Asia Now : les œuvres à ne manquer, entre tentacules de laine et têtes de forage
Du 20 au 22 octobre, la foire d’art contemporain asiatique Asia Now investit à nouveau les cours et salons de la Monnaie de Paris. Les soixante-cinq galeries participant à cette huitième édition proposent une immersion dans la diversité de la scène artistique actuelle des pays d’Asie, regorgeant de talents et d’innovations. Découvrez nos coups de cœur de cette 9e édition.
Par Camille Bois-Martin.
Le parcours immersif de Slavs and Tatars
Dans l’entrée de la Monnaie de Paris, les grandes colonnes en marbre et les murs ont été recouverts de tapisseries et de tissus en tout genre. En haut des escaliers d’honneur, des dizaines de kimonos traditionnels imaginés par la créatrice Nazzy Beglari flottent dans le vide. Puis, dans la cour, une large yourte invite les visiteurs à s’allonger et dévorer les livres posés autour des matelas, pendant qu’une plus petite yourte colorée conçue par l’artiste Medina Bazarğali attend ses (très) petits occupants tout près, dans la cour des Fonderies, recouverte non pas de peaux de bêtes mais de morceaux de textiles turquoise, rose ou jaune, cousus selon les savoir-faire anciens chinois. Autant d’œuvres fascinantes sélectionnées et essaimées dans le parcours de la foire Asia Now 2023 par le collectif d’artistes berlinois Slavs and Tatars, originaire d’Eurasie. Le thème de cette proposition ? Explorer la place du textile dans les pratiques traditionnelles des régions dont sont originaires les quatorze artistes contemporains réunis sous leur commissariat, matériau que chacun d’entre eux réinterprète avec créativité.
Parcours Slavs and Tatars dans toute la foire Asia Now.
Mona Al Qadiri plonge le stand de la König Galerie dans l’obscurité
Dans une salle plongée dans l’obscurité, d’étonnantes sculptures brillantes tournent en continu, posées sur d’imposants piédestaux blanc. Les visiteurs s’attardent, observent, intrigués par ces étonnantes têtes de forage; qui brillent de mille feux. Leur auteure, l’artiste koweitienne Monira Al Qadiri, les a conçues à partir d’impression en 3D puis les a peintes avec de la peinture automobile irisée afin de les doter d’un aspect brillant qui capte tel un aimant le regard des visiteurs. Ces derniers sont alors attirés par ces petits objets de destruction qui symbolisent le développement croissant des nouvelles technologies d’extraction du pétrole. Préoccupée par cette question aux résonances politiques mais également écologiques, Monira Al Qadiri emprunte les outils employés pour extraire des entrailles de la terre cette énergie fossile, pour les sortir totalement de leur contexte. Sur les murs, quatre hublots forment autant de vues de bateaux pétroliers SS Murex, submergés par des lumières rouge sang, violette, ou rose pétant, tandis qu’une sculpture de pélican jonche le sol, le corps recouvert d’un amas de matière noire semblable à du pétrole. Côte à côte, ces têtes de forage s’exhibent ainsi telle une ribambelle d’artefacts abstraits fascinants, tels les futurs fossiles de notre civilisation dénichés dans le sable lorsque celle-ci aura disparu.
Köning Galerie, dans les Salons sur Seine.
Les photographies saturées de Farah Al Qasimi
Basée entre Brooklyn et Dubai, la photographe émiratie Farah Al Qasimi exprime les ambiguïtés culturelles qui traversent notre société, puisant aussi bien dans les environnements des grandes métropoles d’aujourd’hui que dans des décors traditionnels et domestiques orientaux. Dans ses quatre photographies exposées à la foire Asia Now, les nombreux visages anonymes qui peuplent habituellement ses clichés sont ici remplacés par des draps en satin. Intitulée Closed Kiosk (2019), cette série minimaliste capture les stands fermés des vendeurs du Dragon Mart, centre commercial situé dans la banlieue de Dubaï. De ses scènes quotidiennes autour des kiosques, fréquentés chaque jour par des milliers de passants, Farah Al Qasimi extrait des clichés aux couleurs denses habités par de vibrants monochromes de violet, de rouge, d’ocre ou de beige qui se font le reflet d’une société saturée et consumériste. Sans le titre, difficile de savoir si l’on fait face à une belle endormie ou à un stand commercial – une ambiguité propre aux images de l’artiste émiratie, dont l’anonymat et le mystère demeure l’un des fils rouges de son œuvre, symbole d’un monde déshumanisé car globalisé, mû par des individus sans identité.
Gallery The Third Line, dans les Salons sur Seine.
Au stand Perrotin, plongée dans les yeux des curieux personnages d’Ob
Là où la plupart des stands de la foire Asia Now exposent plusieurs œuvres de différents artistes contemporains, la galerie Perrotin fait le pari de ne présenter qu’une seule artiste : la Japonaise Ob. Sur des cimaises immaculées, ses huit peintures aux traits délicats et aux couleurs pastel semblent envoûter les visiteurs, comme hypnotisés par les yeux écarquillés des jeunes filles qui peuplent ces tableaux. Mais, à y regarder de plus près, un détail peut les laisser bouche-bée : ces personnages n’ont ni lèvres, ni dents, ni nez. Muettes, elles transmettent pourtant toute une palette d’émotions par la seule force de leur regard, intense et brillant. Alors que le flou coloré qui les entoure compose un univers onirique, leur inspiration est quant à elle bien plus réelle : des portraits des amies de l’artiste, ainsi que des autoportraits. Puisant dans le monde du jeu vidéo japonais, la peintre Ob s’empare de ses codes visuels pour créer, au sein de ses tableaux, son propre univers fantastique.
Galerie Perrotin, dans les Salons sur Seine.
À Asia Now, les artistes déroulent le fil de leur histoire
Fil rouge tissé par le collectif d’artistes Slavs and Tatars, le textile se dévoile dans la foire Asia Now sous de de nombreuses formes et techniques. À la galerie Tabulara Rasa, la jeune artiste chinoise Eva Yi Zhang intègre par exemple dans ses peintures des morceaux de tissus conçus et cousus par elle-même, qu’elle place métaphoriquement sur un téton, une vulve ou un nombril, comme autant de symboles de l’oppression des femmes, croulant sous les tâches ménagères dans certaines régions de Chine. Quelques salles plus loin, une imposante sculpture semble dégouliner du mur jusqu’au sol du stand de la galerie Ayyam. Imaginée par Rumi Dalle, cette œuvre reprend les techniques artisanales de couture libanaises (pays d’origine de l’artiste), utilisées habituellement pour la conception de vêtements délicats et précieux, et compose ainsi aux larges tentacules de soie et de laine. Exposée dans la cour des Fonderies dans le cadre de la fin de sa résidence artistique à Paris à la Majhi International Art Residency, l’artiste japonaise Aiko Tezuka s’intéresse quant à elle au tissage du fil même, décousant ses créations pour mieux en dévoiler la technique. Aux côtés de quatre autres plasticiens d’origines différentes, cette dernière s’est penchée ces derniers mois sur le thème de la révolte de l’Indigo, moment marquant de l’histoire du Bangladesh au cours duquel les populations agricoles se sont soulevées contre l’exploitation britannique des cultivateurs et teinturiers d’Indigo. Se croisent alors dans son œuvre ses origines et ce thème imposé : le motif, imaginé par l’artiste, reproduit celui des tissus de costumes traditionnels japonais tandis que la couleur, met en avant un intense bleu Indigo au travers de la multitude de fils tendus au centre et défaits de la trame. Suspendues au dessus du vide, ses œuvres semblent aussi fragiles que leur matériau textile, dont il suffirait de tirer le fil pour les défaire entièrement.
Eva Yi Zhang, galerie Tabula Rasa, salles du rez-de-chaussée.
Rumi Dalle, gallerie Ayyam, salles du rez-de-chaussée.
Aiko Tezuka, Majhi International Art Residency, cour des Fonderies.
Xu Zhen à la MadeIn Gallery : le miroir de la société américaine
Dans les Salons sur Seine de la Monnaie de Paris, un miroir brille de mille feux. Orné de chaînes en métal argenté et doré, cet objet intrigue les passants qui ne peuvent cependant pas y observer leur reflet : sur toute sa surface, le miroir est en effet recouvert de phylactères ironiques et énigmatiques. “I like your looks, you may vote” (“J’aime ton style, tu peux voter”), “What I meant to say was…” (“Ce que je voulais dire, c’est que…”), “Got a knife on you, Nick ?” (“T’as un couteau sur toi, Nick ?”)… Conçue par le célèbre artiste chinois Xu Zhen, également fondateur de la galerie shanghaïenne MadeIn qui expose ladite œuvre sur son stand, le miroir emprunte ses phrases à la culture populaire américaine et les extrait de leur contexte. Le titre lui-même reprend une expression fréquemment employée par Donald Trump lors de sa campagne électorale : “Drain the swamp” – traduisible par “assainir le marécage”, autrement dit “nettoyer” Washington des lobbyistes et d’une prétendue corruption politique. Tous entourés de lourdes et brillantes chaînes métalliques, les messages inscrits sur le miroir reflètent ainsi l’ambiguïté de l’histoire, à la fois trésor et fardeau pour tous ceux qui oseront s’y confronter.
MadeIn Gallery, dans les Salons sur Seine.
À la galerie Peter Kilchman, les mondes parallèles de Shirana Shahbazi
Sur un mur, une photographie au format réduit s’efface derrière son cadre épais en céramique. Pour l’observer, il faut se pencher vers cette sorte de petite fenêtre, au sein laquelle on distingue un décor à priori urbain composé d’un lampadaire et de quelques formes rectangulaires. Mais les couleurs (du vert, du noir, du rose) déconnectent cette image de la réalité et font écho à celle des larges clichés saturés exposés juste à côté, peuplés de figures féminines flottant dans un espace entrecoupé, lui aussi, de lignes géométriques. Leur auteure, Shirana Shahbazi, crée ces images en utilisant des techniques traditionnelles d’impression photographique, telles que la lithographie ou l’argentique. Celles-ci lui permettent de coupler plusieurs compositions en une seule, et générer ces images à la fois tangible par leurs formes réelles, et fictives par leurs associations. Sembables à des peintures, les photographies de Shirana Shahbazi jouent de collages et de montages surprenants, nous invitant à décrypter chaque morceau composant l’image : ici des mouettes, là une fenêtre, un parking, une petite fille, un canapé abandonné dans une rue…
Galerie Peter Kilchman, Salons sur Seine.
Asia Now 2023, du 20 au 22 octobre à la Monnaie de Paris, Paris 6e.