Jordan Peele, cinéaste tragi-comique et nouveau prince d’Hollywood
Hollywood est aujourd’hui à ses pieds. Comédien, scénariste, réalisateur de film d’horreur et désormais producteur incontournable de Los Angeles, Jordan Peele vient tout juste de délivrer “Us”, drame familial sanglant et inattendu dans le paysage cinématographique américain. Oscarisé en 2017 pour “Get Out“, ce Hitchcock moderne n’était encore qu’un simple humoriste il y a quelques années.
Par Yasmine Lahrichi.
Se frayer une place dans le monde ultra-compétitif d’Hollywood n’est pas chose aisée. C’est pourtant dans ce cercle très restreint des dieux du cinéma que Jordan Peele a réussi l'exploit d'imposer son nom.
1. L’ascension d’un comique
Né à New York en 1979 d'une mère blanche et d’un père afro-américain Jordan Peele suit des études de sciences humaines au Sarah Lawrence College mais les abandonne au bout de deux ans : un “échec” heureux qui lui permettra de rencontrer Keegan-Michael Key.
Tout comme Key, il intègre en 2002 – comme la tradition américaine l’exige – une troupe d’improvisation au sein de l’emblématique club de Comédie The Second City à Chicago. Après leur coup de foudre amical, ils intègrent tous les deux le casting de la série télévisée MAD TV jusqu’en 2008. Le destin ponctué derechef par le hasard, les deux acolytes, voyant leurs projets respectifs annulés, décident alors de créer leur propre show télévisé : Key and Peele. Le succès de cette émission monte crescendo tout au long des cinq saisons. Truffés de personnages satiriques, les épisodes hilarants tournés en format court (deux à cinq minutes) et diffusés par la chaîne Grand Central et sur Youtube livrent une vision sordide de l’Amérique.
Leur émission “Key and Peel” prend de l’envergure au cours des cinq saisons consécutives. Les courts épisodes diffusés par la chaîne Grand Central – et visibles via la chaîne Youtube du duo – ne dépassent pas les 10 minutes, ce qui n’enraie en rien leurs qualités. Les épisodes sont hilarants, mais ils livrent aussi au spectateur, à travers des personnages satiriques, une vision sordide l’Amérique.
2. Un clown macabre démasqué
Jordan Peele clôt finalement sa carrière de comique avec le long-métrage Keanu, qui nous replonge dans l’univers du duo. Ce même long-métrage amorce un nouveau chapitre de sa carrière : l’écriture de scénarios et la production de films. Un an tout juste sépare la comédie du thriller “Get Out”. Le long-métrage relate l’histoire d’un jeune photographe noir qui rencontre les parents de sa petite amie. Au court de ce voyage aux apparences triviales et charmantes, il fait face à des évènements paranormaux. Salué par la critique, le thriller remporte l’Oscar du meilleur scénario original en 2018, prix remporté pour la première fois par un artiste afro-américain.
3. Une voix de la communauté afro-américaine
Néanmoins, Jordan Peele ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : il poursuit cette trajectoire en livrant un second thriller “Us”, inspiré du monde paranormal et d’un genre particulier du film d’horreur : le “Home Invasion Movie” où les protagonistes tentent de survivre au sein de leur demeure assaillie. En seulement deux ans, son aura à Hollywood lui permet d’engager un casting plus que prestigieux, qui inclut notamment l’actrice oscarisée Lupita Nyong’o, mais également d’endosser, encore une fois le rôle de réalisateur.
“Hitchcock moderne”, “nouveau Spielberg”… On ne tarit pas d’éloges vis à vis de ce touche-à-tout. Il sera d’ailleurs à l’origine d’un remake de la série culte de 1958, The Twilight Zone (La quatrième dimension) ce qui entérine les louanges des nombreuses critiques positives formulées à son égard. Toutefois, au-delà de ce triomphe éclatant et des projets prestigieux, ces oeuvres redéfinissent la place de l’humoriste sur la scène de l’entertainment américain. Jordan Peele s’en tient une fois encore à sa ligne directrice : la satire de la société américaine.
Critique et observateur, le cinéaste l’a effectivement été, et ce, dès ses débuts auprès de Keegan-Michael Key. Au fil des épisodes, ils parodiaient des moments de la vie courante symptomatiques du quotidien aux États-Unis, mettant en scène différents personnages caricaturaux. Chacun représente une figure type et stéréotypée de la société, par exemple Megan, la petite-amie control-freak, ou encore Georgina et Esther, deux femmes religieuses frôlant la bêtise. Ces dernières, afro-américaines, dépeignent les clichés véhiculés par la culture populaire à l’égard des femmes de cette communauté.
Jordan Peele pourfend donc les stéréotypes mais offre surtout une visibilité culturelle à la communauté afro-américaine. Jusqu’aux années 2000, les rôles se limitaient à certains acteurs emblématiques à l’instar de Samuel L. Jackson, Morgan Freeman ou Denzel Washington et des personnages récurrents tels que le gangster, le pilote, le flic ou le dealer. Grâce au travail de Jordan Peele, les acteurs afro-américains ne sont plus anecdotiques. Toutefois, l’impact de Peele sur la visibilité de la communauté noire afro-américaine au cinéma n’est pas de son seul ressort : en réalité, il s’inscrirait au sein de tout un “mouvement” révolutionnaire hollywoodien, dont fait partie le réalisateur Spike Lee. Jordan Peele a d’ailleurs coproduit le BlacKKKlansman de Spike Lee, prix du jury au dernier Festival de Cannes. Preuve supplémentaire que l’ex-humoriste a été définitivement adoubé par Hollywood.
Us de Jordan Peele, actuellement au cinéma.