6 oct 2023

Interview à cœur ouvert de Laetitia Casta sur son rôle dans le film choc Le Consentement

Si sa beauté, à couper le souffle, s’avère solaire, et son aura, à la fois glamour et juvénile, c’est vers des rôles de plus en plus troubles, complexes et fascinants que la mannequin et actrice Laetitia Casta se tourne. Rencontre avec une icône, qui, à 45 ans, délivre sa performance la plus puissante en incarnant la mère de l’écrivaine, Vanessa Springora, dans le film choc Le Consentement, diffusé ce mardi 30 avril 2024 sur Canal+.

propos recueillis par Violaine Schütz.

En 2020, quand le livre de Vanessa Springora, Le Consentement, arrive en librairie, il fait l’effet d’une déflagration, d’un séisme. Il s’agit sans doute de l’une des secousses les plus importantes du mouvement #MeToo en France. Et pas seulement dans le milieu de l’édition. L’auteure y raconte, avec lucidité et brio, sa relation faite d’emprise et de violence avec l’écrivain Gabriel Matzneff, qui avait 49 ans (et elle 13 ans), lors de leur première rencontre. Un ouvrage bouleversant, qui se voit adapté en 2023 au cinéma par Vanessa Filho (Gueule d’ange) avec Kim Higelin et Laetitia Casta dans le rôle de la mère de Vanessa Springora. Là encore, Le Consentement fait parler de lui, rencontrant un beau succès en salle en raison du bouche à oreille TikTok.

 

Dans ce film, la mannequin et comédienne Laetitia Casta impressionne avec l’une de ses performances d’actrice les plus troublantes et subtiles, apportant de la complexité et de l’humanité à cette femme tourmentée et dépassée par les évènements, qui a peur de perdre sa fille. Une femme qui se comporte aussi de manière ambiguë face à la relation toxique entretenue par sa fille et Gabriel Matzneff, influencée par son milieu complaisant : celui de la littérature.

 

L’icône de la mode et du cinéma, âgée de 45 ans, nous raconte comment elle s’est glissée dans la peau ce personnage incompris et nous dévoile les coulisses d’une partition digne d’une Gena Rowlands hexagonale qui mériterait un César.


Interview de l’actrice Laetitia Casta, à l’affiche du film choc Le Consentement

 

Numéro : Le Consentement est un livre qui parle d’un sujet très difficile. Aviez-vous des appréhensions avant de jouer dans son adaptation au cinéma ?

Laetitia Casta : J’avais l’appréhension de la nuance. Comment trouver la nuance et la complexité face à des situations aussi difficiles de la vie. Je voulais aussi rendre justice à cette mère, que j’interprète. Parce qu’au moment de la sortie du livre, elle a été dépeinte comme un monstre, une mère horrible. Dès qu’il y a un problème, tout de suite, on dit que c’est la faute de la mère. Sauf que l’autorité paternelle n’existe absolument pas. Le père a totalement disparu et il s’agissait d’un père assez caractériel qui a totalement abandonné sa fille. Tout ça est complexe et j’ai commencé à creuser, en lisant le bouquin, pour savoir comment l’incarner. La mère y est décrite, elle est présente, bien sûr, mais elle n’est pas mise en relief, ni nommée.

 

Quelle vision avez-vous de la mère de Vanessa Springora et comment avez-vous abordé ce rôle ?

On ne sait pas d’où elle vient exactement, dans l’ouvrage, ni ce qui se passe vraiment au niveau de sa fragilité. Le fait qu’elle boive et qu’elle sombre vers la dépression ne sont pas des choses décrites telles qu’elles dans le livre Le Consentement. Il y a des choses très intimes que Vanessa n’a pas voulu raconter sur sa mère, par pudeur, par protection. Elles sont très proches. L’inquiétude de Vanessa était pour sa maman. Ce n’est pas facile pour sa mère de voir le film.

« Je suis allée chercher chez la jeune fille que j’ai été pour aborder la relation mère-fille du film. » Laetitia Casta

 

C’est une femme qui a ses propres démons…

Oui, il y avait des indices dans le livre. Il y a aussi le scénario qui contenait des pistes. Vous savez, c’est comme mener une enquête. Jouer un rôle, c’est un parti pris, une partition. Une autre comédienne aurait pu interpréter cette femme d’une autre façon. Ce que j’ai voulu chercher, c’est la fragilité de cette mère. Je me suis dit : « Il y a un truc à raconter à ce niveau-là. » Ça m’a confortée, par la suite, de pouvoir discuter avec Vanessa Springora et de réaliser ce qu’elle avait pu ressentir par rapport à sa mère. Cela correspondait à l’intuition que j’en avais, lors de la sortie du livre, puis de la lecture du scénario. Pour elle, il y a aussi eu une forme d’injustice dans le traitement médiatique de cette mère qui éduque sa fille toute seule, et qui financièrement galère après le divorce. Elle a eu le courage de divorcer, mais elle se retrouve en grande difficulté financière et émotionnelle. C’est une femme qui avait de l’ambition. Et l’ambition, est-ce qu’on peut la reprocher ?

 

La mère de Vanessa Springora était attachée de presse dans l’édition. C’est aussi tout un milieu, très complaisant, que l’on voit dépeint dans le film…

Oui, c’est toute une époque : la seconde partie des années 80. Elle évolue dans le milieu littéraire, qui est un peu particulier. Son travail passe par la mondanité, par des dîners, des rencontres… On voit comment le fait de baigner dans ce milieu de la littérature et de l’art imprègne les personnages, qui laissent se produire des actes répréhensibles au nom de l’amour de l’esthétique et des livres. Il y a tout ce trouble autour de la mère de Vanessa Springora, mais au milieu de cette confusion, on sent qu’elle a tellement peur de perdre sa fille qu’elle va accepter l’inacceptable, au bout d’un moment. Sa fille veut partir de la maison et, pire, lui balance : « Je vais me suicider si tu ne me laisses pas vivre cette histoire. » En plus, le prédateur va monter la fille contre la mère. Il y a quelque chose de très complexe qui se joue entre la mère et la fille, que j’ai essayé de mettre en avant dans mon interprétation.

 

Vous êtes mère de quatre enfants. Avez-vous puisé dans votre expérience de maman pour nourrir certaines scènes – de tension mère-fille – du film ?

J’aurais pu aller dans la direction de mes souvenirs en tant que mère, mais comme je suis très, très éloignée de ce rapport-là avec mes enfants, ça n’a pas été le cas. Disons que j’ai des fragilités, comme tout le monde, mais pas à cet endroit-là. C’est comme ça. Donc, je suis allée chercher chez la jeune fille que j’ai été.

« Je n’ai jamais été bonne élève à l’école et j’espère ne jamais l’être. » Laetitia Casta

 

Vous avez démarré le mannequinat alors que vous étiez adolescente. Votre mère a dû avoir des craintes par rapport aux adultes vous entourant, quand vous avez débuté…

Disons que j’ai été une jeune fille qui est partie très tôt de chez elle, à 14 ans. Je me souviens de la déchirure que j’ai ressenti, d’être séparée de ma mère, qui était très inquiète, quand j’ai dû partir de la maison. J’avais l’impression de presque devenir une étrangère car j’ai grandi en dehors de cette bulle familiale qu’elle avait construite. C’est comme un enfant qui vole de ses propres ailes beaucoup trop tôt alors que ce n’est pas prévu comme ça. J’ai construit ce personnage par rapport à cette affection, à cette fusion, à ce lien très fort que j’avais avec ma mère. J’ai été chercher ça et je m’y suis raccrochée pour aborder le rapport mère-fille du film.

 

Votre performance d’actrice dans Le Consentement est sans doute l’un de vos plus grands rôles. Espérez-vous être nommée aux César ?

D’abord, je n’ai jamais été bonne élève à l’école et j’espère ne jamais l’être. Je vous le dis tout de suite. Je crois que ce qui se passe, c’est dû à l’âge. Je trouve que la vie est compliquée, nuancée, grise. Tout n’est pas noir ou blanc. En plus, on vit dans une époque où tout est assez tranché et un peu radical. Moi, je recherche surtout des rôles qui sont dans la nuance, complexes. Plus c’est fragile, plus c’est trouble, plus ça m’intéresse. Et aujourd’hui, j’ai cette force-là grâce à mon vécu.

 

De quel genre de rôles rêvez-vous ?

Je cherche des rôles qui, peut-être, partent du sombre pour aller vers la lumière. Ce que j’aime, et qui m’intéresse vraiment, c’est l’évolution. L’évolution de l’être, qu’elle se fasse vers le bien ou le mal.

« Vanessa Springora aurait dû être écoutée bien plus tôt. » Laetitia Casta

 

Tourner dans un film comme Le Consentement peut être perçu comme un acte engagé. Son visionnage agit comme une prévention concernant les relations toxiques…

En fait, je crois que le film est vrai. Il y a, quand même, une forme d’esthétisation dans certaines scènes. La réalisatrice du film, Vanessa Filho, est plasticienne à la base. Mais je trouve que c’est nécessaire, parce que si tout ce qui se trouvait à l’écran avait été laid, ça aurait été insoutenable à voir. Déjà, je trouve que le film est très dur à regarder. Mais il est porté par une vérité, une authenticité qui nous ramène à la justesse de la femme et de l’écrivaine qu’est Vanessa Springora. J’ai eu la chance de la rencontrer et c’est quelqu’un d’extrêmement juste, de très délicat dans les mots qu’elle choisit. C’est un exemple et elle aurait dû être écoutée bien plus tôt. 

 

C’est l’une des voix les plus puissantes du mouvement #MeToo. Il y a vraiment un avant et un après Le Consentement dans la libération de la parole…

Et c’est grâce au mouvement #MeToo que le film existe. Quelques années plus tôt, aurait-on pu imaginer un tel film ? Je trouve que c’est un long-métrage politique et éducatif. On devrait même le montrer dans les écoles pour que l’on se rende compte du mécanisme de l’emprise d’un prédateur sur sa victime. Vanessa Filho montre, à l’instar de Vanessa Springora, que ce qui pourrait être vu par certains comme une histoire d’amour très particulière n’en est pas une, parce qu’il la détruit.

 

Et en plus de la maltraiter, il raconte tout dans plusieurs livres…

Oui, il se sert de l’encre de son sang en déployant sa vie, devant tout le monde, dans un récit. C’est pour ça que l’écrivaine va employer les mêmes que lui, au final, pour s’en sortir, en le capturant dans un livre et en écrivant, comme on le voit à la fin du film, Le Consentement. Et ce qui est fou, et incompréhensible, c’est que cet homme, Gabriel Matzneff, est encore protégé aujourd’hui.

 

Le Consentement (2023) de Vanessa Filho, avec Laetitia Casta, Jean-Paul Rouve et Kim Higelin, diffusé le 30 avril 2024 sur Canal+.