19 juil 2023

Interview de Vanessa Paradis, à l’affiche de Juniors : « Il y a des films que j’aurais dû faire pour ma carrière que je n’ai pas faits »

Vanessa Paradis est l’une de nos icônes hexagonales les plus attachantes, les plus douées, et l’une des rares à avoir réussi au cinéma, comme dans la chanson, mais elle reste aussi une artiste qui sait se remettre en question et oser des projets anticonformistes. Cette semaine, elle est à l’affiche de Juniors, un teen movie rural impertinent mettant en scène deux ados qui inventent une maladie grave pour récolter de l’argent via une cagnotte en ligne afin de se payer une nouvelle console. L’occasion de rencontrer en tête-à-tête l’actrice et le réalisateur de cette comédie cruelle, tendre et touchante, Hugo P. Thomas, pour nous parler de l’adolescence, ce moment où tout se joue, et la difficulté d’êtres parents.

propos recueillis par Violaine Schütz.

Elle a beau avoir commencé sa carrière très tôt, l’actrice, chanteuse et ambassadrice Chanel française iconique Vanessa Paradis fascine et surprend toujours, enchaînant les aventures palpitantes et audacieuses. Et ne se reposant jamais sur ses lauriers. Productrice de films porno gays dans le film décalé, sanglant et osé Un couteau dans le cœur de Yann Gonzalez (2018), elle apparaît de nouveau dans un projet anticonformiste. Un teen movie rural impertinent, très loin du politiquement correct, intitulé Juniors et réalisé par Hugo P. Thomas (Willy 1er). La star gracile et glamour âgée de 50 ans y interprète le rôle de la mère – une infirmière débordée, absente mais aimante – de Jordan, un adolescent de 14 ans, qui s’ennuie dans un petit village (le très morne Mornas). En compagnie de son ami Patrick, ce dernier fait croire qu’il est atteint d’un cancer pour récolter de l’argent via une cagnotte en ligne afin de s’acheter une nouvelle console, la leur ayant rendu l’âme. Alors que le long-métrage, qui marche dans les pas des comédies acides et tendres de Riad Sattouf, sortira ce mercredi 26 juillet, on a rencontré l’une des plus attachantes étoiles hexagonales accompagnée du prometteur réalisateur français.

 

Interview de Vanessa Paradis et du réalisateur du film Juniors, Hugo P. Thomas

 

 

Numéro : Vanessa, qu’est-ce qui vous a attirée dans ce film ?

Vanessa Paradis : J’ai accepté ce rôle parce que j’ai adoré le scénario d’Hugo. L’histoire m’a profondément touchée et fait rire. Ensuite, j’ai rencontré Hugo et son envie de cinéma était tellement belle que ça donnait très envie. Il parlait de son film et du cinéma d’une manière qui invitait à lui faire confiance et à le suivre. C’est quelqu’un qui est rempli de passion et d’ idées, malgré sa timidité. J’avais vu son premier film, Willy 1er (2016), coréalisé avec d’autres personnes et je pouvais déjà sentir d’où il venait, comprendre son ADN de cinéaste. Mais, là, c’était son premier film à lui, son scénario. Donc, il y avait quand même quelque chose à découvrir. Ce qui m’a aussi séduite, c’était le très joli rôle qu’il me proposait, de maman seule à élever son fils. Et puis j’ai tellement aimé l’histoire de ce personnage central d’ado et de toute sa bande, leur maladresse, leurs mensonges, les malentendus. Ils sont complexés, mais ils ont quand même envie de se sentir bien, de plaire, d’être heureux, de s’amuser, et surtout d’arrêter de s’ennuyer. Tout ça, ce sont des choses qu’on a tous vécues, donc on peut totalement s’identifier.

 

« Je n’ai pas de plan de carrière. Il y a des films que j’aurais dû faire pour ma carrière que je n’ai pas faits. » Vanessa Paradis

 

Ce film brise les règles de bienséance notamment dans sa façon d’aborder la maladie. Vanessa, était-ce une manière de vous éloigner d’un cinéma plus mainstream, à l’image de la comédie L’Arnacœur (2010) ?

Vanessa Paradis : Pas du tout. J’ai tellement aimé faire L’Arnacœur. Je choisis mes rôles en fonction de l’histoire, du réalisateur ou de la réalisatrice. Au cinéma, mes goûts sont très éclectiques. Je n’ai pas de plan de carrière. Il y a des films que j’aurais dû faire pour ma carrière que je n’ai pas faits.

 

Hugo, pourquoi avoir fait appel à Vanessa dans ce rôle d’infirmière et mère célibataire ?

Hugo P. Thomas : Avec mon premier film, Willy 1er, j’avais déjà fait l’expérience de tourner avec des acteurs non professionnels et une actrice chevronnée, Noémie Lvovsky. Ça m’avait beaucoup plu et j’avais envie de reproduire la même démarche parce ça me touche de mélanger acteurs, adolescents et adultes, non professionnels et actrice aguerrie. Je trouve touchant de voir des gens qui jouent un rôle pour la première fois. Ils ont des étoiles dans les yeux. Et, comme je le lui ai déjà dit de nombreuses fois, je trouve que Vanessa est une très bonne actrice. Je suis toujours un peu fasciné par son côté « icône française », mais en même temps, lorsqu’on pense à elle, elle semble crédible en infirmière habitant à la campagne. Je n’avais aucun problème à l’imaginer ainsi parce que c’est quelqu’un de simple.

Vanessa Paradis : Il a l’air gêné en disant cela, mais moi, je trouve que c’est un compliment d’être simple. Ton image publique peut être un peu écrasante, mais à la base, ma fonction dans un film, c’est d’incarner quelqu’un d’autre. En tant qu’actrice, on est censé pouvoir jouer tous les personnages et pas seulement des personnes qui nous ressemblent.

 

Le fait que Vanessa incarne une infirmière, était-ce une façon de rendre hommage aux soignants, qu’on a applaudis pendant le Covid ?

Hugo P. Thomas : Les hôpitaux sont d’énormes fournisseurs d’emplois, surtout dans certains endroits où personne sur trois travaille soit dans un EHPAD, soit dans un hôpital. Et j’avais besoin de donner une raison à la mère d’être assez absente, dans le film. Je voulais qu’elle ait un métier très prenant. Et c’est vrai qu’ensuite, le Covid est arrivé, ce qui a donné une autre dimension au rôle.

« L’adolescence, c’est vraiment le moment charnière dans la vie de chacun où on va devenir adulte et tout se joue : il y a l’amour et la sexualité qui commencent à prendre corps. On a envie de plaire à quelqu’un, mais on ne s’aime pas du tout. » Vanessa Paradis

 

Dans ce film, il y a de multiples thèmes : l’ennui dans un village rural qui pousse à faire des choses insensées, le harcèlement scolaire, l’amitié… Comment décririez-vous ce long-métrage ?

Vanessa Paradis : C’est un film qui parle de la volonté de sortir de l’ennui, avec des personnages d’adolescents qui se demandent comment atteindre quelque chose qui a l’air inatteignable. Les deux garçons veulent une nouvelle PlayStation, alors qu’ils n’ont pas d’argent. Ils n’arrivent même pas à réparer leur vieille console, à qui ils ont donné un petit nom… L’adolescence, c’est vraiment le moment charnière dans la vie de chacun où on va devenir adulte et tout se joue : il y a l’amour et la sexualité qui commencent à prendre corps. On a envie de plaire à quelqu’un, mais on ne s’aime pas du tout. Et si on se place au niveau du personnage de la mère, le film montre à quel point c’est dur d’être une maman seule et d’élever un enfant, encore plus lorsqu’il s’agit d’un adolescent. Quand on est mère, il y a des choses qu’on ne peut pas comprendre chez un jeune garçon. J’ai été touchée par cette mère qui n’est pas présente, mais qui reste absolument aimante. Elle doit travailler 12 heures par jour pour arriver à nourrir son fils et à se nourrir elle-même, ce qui la rend héroïque. Et elle ne fait pas n’importe quel métier. Je peux simplement imaginer à quel point c’est prenant et éprouvant de travailler dans un hôpital et de soigner des gens qui souffrent, de s’occuper de patients qui vont peut-être mourir…

 

Sauf qu’en aidant les autres, elle n’est pas là pour son fils et ne voit pas qu’il est en train de mentir pour récolter de l’argent…

Vanessa Paradis : Oui, comme elle n’est jamais à la maison, elle ne voit pas ce qui se passe chez elle, et communique avec son fils à travers des Post-it déposés sur le frigo. Il y en a plein des femmes comme ça, et des hommes aussi, qui élèvent seuls leurs enfants. On pourrait se dire que comme son fils a 14 ans, et qu’elle n’a plus à l’emmener à l’école et à le suivre, partout, qu’elle a accompli sa part du travail et peut lui laisser son indépendance. Mais en même temps, ce sont aussi les adolescents eux-mêmes qui disent « niet » à cet âge-là, et qui ne veulent pas de toi. Donc, il y a forcément un tas de choses auxquelles tu n’as pas accès. Tu ne les accompagnes plus chez leurs petits copains, donc tu ne sais pas dans quelle maison ils traînent, qui sont les gens dans ces maisons. C’est vraiment un moment très bizarre dans la vie des ados comme des parents. 

 

Avez-vous puisé dans votre adolescence, mais aussi dans votre expérience en tant que parents (Vanessa Paradis a eu deux enfants avec Johnny Depp, Lily-Rose Depp et Jack John Christopher Depp III), pour accoucher de ce film ?

Hugo P. Thomas : J’ai complètement puisé dans mon adolescence pour écrire ce scénario. J’ai aussi passé une partie de ma jeunesse à la campagne sauf que je n’étais pas obsédé par une console mais par le cinéma. Je demandais à tout le monde de faire des courts métrages avec moi, mais ça saoulait tout le monde. J’avais quelques cobayes, mais ça n’allait jamais très loin. Je me sentais un peu seul dans cette passion et j’avais l’impression que c’était inaccessible. J’ai failli passer à côté, car on finit par se mettre nos propres barrières et par se dire que nos rêves sont impossibles. En tant que père, je détesterais que mes enfants croient que certaines choses sont impossibles. Et les pires barrières, ce sont souvent celles que l’on se met à soi-même, et qu’on finit par croire.

« Je me souviens tellement d’avoir dû me fâcher avec mes enfants et d’avoir alors l’impression d’être en train de me punir moi-même. » Vanessa Paradis

 

Vanessa Paradis : Ce personnage est avant tout une création. Je n’ai pas forcément, comme la maman du film, confisquer des choses (le personnage joué par Vanessa Paradis confisque des câbles pour empêcher son fils d’avoir accès à son téléphone, quand elle découvre qu’il a inventé être malade pour récolter de l’argent afin de s’acheter une nouvelle console, ndlr). Et si tu dis à tes enfants : « Ça suffit maintenant, tu es puni, va dans ta chambre », ce n’est pas vraiment une punition car dans leurs chambres, il y a beaucoup de jouets, de musique… Je me rappelle ce à quoi j’ai pensé parfois, sur le tournage, durant certaines scènes. En fait, tu es obligé, parfois, pour éduquer ton enfant, de monter le ton, de te fâcher avec lui, voire de le punir. Sauf que ce sont les personnes que tu aimes le plus au monde, et ce sont les dernières personnes à qui t’as envie de parler comme ça. Tu n’as pas envie de te fâcher avec eux. Je me souviens tellement d’avoir dû me fâcher avec mes enfants et d’avoir alors l’impression d’être en train de me punir moi-même. Je n’avais qu’une envie, c’était de rigoler avec mes enfants et pas du tout que l’on passe un sale moment. Les punitions, nos enfants vont s’en rendre compte après, quand s’ils deviennent parents, c’est nous que ça punit. C’est tout sauf naturel et atroce. Il y a un truc très drôle aussi, dont on rigole souvent avec des copines, c’est ce moment où tu dis à ton enfant, pris dans la fureur : « Tu es puni pendant 8 heures. » Enfin, je n’ai jamais dit 8 heures, mais c’est l’idée (rires)… Sauf qu’ensuite, tu te dis : « Mais pourquoi j’ai annoncé 8 heures ? Comment je vais faire pour ne pas lui parler pendant aussi longtemps ? » Tu n’as pas du tout envie de te fâcher avec les enfants mais pour leur bien-être, il le faut.

Hugo P. Thomas : D’ailleurs, plusieurs fois, j’ai dit à Vanessa : sois plus sévère avec ton fils dans le film. J’entrevoyais un peu le genre de mère qu’elle devait être et je pense que ce n’est pas la plus sévère.

Vanessa Paradis : C’est vrai, je me suis fait violence, sur le tournage, pour être dure. Mais dans la vraie vie, je ne pense pas avoir laissé passer des dangers.

 

Dans le film, on vous voit, Vanessa, en train de danser et chanter sur un morceau du groupe IAM en faisant le ménage. On est assez éloigné de votre registre en tant que chanteuse…

Vanessa Paradis : Ce n’est pas parce que je chante de la variété française que je n’écoute que de la variété française. J’adore IAM d’ailleurs. Quand on aime la musique, on aime pratiquement tous les genres de musique. Cette scène était totalement écrite, j’ai juste improvisé les mouvements de danse que son fils trouve affligeants, quand il l’a surprend dans le salon.

 

Quel est votre teen movie préféré ?

Hugo P. Thomas : Je dirais Breakfast Club (1985) ou Lady Bird (2017) qui est d’une grande intelligence « cachée » car il s’avère très profond derrière sa légèreté.

Vanessa Paradis : Je pourrais dire, Les Beaux Gosses (2009), que j’adore mais il y a aussi Le Nouveau (2015), qui est génial. C’est une bande de mômes du collège, de « loosers » sublimes, malmenés par les élèves populaires et jamais invités aux soirées, qui décident d’organiser leur fête. C’est un film délicieux et très drôle, avec des acteurs magnifiques dont c’était sans doute le premier rôle.

Hugo P. Thomas : D’ailleurs, il me semble avoir lu une interview du réalisateur de ce film qui disait avoir été chahuté par les jeunes acteurs, sur le tournage. Cela m’a un peu fait peur quand je me suis lancé dans Juniors (rires).

 

Juniors (2023) d’Hugo P. Thomas, au cinéma le 26 juillet 2023.