Alicia Vikander, the new Lara Croft
Des films d’auteur aux blockbusters, Alicia Vikander, à seulement 27 ans, enchaîne les succès avec brio. Consacrée par un Oscar pour son interprétation dans “Danish Girl”, elle incarnera également la nouvelle Lara Croft sur grand écran.
Propos recueillis par Olivier Joyard.
Dans un documentaire sorti en 2015, Alicia Vikander prêtait sa voix à Ingrid Bergman. Une manière d’assumer sa filiation, au moins théorique, avec l’actrice suédoise la plus iconique de l’histoire de Hollywood. Née à Göteborg, l’égérie Louis Vuitton n’a pas la blondeur de sa devancière, mais certainement son ambition et déjà une grande part de son talent. Sous les spotlights dès son enfance, danseuse émérite, Alicia Vikander a enchaîné les premiers rôles depuis qu’elle a décidé de se consacrer entièrement au cinéma, à l’âge de 20 ans. Dans sa filmographie, les reconstitutions en costume (Royal Affair, Anna Karenine) côtoient les thrillers musclés comme Ex_Machina. Au mois de février dernier, elle est repartie du Dolby Theater avec un Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle, pour sa prestation dans Danish Girl de Tom Hooper. Une victoire surprise, qui a fait d’elle la jeune actrice la plus désirée du moment. Avant que le public puisse de nouveau l’admirer chez l’intéressant réalisateur indie Derek Cianfrance, puis dans la peau de Lara Croft l’année prochaine, Alicia Vikander a accepté de faire le point pour Numéro sur l’année la plus folle de sa carrière, qu’elle traverse à tombeau ouvert.
Numéro : Quelques mois après votre Oscar, êtes-vous revenue sur terre ?
Alicia Vikander : Je traverse une année intense. Beaucoup de mes films sont sortis presque en même temps et j’ai été confrontée aux interviews, exposée comme jamais auparavant, alors qu’au fond, tout ça est une coïncidence ! Cette vague a culminé avec mon invitation pour les Oscars. Je n’arrive toujours pas à croire que j’ai réellement vécu cette soirée incroyable. J’y étais avec ma famille et mes amis, tous venus d’Europe. C’était un moment d’autant plus fort que j’ai grandi en considérant le cinéma de langue anglaise, et particulièrement américain, comme une entité lointaine dans ma vie, fantasmatique. Quand j’étais petite, ma mère mettait le réveil à 2 heures du matin pour regarder les Oscars ! Alors me trouver sur le tapis rouge avec elle… En arrivant, nous nous sommes dit : “C’est fou d’être ici ensemble !” Ensuite, j’ai dansé toute la nuit, et le lendemain matin je suis retournée travailler.
Comme une Cendrillon oscarisée…
Je ne me suis pas encore arrêtée depuis ce jour-là. Je n’ai même pas pu mettre les pieds à la maison, en Suède. J’ai laissé la statuette à une amie, j’espère qu’elle en prend soin [rires].
Vous étiez nommée face à Jennifer Jason Leigh, Rooney Mara, Rachel McAdams et Kate Winslet. Le monde du cinéma vous voit maintenant de manière radicalement différente.
Franchement, quand je tourne beaucoup comme en ce moment, je fais l’autruche. Je me consacre pleinement à mon travail et j’aime cette immersion totale. Je vis ma passion. J’ai peur, je tremble, mais pour les bonnes raisons. Au cinéma, on n’est sûr que d’une seule chose : avec chaque film, on se projette dans quelque chose de totalement neuf, comme si on relançait les dés. La nouveauté est permanente et insaisissable. Bien sûr, je sais que pour quelqu’un de mon âge, un Oscar représente un encouragement hors du commun. Cela montre que je vais dans la bonne direction. Et j’en ai besoin, car je suis très exigeante avec moi-même et n’ai de cesse de progresser. Je n’arrête jamais de me mettre la pression ! En revanche, je suis très bonne pour donner des conseils aux autres et leur dire de ne pas s’en faire, que tout va bien se passer [rires].
Vous avez commencé à travailler en Suède dès l’enfance, dans une comédie musicale produite par deux anciens membres d’Abba. Comment êtes-vous parvenue à trouver votre équilibre, une fois adulte ?
Ma mère était comédienne de théâtre, c’était son métier, mais quand je suis montée sur la scène de l’Opéra de Göteborg à l’âge de 7 ans, je ne considérais pas que je travaillais. J’ai d’ailleurs dû convaincre ma mère, qui avait envie de me protéger. En fait, je prenais le mot “jouer” au sens littéral. Je m’amusais à une échelle plus grande que dans la vraie vie, et c’est encore ce que je fais aujourd’hui. Quand je vois des enfants, je me rends bien compte que, très tôt, les personnalités se dessinent. Certains ont plus envie de jouer que les autres. Avec mes copines, à l’âge de 6 ou 7 ans, on s’amusait beaucoup. Mon environnement était sain et rassurant. Pendant plusieurs années, le théâtre est devenu ma deuxième maison, un foyer.
Vous avez beaucoup pratiqué la danse, à haut niveau.
J’ai été élève du Ballet royal de Stockholm puis à New York – mais je tiens à préciser que j’ai raté l’entrée à l’école d’art dramatique [rires]. Le ballet a été un élément décisif dans ma vie, un fondement. Quand j’ai arrêté pour devenir comédienne, j’ai gardé le bénéfice de cet apprentissage. Plus tard, en jouant dans des films comme Ex_Machina (Alex Garland, 2015) ou Anna Karenine (Joe Wright, 2012), je me suis rendu compte que jouer et danser représentent des formes d’art assez proches et complémentaires.
Cet été, vous êtes à l’affiche d’un blockbuster, le nouveau Jason Bourne, aux côtés de Matt Damon. Votre premier véritable film d’action.
Je me suis beaucoup amusée en voyant les autres films de la série avec lesquels j’ai grandi. Ils ont redéfini le cinéma d’espionnage de manière intelligente et fun. Le genre avait besoin d’un nouvel élan et les Jason Bourne lui ont donné un coup de fouet. Pour une “franchise pop-corn”, comme on les appelle, on y trouve des aspects sociaux et politiques intéressants. Dans le paysage des films d’action, ce sont des productions vraiment ambitieuses. Je n’ai pas trop eu à me servir de mon passé de danseuse pour ce rôle, car la femme que j’incarne n’est pas à proprement parler dans l’action : elle dirige des gens qui se mettent en danger à travers le monde !
Vous venez de tourner dans Submergence, le prochain film de Wim Wenders. Qu’en avez-vous retenu ?
C’est un film avec deux histoires parallèles et un tournage très éclaté à travers la planète. Bientôt, je vais me rendre sur les îles Féroé, je suis très impatiente de les découvrir. J’ai presque terminé, et je vais ressentir un pincement au cœur quand tout sera fini. Ma mère m’a montré Les Ailes du désir et Paris, Texas quand j’avais une douzaine d’années. Lorsque j’ai rencontré pour la première fois Wim Wenders autour d’un café, je n’avais pas l’impression de passer une audition. J’étais simplement heureuse de lui parler et de l’écouter. Ses films ont été mon introduction au cinéma d’art et d’essai, ce qui compte beaucoup dans une vie. C’est un réalisateur qui a un œil encore très moderne. Avec lui, j’ai tourné des séquences totalement différentes de ce que j’avais connu auparavant. Dans la création d’un univers visuel et la manière d’enchaîner les prises, il m’a vraiment ouvert la porte sur un monde singulier. C’était un apprentissage puissant et agréable, car Wenders me fait beaucoup rire !
Les tournages s’enchaînent et rien ne semble pouvoir vous arrêter. Allez-vous bientôt prendre du repos ?
Je ne réfléchis pas en termes de compétition, mais c’est vrai que je suis excitée par les perspectives qui s’ouvrent à moi. Je ne subis jamais la situation, j’avance comme j’en ai envie. J’ai créé ma propre société, Vikarious Productions, il y a un an. Prochainement, nous allons mettre en production notre premier film, Euphoria, avec Eva Green dans le rôle principal. Je connais la réalisatrice Lisa Langseth. Elle a réalisé Pure, le premier long-métrage dans lequel j’ai tourné en 2009. Je suis complètement fascinée par sa manière de travailler. J’ai su très tôt que je voudrais passer, moi aussi, de l’autre côté du décor, car depuis le début, tous les aspects du cinéma m’intéressent. Débuter une carrière de productrice me semble totalement naturel, surtout avec un vrai film indépendant.
Votre première production sera réalisée par une femme. Est-ce un aspect important à vos yeux ?
Récemment, j’ai été interviewée par un magazine qui souhaitait rencontrer des actrices avec lesquelles j’ai joué. Et je me suis rendu compte qu’en huit films, je n’avais finalement pas travaillé avec tant de comédiennes que cela. J’ai trouvé cette réalité un peu triste. Sans parler des réalisatrices… Depuis un an ou deux, les gens évoquent la situation des femmes dans le cinéma, ce qui me paraît une très bonne chose, peut-être l’aube d’un changement. Des actrices commencent à être sollicitées pour tenir sur leurs épaules de gros films hollywoodiens. De mon côté, faire appel à une femme dans mon travail de productrice a été une volonté, un véritable choix. Sur ce projet, tout a commencé lors d’un déjeuner bien arrosé. J’ai dit à Lisa Langseth à quel point je trouvais qu’elle est une scénariste et une réalisatrice incroyable, puis elle m’a présenté une idée de long- métrage que j’ai immédiatement voulu produire. Son scénario met en scène deux héroïnes, ce qui est assez rare, même en 2016… Il y a beaucoup de filles qui travaillent avec moi sur ce film. Il faut chercher à faciliter la parole féminine.