Mostra de Venise 2023 : Maggie Gyllenhaal et Ava DuVernay réfléchissent à l’avenir du cinéma avec Miu Miu

Dans un festival de la Mostra de Venise marqué par la sélection de trois réalisateurs accusés d’agressions sexuelles et/ou de viol (Roman Polanski, Luc Besson, Woody Allen), Miu Miu a proposé une autre voie (et d’autres voix) avec sa nouvelle édition des Women’s Tales. Mise en pratique depuis 2011, l’idée de Miuccia Prada tient en quelques mots devenus essentiels : donner le pouvoir aux réalisatrices. Le tout au rythme des étés et des hivers, puisque les vêtements des personnages féminins sont puisés dans la collection prêt-à-porter Miu Miu du moment. Vingt-six cinéastes se sont succédées pour réaliser un court-métrage au sujet libre, parmi lesquelles des noms aussi prestigieux que Ava DuVernay, Agnès Varda, Alice Rohrwacher, Lucrecia Martel, Haifaa al-Mansour, Lynne Ramsay, Kaouther Ben Ania, Miranda July, Naomi Kawase ou encore Mati Diop. 

L’édition 2023 des Miu Miu Women’s Tales de la Mostra de Venise avec la réalisatrice Antoneta Alamat Kusijanović

Cette année, la cinéaste croate Antoneta Alamat Kusijanović (Caméra d’or au Festival de Cannes 2021 avec Murina) a été choisie. En vingt minutes, son film Stane condense les dilemmes et difficultés d’une femme d’origine croate qui hérite de l’entreprise de ses parents à New York. Mais cette famille incarne une forme d’oppression insupportable, surtout le patriarche. Antoneta Alamat Kusijanovic filme les état du corps de son personnage qui doit, selon les mots de la comédienne Danica Curcic, « décider de partir ou bien récupérer ce qu’elle a toujours voulu ». Entre fuite et transmission, sa liberté n’est pas simple à trouver. Une manière pour la réalisatrice d’évoquer l’idée du pouvoir au féminin. « Pour moi, le pouvoir ne peut pas être donné aux femmes. Car si on leur donne, on peut aussi vouloir leur reprendre. Les femmes doivent prendre le pouvoir par elles-mêmes. » Stane capte alors l’étincelle intérieure de son héroïne derrière les apparences et les obligations. « Chez certaines femmes, sous une armure masculine liée au pouvoir se déploie quelque chose de sensuel et de vorace« , ponctue la jeune réalisatrice.

Rencontre avec Ava DuVernay et Maggie Gyllenhaal à la Mostra de Venise 2023

Le pouvoir, Maggie Gyllenhaal et Ava DuVernay ont pu donner la sensation de le toucher du doigt, la première en marquant l’histoire du cinéma indépendant et des séries (La Secrétaire, The Deuce) avant de devenir réalisatrice avec le très réussi The Lost Daughter ; la seconde en enchainant les réalisations remarquées, de Selma à son nouveau film Origin, présenté cette semaine à la Mostra. Mais leur discussion avec la costumière et productrice de films de Baz Luhrmann, l’australienne Catherine Martin, a mis en lumière à quel point les progrès dans le domaine de l’égalité raciale et genrée restent insuffisants.

En 2018, la Mostra de Venise signait un accord prônant l’égalité entre hommes et femmes dans les sélections de films. Pourtant, cette année, seules 5 réalisatrices connaissent les honneurs de la compétition, contre 18 hommes. « Des papiers sont signés, mais pas respectés, a réagi Ava Duvernay. Origin est projeté cette semaine et c’est la première fois qu’un film réalisé par une femme noire américaine est sélectionné en compétition à Venise. Est-ce que vraiment, pendant 80 ans, aucune femme noire américaine n’a réalisé un travail digne d’être montré ici ? Je pense aussi à tous ces films qui n’ont tout simplement pas pu se faire, et cela me donne envie de pleurer. » La réalisatrice a ensuite défendu les quotas (« Sans eux, je ne serai probablement pas là ») et décrit sa manière d’évoluer dans un monde du cinéma peu ouvert à la diversité. « Il est violent de constater que seulement 2% des cinéastes aux Etats-Unis sont des femmes noires (…) J’aime créer mes propres petits espaces de liberté, et en même temps, rester dans le mainstream pour chercher plusieurs angles d’action possibles. »

« Je pense que certaines femmes réalisent des films ou écrivent des romans un peu différemment des hommes. Elles me parlent, à moi, de façon plus intime. » Maggie Gyllenhaal

La chef décoratrice et costumière Catherine Martin a suivi Ava DuVernay dans la défense des quotas  “Ils sont très importants car ils ouvrent des portes, et donnent aux jeunes filles l’idée que quelque chose est possible”, tandis que Maggie Gyllenhaal, qui travaille actuellement à un second film en tant que réalisatrice dont elle n’a pas dévoilé les détails si ce n’est qu’elle entrait « en territoire sauvage », a offert son point de vue éclairé sur la question posée par Miuccia Prada à travers Miu Miu Women’s Tales : y-a-t-il un art féminin ? « Je pense que certaines femmes réalisent des films ou écrivent des romans un peu différemment des hommes. Elles me parlent, à moi, de façon plus intime. Dans La leçon de Piano de Jane Campion, l’image de Holly Hunter avec la cheville attachée à son piano, au fond de l’eau, ne m’a jamais quittée. Nous avons appris le langage des hommes, mais on peut aussi en imaginer un autre. »

La sœur de Jake Gyllenhaal a estimé rendre compte à travers ses films « le plus honnêtement possible » de son « expérience féminine« , regrettant que d’autres ne puissent pas le faire car « il n’y a pas assez de femmes derrière la caméra. » La Newyorkaise a finalement évoqué son intuition pour assurer l’avenir d’un mouvement féminin au cinéma. « Je m’intéresse à la façon dont les femmes soutiennent les autres femmes, car cela me parait central. Je suis convaincue que nous devons voir les films des autres avec curiosité, empathie et compassion, alors que la société nous a appris à entrer en compétition pour le petit lopin de terre laissé par les hommes… »

Le court métrage Stane (2023) d’Antoneta Alamat Kusijanovic est disponible sur Mubi et le site de Miu Miu.