Disparition de l’architecte Ricardo Bofill : hommage en 5 bâtiments exceptionnels
Il est l’un des architectes contemporains les plus renommés au monde. À 82 ans, Ricardo Bofill vient de s’éteindre des suites de complications liées au Covid-19, comme l’annonçait ce vendredi sa famille à l’AFP. L’occasion de reparcourir la vaste carrière du Barcelonais né en 1939, considéré comme l’un des chefs de file de l’architecture post-moderne. De l’ensemble d’appartements rose pastel de La Muralla Roja à Calp aux espaces Abraxas à Noisy-Le-Grand, utilisés notamment comme décor dans un film de la saga Hunger Games, en passant par La Fábrica, immense cimenterie en banlieue de Barcelone qu’il a réhabilitée avant d’y installer ses studios, Numéro revient sur cinq œuvres emblématiques de l’homme qui métamorphosait les paysages urbains en décors de cinéma et les bords de mer en lieux de vie poétiques.
Par Yasmine Lahrichi.
Depuis la fin des années 1960, Ricardo Bofill embellit par ses bâtisses les paysages de l’Europe et du pourtour méditerranéen. Son empreinte importante sur ces différents territoires se traduit par son style particulier classé dans le postmodernisme. Préconisant un retour à l’ornement, aux références historiques et au mélange de styles, le postmodernisme est difficile à évoquer sans aborder le travail de ce prodige qui a révolutionné l’architecture grâce à ses bâtiments éclectiques et hors normes. Si leur auteur a déjà lui-même exposé son travail dans deux ouvrages (L’architecture d’un homme en 1976, L’architecture des villes en 1995), les éditions Gestalten lui rendent à leur tour hommage en 2019 en publiant Ricardo Bofill, Visions of Architecture, une livre qui recense les bâtiments clés de sa carrière foisonnante longue de plus de 50 ans.
1. La Fábrica (dans la banlieue de Barcelone)
Eucalyptus, palmiers, oliviers, mimosas… Au cœur de ce paysage idyllique se niche La Fábrica, une ancienne usine de ciment située dans la banlieue de Barcelone. Ce bâtiment curieux, bétonné, composé d’arcs en plein cintre et de formes cylindriques est probablement le projet le plus personnel de Bofill. En effet, c'est en 1973 qu'il y implante le studio de Taller de Architectura, pour y regrouper des architectes, des économistes, des critiques et des poètes qui l’assistent dans son œuvre. Pourtant, ce lieu aux allures paradisiaques n'a pas toujours été ainsi : l'effort fourni par Ricardo Bofill pour redonner vie à cette ruine industrielle catalane des années 20 laissée à l’abandon, tout en conservant sa structure architecturale, relevait du défi. Aujourd’hui, elle accueille non seulement le studio de Ricardo Bofill, mais également une résidence privée ainsi que des espaces d’expositions.
2. La Muralla Roja (Calp, Espagne)
Placée sur une montagne mesurant près de 330 mètres de haut, la Muralla Roja est un ensemble de 50 appartements peint en rose, ocre, bleu ciel et indigo contrastant avec le paysage environnant de la Costa Blanca. À l'origine de ce projet réalisé en 1973, le profond attrait de Bofill pour l’architecture de la région méditerranéenne et, en particulier, pour l'architecture de type mauresque. En effet, les principales villes d'Afrique du Nord sont dotées de casbahs, ensembles citadins composés de murs défensifs à l'extérieur et de rues étroites à l'intérieur. En référence à ce style, Bofill entoure ses bâtiments de remparts et s'inspire de l’aspect sinueux des ruelles, qui séparent les habitations superposées et mitoyennes.
3. Family House (Montràs, Espagne)
Également appelée Casa de Verano, la Family House de Ricardo Bofill incarne la maison de vacances idéale. Cette demeure nichée dans la campagne catalane a été réalisée en 1973 pour y loger ses proches. Sa particularité réside dans sa composition : il ne s'agit pas d'une résidence unique, mais de plusieurs pavillons privés dédiés à chaque membre de la famille Bofill. Ces derniers entourent une piscine surprenante aux carreaux rouges qui teignent l’eau de cette couleur, apportant au tout une forme de théâtralité qui contraste avec le vert des cyprès et les briques ocre.
4. Les Espaces d’Abraxas (Noisy-le-Grand, France)
À seulement quelques kilomètres de Paris, les Espaces d’Abraxas, réalisés par l’architecte en 1983 dans la ville de Noisy-le-Grand, subjuguent les passants qui y ressentiraient un curieux sentiment de déjà–vu. En effet, ce lieu digne d’un plateau de cinéma a justement été choisi pour faire office de lieu de tournage pour le quatrième volet de Hunger Games (2014) ou encore au long-métrage Brazil de Terry Gilliam en 1985. Sa forme circulaire semblable au Colisée, ses colonnes et ses frontons rappellent également l’architecture gréco-romaine, bien que la monumentalité apporte au tout des allures futuristes. Grandiose, cet ensemble est non seulement composé d’un théâtre et d’une place gigantesque, mais également d’ El Palacio, un immeuble d’habitation qui compte pas moins de 18 étages.
5. Xanadú (Alicante, Espagne)
Ce bâtiment stupéfiant dont le nom fait référence à la résidence de Charles Foster Kane (le fameux Citizen Kane éponyme du film d’Orson Welles), est un projet réalisé sur Le Peñón de Ifach (pic rocheux dominant la ville de Calp), en 1971, par l’ensemble du studio de Ricardo Bofill. Ensemble de 18 appartements privés en bord de mer à quelques mètres de la Muralla Roja, il se caractérise par sa couleur vert lichen, ses formes géométriques en saillie ainsi que la forme de ses fenêtres tantôt arquées tantôt en circulaires. Si l’irrégularité de la bâtisse lui apporte un aspect foncièrement moderne, ses toits de couleur terracotta rappellent les habitats de la campagne espagnole qui apparaissent non loin dans le paysage.
[Article publié pour la première fois le 28 mars 2019]