvres réalisées entre les années 90 et la fin des années 2000, Richter fait tomber des avalanches, apparaître des aurores boréales aux couleurs hallucinées, pleuvoir des gouttes écarlates ou encore entrer en éruption des volcans invisibles. Le tout en conservant une grande délicatesse technique au point que, par la finesse des couches de peinture et leur texture, les taches appliquées sur le papier photo s’apparentent parfois à des pétales de fleurs Comme une réponse lumineuse et édénique aux photographies sombres baignées de plomb de son compatriote Anselm Kiefer, autre immense peintre de cette génération, dont on peut actuellement voir quelques puissants exemples au Lam.
Présentes aujourd’hui dans les collections des plus grands musées du monde, du MoMa à la Fondation Louis Vuitton, et comptant parmi les plus chères du marché, les œuvres de Gerhard Richter se rencontrent aujourd’hui rarement dans des cadres aussi intimistes que celui-ci. Tout au long de l’hiver, saison de grande affluence pour la station de ski de Saint-Moritz, la sélection ici présentée résonnera sans nul doute avec le paysage enneigé environnant, proposant une surprenante carte postale de la région autant qu’une entrée en matière dans la pratique de l’immense artiste aujourd’hui âgé de 91 ans, qui a définitivement délaissé la peinture en 2017. Parmi ces éclaboussures de couleurs et paysages renversants présentés à la galerie Hauser & Wirth, une œuvre sort du lot : une toile presque intégralement blanche, où des traits noirs fins et continus font apparaître le contour des montagnes et vallées, maculée d’une tache de peinture bleue et blanche – comme un hommage aux grands maîtres de l’estampe japonaise Hokusai et Hiroshige. Il faut être un grand peintre pour savoir retranscrire la force poétique d’un paysage en quelques coups de crayon.
“Gerhard Richter: Engadin”, sous un commissariat de Dieter Schwarz, jusqu’au 13 avril 2024 à la galerie Hauser & Wirth, au Musée Segantini, Saint-Moritz, et à la Nietzsche-Haus, Sils.