Du pixel à la toile, les peintures trompe-l’œil de Gioele Amaro à la galerie Almine Rech
Aux confins entre l’art virtuel et la peinture, Gioele Amaro réalise des œuvres abstraites puisant dans les codes de la culture internet et jouant avec la perception du spectateur. Jusqu’au 10 décembre, le jeune artiste italien investit la galerie Almine Rech à Paris avec une exposition personnelle inspirée par la multiplicité des images.
Sur les murs blancs de la galerie Almine Rech à Paris, cinq peintures alignées au cœur de cet espace lumineux nous emmènent ailleurs. Succession de nuées colorées où se mêlent harmonieusement des touches de rose pâle, de vert citron et de bleu lagon, ces toiles évanescentes semblent ouvrir une porte vers un autre monde, céleste et spirituel, incitant à se plonger dans la contemplation. Jusqu’au 10 décembre, le jeune artiste Gioele Amaro présente au cœur du Marais cette nouvelle série d’œuvres : sous leurs airs presque identiques, certaines d’entre elles sont en réalité découpées ou déclinées dans des formats plus grands ou plus réduits. Cette obsession du multiple fait écho à la pratique de l’Italien de 36 ans, qui puise son inspiration dans les cultures internet et le foisonnement incessant des images qui y circulent. Comme un peintre utiliserait les pigments, Gioele Amaro travaille quant à lui les pixels à l’envi pour y faire jaillir la couleur. Muni d’un pinceau électronique qu’il a configuré lui-même pour imiter au mieux les gestes propres à la peinture, il dessine sur tablette des compositions abstraites évoquant des surfaces réfléchissantes ou des néons colorés, avant de les faire imprimer sur toile puis vernir. Son travail a déjà séduit la maison Valentino et notamment son directeur artistique Pierpaolo Piccioli, qui l’a invité en 2021 à présenter son travail dans l’exposition collective de la maison “Re-Signify” à Beijing.
Si l’artiste en est déjà à sa troisième exposition personnelle avec Almine Rech en 2022 (après avoir présenté ses œuvres dans ses espaces de Shangaï et Bruxelles), cela fait seulement quatre ans qu’il se dédie entièrement à sa pratique artistique – une passion qui l’anime pourtant depuis sa plus tendre enfance. Né en 1986, jeune homme a longtemps hésité à se consacrer aux beaux-arts, lui qui grandit dans un pays riche d’un héritage artistique séculaire et considérable, s’étendant de l’Antiquité à aujourd’hui en passant par la Renaissance. Ainsi, l’Italien choisit d’abord de se tourner vers l’architecture, manière d’établir un compromis entre son amour de la matière et les enjeux plus pragmatiques de la création. Il fera d’ailleurs ses armes auprès de l’architecte star Jean Nouvel, à qui l’ont doit notamment les bâtiments impressionnants de la Philharmonie de Paris et du Louvre Abu Dhabi. Après quatre ans passés à travailler chez lui en tant que chef de projet, il quitte finalement ses ateliers pour se consacrer entièrement à la peinture numérique. L’architecture demeure néanmoins une inspiration majeure pour l’artiste, comme en atteste ses nouvelles œuvres accrochées à la galerie Almine Rech : de leur structure à leur mise en espace, tout est pensé pour jouer avec la perception du visiteur.
Couper une toile en deux, la multiplier par trois… À travers cette nouvelle série de toiles, Gioele Amaro ne cesse de bousculer la bidimensionnalité de la peinture, tout en reprenant le contrôle sur la matérialité de son œuvre après l’avoir composée numériquement, “comme pour combler la frustration que je ressens parfois, en travaillant énormément sur tablette” ajoute-t-il. Le monde numérique représente à la fois l’outil essentiel mais aussi la thématique matricielle de son œuvre. Pour preuve, sa série de toiles triplées et coupées en biais évoquent le mouvement du swipe – balayage latéral effectuée à l’aide de son doigt sur un smartphone –, tandis qu’une autre semble retranscrire matériellement la distorsion informatique du glitch par un léger décalage au milieu du châssis de la toile, fragmenté en trois parties. Jouant sur le passage du virtuel au physique, la pratique de Gioele Amaro interroge les liens entre ces deux régimes d’existence complémentaires de l’œuvre d’art. En septembre dernier, lors de son exposition à la Gether Contemporary à Copenhague, l’Italien présentait des impressions de l’emoji iPhone à l’effigie d’un tableau. Lorsqu’on découvre l’installation, l’ambiguïté s’installe : se trouve-t-on face à une œuvre physique ou une œuvre numérique ? À travers cette mise en abîme et ce travail du trompe-l’œil, Gioele Amaro tourne en dérision notre relation aux écrans, comme un pied de nez aux nombreux détracteurs de l’art numérique. Une façon de questionner la définition même de l’œuvre d’art et ses limites, à l’ère de la virtualisation de notre rapport au monde et de la multiplication des images.
Gioele Amaro, “Just a Painting”, jusqu’au 10 décembre à la galerie Almine Rech, Paris 3e.