2 sept 2020

Louvre masterpieces highjacked by Daniel Arsham

À la galerie Perrotin, l’artiste américain star des réseaux sociaux présente une vingtaine de copies de chefs-d’œuvre antiques recolorés et érodés selon une technique de cristallisation. Un voyage dans le temps qui remet en cause une vision figée de l’histoire de l’art, à l’instar d’autres artistes comme Damien Hirst, Francesco Vezzoli ou Ali Cherri. 

View of the exhibition “3020” at Perrotin Paris Photo: Claire Dorn © Courtesy of the artist and Perrotin

Il aura fallu deux ans à Daniel Arsham pour mettre sur pied ce projet iconoclaste et pourtant tellement dans l’air du temps.  En collaboration avec l’atelier de moulage de la Réunion des musées nationaux, l’artiste américain a reproduit à la même échelle des œuvres iconiques de l’Antiquité classique préservées dans les plus grands musées européens. Des sculptures du Louvre, mais aussi du musée de l’Acropole à Athènes, du Kunsthistorisches Museum à Vienne et de la basilique San Pietro in Vincoli de Rome se déploient ainsi jusqu’au 21 mars dans trois vastes pièces de la galerie Perrotin à Paris. De simples copies ?

 

 

Ces cristaux qui s’érigent depuis la chair de la Venus de Milo ou du Moïse assis de Michel-Ange contaminent leur corps, au point de les teinter d’un bleu pastel ou d’un noir cendré.

 

 

Daniel Arsham a fait subir à ces reproductions un travail d’érosion qu’on lui connaît bien. Comme soumises aux assauts du temps ou plongées durant des millénaires dans les océans, les sculptures sont attaquées ici ou là par un phénomène de cristallisation. Ces cristaux qui s’érigent depuis la chair de la Venus de Milo ou du Moïse assis de Michel-Ange contaminent leur corps, au point de les teinter d’un bleu pastel ou d’un noir cendré. “Le cristal et la couleur proviennent tous les deux d’un procédé chimique réalisé à partir de cendre volcanique ou de sélénite, nous explique l’artiste. Le cristal est particulièrement fragile. Mettez un peu d’eau dessus et il se désintègre. On peut y voir une forme d’expérience scientifique.” 

Portrait of Daniel Arsham in his studio Photo: Guillaume Ziccarelli © Courtesy of the artist & Perrotin
Daniel Arsham Blue Calcite Eroded Moses, 2019. Blue calcite, hydrostone. 260 x 119 x 125 cm | 102 3/8 x 46 7/8 x 49 3/16 in Photo: Claire Dorn © Courtesy the artist & Perrotin

Ces genres de processus, Daniel Arsham les manie depuis plus de vingt ans. Alors qu’il était encore installé à Miami et faisait partie de la jeune garde artistique, il se faisait remarquer pour des œuvres très vite qualifiés de post-apocalyptiques. Des architectures typiques de la ville se voyaient recouvertes et rongées par une forêt tropicale dévorante. La nature reprenait le dessus. Notre monde actuel était réduit à des vestiges observés depuis un futur lointain. Daniel Arsham s’imposait déjà comme un voyageur du temps et le chantre d’une archélogie fictive. Ces œuvres invitaient déjà à changer de perspective, et à regarder notre monde du point de vue distancié d’un archéologue du futur (qu’en restera-t-il ? est-ce que ces vestiges du futur incarnent réellement notre monde actuel ?)

 

 

Chez Daniel Arsham, le passé proche ou le présent ne font plus qu’un avec le futur et s’entrechoquent devant nos yeux. 

 

 

Plus tard, Daniel Arsham s’est définitivement imposé en réalisant des sculptures d’objets technologiques déjà obsolètes. Ces magnétos à bande Revox, des ordinateurs et des synthétiseurs étaient eux aussi attaqués par le temps, en pleine décrépitude, là aussi ravagés par les millénaires, apparaissant comme des antiquités alors qu’il n’avait que 15 ans d’âge. En replaçant des artefacts de notre époque dans un temps long, celui des minéraux millénaires, Arsham continue de s’amuser avec le temps. L’obsolescence technologique rapide est mise en perspective avec la temporalité plus longue de l’Univers dans une forme d’accélération étourdissante. Ces œuvres questionnent tout autant notre vision linéaire du temps – une vision profondément occidentale. Chez Daniel Arsham,  le passé proche ou le présent ne font plus qu’un avec le futur et s’entrechoquent devant nos yeux. Le temps – comme la matière des cristaux qui se dissolvent dans l’eau – se dévoile alors sous une forme fragile, inconsistante et versatile.

Daniel Arsham Blue Calcite Eroded Moses, (detail) 2019. Blue calcite, hydrostone. 260 x 119 x 125 cm | 102 3/8 x 46 7/8 x 49 3/16 in Photo: Claire Dorn © Courtesy the artist & Perrotin

À la galerie Perrotin, ce rapport au temps s’accompagne d’une remise en cause des narrations officielles qui façonnent l’histoire de l’art. “Quand vous vous intéressez de près aux pièces exposées dans les musées, explique Arsham, vous vous rendez compte que notre notion d’œuvre originale est totalement à repenser. Une sculpture grecque du VIIe siècle avant Jésus-Christ est influencée par l’art égyptien sans que l’artiste lui-même en ait conscience. Il a pu s’en inspirer via des apports d’autres pays. Surtout, la manière dont nous présentons ces pièces comme définitives dans les musées est une pure construction historique. Jusqu’à la Renaissance, on pouvait très bien prendre un buste récent et lui accoler une tête de sculpture Antique. Dans le cas de la Vénus, l’œuvre avait toujours été présentée de manière frontale dans le musée. Et pourtant, les spécialistes ont découvert récemment qu’elle était initialement positionnée de profil. L’image que nous en avons tous est un accident de l’histoire.”

 

 

« La manière dont nous présentons ces pièces comme définitives dans les musées est une pure construction historique. » Daniel Arsham

 

 

Cette manière de désacraliser l’œuvre d’art en la replaçant dans un flux historique en perpétuel mouvement était déjà à l’œuvre récemment chez Damien Hirst. On se souvient du come-back impressionnant de l’artiste britannique au sein des musées vénitiens de François Pinault. Son storytelling ? En 2008, une équipe aurait découvert au large de l’Afrique de l’Est une collection d’artefacts précieux enfouis sous les eaux depuis deux mille ans. L’exposition rassemblait la centaine d’œuvres trouvées : sculptures géantes incrustées de coraux, statues grecques, sphinx en bronze, bouddha, dessins, pièces précieuses, bijoux en or… Évidemment, rien de tout cela n’était vrai. Toutes les réalisations, démesurées, à l’image du projet, étaient des productions du studio de l’artiste. D’ailleurs, on retrouve parmi les pièces sorties de l’eau (des vidéos sont là pour nous le prouver) une sculpture de Mickey et celle d’un Transformer.

 

 

Cette dimension iconoclaste, on l’a retrouvée récemment chez Francesco Vezzoli qui expliquait à Numéro art avoir une « démarche blasphématoire ».

 

 

Damien Hirst, tout comme Daniel Arsham, puisent non seulement dans un répertoire de formes artistiques historiques, les deux artistes pénètrent dans le domaine réservé des historiens et des scientifiques pour faire exploser toutes les certitudes et tout rapport sacré à l’art. Cette dimension iconoclaste, on l’a retrouvée récemment chez Francesco Vezzoli qui expliquait à Numéro art avoir une “démarche blasphématoire en achetant dans les ventes aux enchères des pièces antiques originales peintes par la suite avec les couleurs qu’elles étaient censées avoir à l’origine.” (des pièces présentées à la Collection Lambert en Avignon en 2018). Depuis plusieurs années, Ali Cherri se concentre lui sur la place de l’objet archéologique dans la construction de récits historiques. Des objets archéologiques, vases ou sculptures, que l’artiste d’origine libanaise achète notamment en maisons de vente, puis recompose et réassemble. Geste paradoxal qui désacralise l’objet ancien et le décontextualise pour en questionner la valeur. Pourquoi valorise-t-on tel objet ? Que dit cette valorisation de l’objet archéologique, d’une époque ancienne, sur notre époque ? À quelle construction d’une histoire nationale participe-t-il ? Chez Ali Cherri, Damien Hirst, Francesco Vezzoli ou Daniel Arsham, le contexte passé se confronte toujours au contexte présent pour mieux le dévoiler.

 

“3020” de Daniel Arsham, à la galerie Perrotin, Paris, jusqu’au 21 mars 2020.

Daniel Arsham Blue Calcite Eroded Venus of Milo, 2019 Blue calcite, hydrostone 216 x 60 x 65 cm | 85 1/16 x 23 5/8 x 25 9/16 inch 150.00 kg © Courtesy the artist & Perrotin
View of the exhibition “3020” at Perrotin Paris Photo: Claire Dorn © Courtesy of the artist and Perrotin
View of the exhibition “3020” at Perrotin Paris Photo: Claire Dorn © Courtesy of the artist and Perrotin

It took Daniel Arsham two years to organise this iconoclastic, yet very on-trend project. By collaborating with the moulding workshop at the Réunion des Musées Nationaux, the American artist has reproduced to-scale iconic works from classical antiquity preserved in Europe’s greatest museums. Sculptures from the Louvre, but also the Acropolis in Athens, the Kunsthistorisches Museum in Vienna and the Basilica di San Pietro in Vincoli in Rome have been deployed to three vast rooms at the Perrotin Gallery in Paris and will stay there until March 21st. Straight copies? 

 

The crystals formed over the flesh of Venus de Milo and Michelangelo’s Moses contaminate their bodies to the point of dyeing them a pastel blue or ash black

 

No really, because Daniel Arsham has subjected these reproductions to the erosive work that he's known for. As if exposed to violent weather or millennia under the oceans, the sculptures are attacked here and there by a crystallisation phenomenon. The crystals formed over the flesh of Venus de Milo and Michelangelo’s Moses contaminate their bodies to the point of dyeing them a pastel blue or ash black. “The crystal and the colour both come from a chemical procedure done using volcanic ash or selenite,” the artist explains to us, “The crystal is particularly fragile. Spill any water on it and it will disintegrate. There’s a sort of scientific experiment in it.”

Portrait of Daniel Arsham in his studio Photo: Guillaume Ziccarelli © Courtesy of the artist & Perrotin
Daniel Arsham Blue Calcite Eroded Moses, 2019. Blue calcite, hydrostone. 260 x 119 x 125 cm | 102 3/8 x 46 7/8 x 49 3/16 in Photo: Claire Dorn © Courtesy the artist & Perrotin

Daniel Arsham has been playing with these processes for the last 20 years. While he was still living in Miami and part of the young artistic avantgarde there, he stood out for his works that were quickly labelled post-apocalyptic. Buildings, typical of the city, were covered and eaten away by a devouring tropical forest. Nature reclaiming her space. Our current world reduced to vestiges observed from a distant future. Daniel Arsham has long established himself as a time traveller and the bard of a fictional archaeology. These works were already inviting us to change our perspective and to look at the world from the distanced viewpoint of a future archaeologist (what will remain of it? Do these vestiges of the future really embody our current world?)

 

With Daniel Arsham, the near past and the present become one with the future and collide before our eyes.

 

Daniel Arsham continued to make his mark by creating sculptures of technical objects that are now obsolete. Revox tape recorders, computers and synthesisers were also attacked by time, decayed, ravaged by millennia, appearing as antiques even though they were only a few decades old. Arsham plays with time by turning artefacts of our era into those from long ago. The speed of technological obsolescence is put into perspective with the longer temporality of the universe in a sort of dizzying acceleration. These works question our linear vision of time – a vision that is profoundly Western. With Daniel Arsham, the near past and the present become one with the future and collide before our eyes. Time – like the crystal matter that dissolves in water – reveals itself in its most fragile, inconsistent and versatile state.

Daniel Arsham Blue Calcite Eroded Moses, (detail) 2019. Blue calcite, hydrostone. 260 x 119 x 125 cm | 102 3/8 x 46 7/8 x 49 3/16 in Photo: Claire Dorn © Courtesy the artist & Perrotin

At the Perrotin gallery, this relationship to time is accompanied by a questioning of the official narratives that have shaped the history of art. “When you take a close look at the exhibits in museums,” explains Arsham, “you realize that our notion of original work needs to be completely rethought. A Greek sculpture from the 7th century BC is influenced by Egyptian art without the artist himself being aware of it. He was able to draw inspiration from it through contributions from other countries. Above all, the way in which we present these pieces in museums as definitive, is pure historical construction. Until the Renaissance, you could very well take a recent bust and attach an antique sculpture head to it. In the case of Venus, the work had always been presented face-on in the museum. And yet specialists recently discovered that it was initially positioned in profile. The image that we all have is an historical accident.”

 

"The way in which we present these pieces in museums as definitive is pure historical construction." Daniel Arsham

 

This deconsecrating of art works by putting them into a historical flux in constant motion was also recently demonstrated by Damien Hirst. Who could forget the impressively dramatic return of the British artist into the heart of François Pinault's Venetian museums? His storytelling went like this: in 2008, a team of divers discovered a collection of precious artefacts off the coast of East Africa that had been buried under the water for two thousand years. The exhibition brought together the 100-odd objects that had been found: giant sculptures encrusted with coral, Greek statues, a bronze sphinx, a Buddha, drawings, precious pieces, golden jewellery… Obviously none of it was real. All the pieces, each one as enormous as the project itself, had been made in the artist’s studio. Indeed, among the pieces dredged up from the depths (and there are videos to prove it) were sculptures of Mickey Mouse and a Transformer robot…

 

We recently saw this iconoclastic dimension in the work of Francesco Vezzoli who explained to Numéro art that he takes “blasphemous approach”.

 

Damien Hirst, just like Daniel Arsham, draws not only from a repertoire of historical artistic forms but both artists have also penetrated domains reserved for historians and scientists to explode all sacred certitudes relative to art. We recently saw this iconoclastic dimension in the work of Francesco Vezzoli who explained to Numéro art that he takes a “blasphemous approach by buying original antique pieces from auctions that are then painted in the colours that they supposedly had originally.” (The pieces presented in the Collection Lambert in Avignon in 2018). 

 

For several years, Ali Cherri has been focusing on the place of the archaeological object in the construction of historical narratives. Archaeological objects, vases or sculptures, that the Lebanese artist also bought from auction houses, are then recomposed and reassembled. A paradoxical gesture that deconsecrates the ancient object and decontextualises it to question its value. Why do we value such an object? What does this valorisation of the archaeological object say about ancient times, about our times? How does it take part in constructing a national history? With Ali Cherri, Damien Hirst, Francesco Vezzoli and Damien Arsham, the past context is always confronted the present context… to reveal it all the more.   

 

“3020” de Daniel Arsham, à la galerie Perrotin, Paris, jusqu'au 21 mars 2020.

Daniel Arsham Blue Calcite Eroded Venus of Milo, 2019 Blue calcite, hydrostone 216 x 60 x 65 cm | 85 1/16 x 23 5/8 x 25 9/16 inch 150.00 kg © Courtesy the artist & Perrotin
View of the exhibition “3020” at Perrotin Paris Photo: Claire Dorn © Courtesy of the artist and Perrotin