31 jan 2022

Yves Saint Laurent : six musées parisiens célébrent l’héritage de l’immense couturier

Jusqu’au 15 mai à Paris, Yves Saint Laurent fait l’objet d’une flamboyante célébration pour le soixantième anniversaire de son premier défilé. Six grands musées parisiens, du Centre Pompidou au Louvre, font dialoguer ses créations avec les œuvres qui les ont inspirées. De la célèbre robe hommage à Piet Mondrian imaginée en 1965 aux jupes chatoyantes imprégnées de la touche postimpressionniste de Pierre Bonnard, l’immense couturier s’affirme en magistral sculpteur et peintre de la couleur, de la lumière et de la matière.

Six grands musées parisiens, du Centre Pompidou au Louvre, il n’en fallait pas moins pour célébrer le 60e anniversaire du premier défilé Yves Saint Laurent. Ou, plus exactement, pour rendre compte de l’ampleur des liens entre l’immense couturier et les beaux-arts, source d’inspiration inépuisable de ses créations. Installées au sein des collections permanentes de chaque institution, les réalisations d’Yves Saint Laurent dialoguent jusqu’au 15 mai avec les œuvres d’art qui les ont inspirées : à Beaubourg, une célèbre robe “Hommage à Piet Mondrian” de l’automne-hiver 1965-1966 et une composition de l’artiste néerlandais ; au musée d’Art moderne de Paris, des blouses et des jupes (2001) aux couleurs chatoyantes évoquant Pierre Bonnard et Le Jardin du même peintre…

 

Au travers des six parcours se dévoilent non seulement l’amour d’Yves Saint Laurent pour les arts, mais aussi les grandes caractéristiques de son œuvre personnelle : sa manière de sculpter, ou d’assembler, tel un Matisse, la couleur, la lumière et la matière pour, toujours, rendre l’idée du mouvement, ou encore sa façon d’embrasser en précurseur les évolutions de la société à travers un vestiaire masculin-féminin ou un prêt-à-porter destiné aux femmes, qui s’empare de la rue. Se dessine aussi, en creux, un portrait intime du couturier qui disait de lui-même : “Tout homme est obligé pour survivre d’avoir, comme dit Nietzsche, des fantômes esthétiques. La vie n’est possible que grâce à eux. Je pense les avoir trouvés en Mondrian, Picasso, Matisse mais aussi et surtout en Proust. Je suis tout à fait éclectique.

Si Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely et bien sûr Andy Warhol ont assisté à ses défilés, c’est avant tout à travers sa collection privée, ses lectures et ses visites d’exposition que Saint Laurent développe un rapport sensible et intime à l’art. La première œuvre qu’il achète est africaine, la deuxième est un Brancusi. Puis deux vases Art déco des années 30. Rue de Babylone, où il vit, le couturier a accroché un Mondrian directement sur un miroir, aux côtés de bronzes du 16e siècle. Un Goya est posé sur un chevalet. Son univers, et par extension ses créations, sont traversés par tous les arts et toutes les périodes. “Sa manière de s’inspirer des artistes n’est surtout jamais un simple copier-coller”, insiste Mouna Mekouar, l’une des trois commissaires de l’événement. “L’œuvre d’origine dicte l’architecture du vêtement, sa matière, sa couleur, son imprimé. Pour une seule robe, on peut retrouver trois à quatre références d’artistes, d’époques ou de civilisations différentes. Yves Saint Laurent n’est pas juste dans l’emprunt ou la réappropriation mais dans la réinvention.” Au Louvre, une veste de 1981 en organza brodé de paillettes, de pierres et chenille forme un miroir en trompe-l’œil. Le miroir renvoie évidemment à Versailles, et à la fascination du couturier pour l’apparat et les dorures, tout autant qu’à sa passion pour les arts décoratifs. Elle fait aussi bien référence à une veste du même style réalisée par Elsa Schiaparelli pour sa collection Zodiaque de 1938. La structure rappelle enfin les costumes des danseurs thaïlandais et birmans, alors que le motif feuille de chêne renvoie aux uniformes militaires français. Les sources d’inspiration disparaissent tant elles sont métamorphosées.

 

 

“La manière dont Yves Saint Laurent s’inspirait des artistes n’était jamais un simple copier-coller”

 

 

À Orsay, le parcours se concentre sur une figure majeure pour Saint Laurent : Marcel Proust et sa Recherche, que le couturier a lue mais toujours refusé de terminer. “Je reprends souvent le livre sans l’achever, commente-t-il à propos du Temps retrouvé. J’ai besoin d’avoir devant moi cette œuvre extraordinaire.” Le château Gabriel, qu’il a acquis en Normandie, sera d’ailleurs entièrement dédié à la thématique proustienne et aux personnages qui peuplent ses romans, du nom des chambres à leur décoration. Cette passion, il en offre une autre expression avec les robes créées à l’occasion du bal Proust donné par le baron et la baronne Guy de Rothschild en décembre 1971 – dont celle de Jane Birkin.

“Made in Japan, La Grande Odalisque” (1964) de Martial Raysse. Peinture acrylique, verre, mouche et passementerie en fibre synthétique sur photographie marouflée sur toile. Yves Saint Laurent, Manteau en fourrure de renard vert, collection printemps-été 1971. Musée Yves Saint Laurent Paris © Yves Saint Laurent @ Nicolas Mathéus En 1964, Martial Raysse inaugure la série Made in Japan qui détourne les icônes de l’histoire de l’art. Sa Grande Odalisque, inspirée du chef-d’œuvre d’Ingres, dialogue au Centre Pompidou avec un manteau de 1971 reprenant son vert pop. © Centre Pompidou. Hélène Mauri

Celles-ci trônent au cœur du salon de l’Horloge, espace emblématique du musée d’Orsay. En contrepoint de ces pièces, le cabinet d’arts graphiques évoque, quant à lui, une autre facette du couturier : celle du formidable dessinateur qui esquisse à la volée, d’un geste rapide, nerveux et vivant, une silhouette. Le musée Yves Saint Laurent et ses extraordinaires archives permettent de comprendre toute l’étendue de son talent. Les croquis réalisés pour le bal des Têtes du 23 juin 1957, évocation des cent dernières pages de La Recherche où les personnages réapparaissent vieillis, témoignent de l’enthousiasme du couturier qui imagine des coiffes faites de fleurs montées en pyramide, de rubans, de tulle et de paillettes. Refusant le tragique des dernières pages de Proust, il lui préfère la légèreté et l’extravagance, comme si les fameux caractères imaginés par l’écrivain devaient éternellement briller, et leurs identités demeurer plurielles et ambiguës. Lorsqu’il les réalise, Yves Saint Laurent n’a que 21 ans.

 

 

“Yves Saint Laurent aux musées”, jusqu’au 15 mai, au Centre Pompidou, au musée d’Art moderne de Paris, au musée du Louvre, au musée d’Orsay, au musée Picasso et au musée Yves Saint Laurent à Paris.

“Composition en rouge, bleu et blanc II” (1937) de Piet Mondrian. Huile sur toile. Domaine public. Localisation : Paris, Centre Pompidou – musée national d’Art moderne – Centre de création industrielle. Photo : © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais/Jacques Faujour Yves Saint Laurent, Robe Hommage à Piet Mondrian. Jersey de laine écru, incrusté noir, rouge, jaune et bleu, collection Automne-hiver 1965. Musée Yves Saint Laurent Paris © Yves Saint Laurent @ Nicolas Mathéus © Centre Pompidou. Hélène Mauri