Eye Haïdara : l’avocate d’En thérapie à l’affiche de la comédie Brillantes
Révélée par Le Sens de la fête, en 2017, où elle donnait la réplique à Jean-Pierre Bacri, l’actrice française Eye Haïdara a marqué plus récemment par son rôle d’avocate dans la série En thérapie. On la retrouve actuellement au cinéma dans la comédie Brillantes de Sylvie Gautier, où elle incarne le rôle d’une femme de ménage en résistance contre son patron.
Étoile montante du cinéma français, cette actrice parisienne à l’aura magnétique a marqué les esprits dans Le Sens de la fête, en 2017, où elle donnait la réplique au regretté Jean-Pierre Bacri. Plus récemment, elle démontrait aussi toute la finesse de son interprétation sur les planches, au théâtre de l’Atelier, dans l’adaptation du best-seller Sorcières de Mona Chollet. Éblouissante dans son rôle d’avocate ambitieuse et tourmentée dans la série En thérapie, elle se glisse cette fois dans la peau d’une nounou altruiste pour le film Les Femmes du square de Julien Rambaldi, qui vient de sortir en salle.
Eye Haïdara, une actrice révélée par Éric Toledano et Olivier Nakache
Certains rôles s’imposent comme des évidences, des surgissements excitants qui déplacent le centre d’intérêt d’une scène, voire d’un film. Il en est ainsi du personnage d’Adèle, la jeune assistante d’un organisateur de mariage (le regretté Jean-Pierre Bacri) dans Le Sens de la fête d’Éric Toledano et Olivier Nakache. C’était en 2017. Eye Haïdara, qui l’incarnait, a su tirer ses reparties saillantes et son humeur stressée vers des hauteurs qui ont fait d’elle une sorte d’héroïne bis dans cette comédie sociale à succès. L’actrice, qui trouvait là l’un de ses premiers rôles importants, juste après La Taularde d’Audrey Estrougo, a alors pris sa place dans le cinéma français pour ne plus jamais la laisser. Appartenir au milieu, avec la sécurité que cela peut apporter, la comédienne trentenaire n’en fait pas grand cas. Mais elle confesse avoir quand même éprouvé un petit vertige l’été dernier, lors d’un festival à Angoulême. “Dans l’hôtel où tout le monde était logé, je partageais la table de personnalités du cinéma français que je voyais sur les écrans depuis mon enfance ! J’ai eu un petit moment de recul où je me suis dit : ‘Ça y est, je suis entrée dans le monde du travail.’ J’étais dans le game, comme diraient les jeunes.”
De la nomination aux César à la série En thérapie
Depuis sa nomination au César du meilleur espoir féminin en 2018, Eye Haïdara impose le mélange captivant de verve et de mélancolie qui la caractérise. On l’a vue dans la brillante deuxième saison d’En thérapie, adaptation française d’une série israélienne faite de longues conversations entre un psy et ses patients. L’actrice y campe Inès, une talentueuse avocate qui se confie, dans le cabinet du docteur Dayan (Frédéric Pierrot), sur son rapport contrarié à la maternité. En évoquant ce personnage émouvant et tendu, Eye Haïdara rappelle qu’elle est devenue mère il y a cinq ans et saisit l’occasion de clarifier sa philosophie de jeu. “On ne joue pas pour de faux et on met beaucoup de nous-mêmes dans nos personnages, mais pas forcément à l’endroit où les autres s’y attendent. Le public ne perçoit peut-être que les choses un peu faciles, les questions liées à l’origine… Dans le cas d’En thérapie, j’ai pu discuter avec les autrices pour m’approprier le rôle d’Inès.” La jeune femme va encore plus loin. “L’humain m’intéresse, donc je m’implique pour être au plus proche de ce que j’ai à jouer. Je dirais, pour être plus précise, que je suis à la fois proche et loin de moi. C’est une dynamique contradictoire qui trouve son sens quelque part.”
Une actrice inspirée par Charlotte Gainsbourg, Julia Roberts, Meryl Streep ou encore Catherine Frot
Ce proche et ce lointain fonctionnant en simultané, Eye Haïdara les éprouve depuis sa petite enfance. Dans sa famille, le cinéma n’avait pourtant rien d’une religion, même si elle se souvient d’avoir assisté à des projections avec son père, adepte des films classiques et des cow-boys. Son instituteur de CP lui a transmis le virus du jeu, dès son entrée à l’école primaire dans le XVIIe arrondissement de Paris, où elle a grandi. “C’est grâce à lui que j’ai connu la passion du théâtre. Il nous mettait sur les planches pour réciter nos poésies et faire de petits spectacles. J’ai aimé cela tout de suite, c’était mon activité, comme d’autres font du judo. Je n’avais pas encore conscience que je pourrais en faire un métier.”
Cette idée viendra bien plus tard à force de constater qu’elle gravite toujours vers les mêmes plaisirs, presque malgré elle. “Plus j’ai grandi, plus le jeu a pris de la place dans mon quotidien. D’autres choses me faisaient aussi envie : devenir avocate, juge pour enfants, institutrice ou même sportive. Faire de ma passion mon métier s’est finalement imposé après une phase où je me suis sentie un peu malheureuse de ne pas jouer assez. J’avais autour de 20 ans.” Eye Haïdara étudie alors les arts du spectacle à la Sorbonne et s’inscrit aux cours de l’école Acting International, avant de courir les castings parisiens. Un passage complexe pour toute apprentie comédienne, encore plus difficile quand on est une jeune femme noire – d’origine malienne – dans une industrie encore très peu inclusive. Ses modèles, à l’époque, s’appellent Charlotte Gainsbourg (“Quand j’ai vu L’Effrontée, j’ai été subjuguée, je voulais faire cela”), Julia Roberts, Meryl Streep ou encore Catherine Frot. “Je m’intéresse aussi beaucoup aux voix, comme celles de Myriam Boyer et de Fanny Ardant.”
Eye Haïdara, un goût marqué pour le théâtre et le cinéma engagés
Eye Haïdara trouve un sens plutôt inattendu à ses années de formation, en estimant que ce qu’elle appelle ses échecs l’ont protégée. “Ne pas obtenir certains rôles m’a permis d’éviter quelques écueils. Quand on a 20-25 ans, on trouve que ça ne va pas assez vite, on passe tous les castings. À ce moment-là, on me proposait énormément de personnages de filles noires. Il y a beaucoup de mauvaises choses auxquelles j’ai donc échappé, et tant mieux ! Avec le recul, maintenant que j’ai fait un peu de chemin, notamment au théâtre, je peux me dire cela. On me propose à présent des rôles qui peuvent être joués par un panel d’actrices diverses et variées, pas forcément noires. Dans la version israélienne d’En thérapie, Inès n’est pas noire. Je pense que c’est vraiment un choix de personne qui a conduit à me proposer ce personnage et cela me flatte beaucoup.”
L’actrice se dit sensible à un cinéma social, voire engagé, avec pour phares les films de Ken Loach et des frères Dardenne, dont elle est allée voir Le Gamin au vélo deux fois de suite. “J’aime le cinéma qui met en lumière des gens qu’on croise au quotidien et dont on ne parle pas”, explique-t-elle en évoquant son dernier film, Les Femmes du square, de Julien Rambaldi, dont les héroïnes sont des nounous. Eye Haïdara a acquis assez d’expérience – y compris au théâtre, où elle se produit encore dans l’adaptation de Sorcières de Mona Chollet – pour choisir des projets qui lui ressemblent, même si, intérieurement, elle continue de douter. Ainsi, elle révèle en toute franchise son manque chronique de confiance en elle. “J’aime ma place sur l’écran, mais je n’ai pas confiance en moi. Pour Le Sens de la fête, je n’ai pas réussi à croire que j’allais être dans le film jusqu’au moment où je l’ai vu sur écran. Je pensais que j’étais trop nulle, que Toledano et Nakache allaient me couper au montage. Même aujourd’hui, je refais dans ma tête des scènes de films que j’ai déjà tournés, en me disant que j’aurais dû les faire autrement… Je ne serai jamais entièrement satisfaite, mais j’avance.”
Une actrice adoubée par Jean-Luc Godard
L’un des premiers à lui avoir fait confiance s’appelle Jean-Luc Godard, décédé au début de l’automne. Avec lui, elle a tourné Film Socialisme, présenté en compétition au Festival de Cannes 2010. En toute honnêteté, elle se souvient des “textes incompréhensibles” qui faisaient office de scénario lors du tournage dans la petite commune suisse de Rolle, mais aussi d’un moment hors du temps avec l’auteur d’À bout de souffle, qu’elle qualifie de “petit papy visionnaire”. Godard lui a offert la caméra DV avec laquelle elle joue dans le film. “Il voulait que je la casse dans une scène et, voyant que cela m’embêtait, il a proposé de me la donner. Il avait réalisé un film entier avec et projetait d’en tourner un autre seulement avec un portable. Je me suis dit qu’il était rock.” Un jour, le cinéaste mythique accepte qu’elle assiste à l’une de ses leçons de tennis. Elle le filme durant une heure et, quand le cours se termine, l’octogénaire lui lance : “Jean-Luc Godard qui joue au tennis, ça va finir sur YouTube, ça !” Plus d’une décennie après ce moment, Eye Haïdara n’en revient toujours pas. “D’où il connaissait YouTube ? Je lui ai donné la cassette, mais j’ai gardé la caméra.” Quand on lui demande si elle l’a conservée et à quel endroit, elle nous répond du tac au tac, grand sourire aux lèvres : “Je sais exactement où elle est mais je ne vous le dirai pas.”
“Brillantes” de Sylvie Gautier (2023), en salle.
“En thérapie” d’Eric Toledano et Olivier Nakache, saison 2 (2022) disponible sur Arte boutique.