9 avr 2019

Qui est Brian Swardstrom, l’agent le plus honnête d’Hollywood ?

Il gère la carrière de célèbres acteurs et de grands cinéastes mais Brian Swardstrom n’est pas un agent artistique hollywoodien comme les autres. Cet homme serein mise sur l’honnêteté.

Par Jerry Stafford.

Portrait Tom Fowlks.

Los Angeles compte d’innombrables agences artistiques, importantes ou modestes, dont les plus renommées – William Morris, CAA ou ICM Endeavor – représentent environ les trois quarts de l’élite des acteurs, réalisateurs et scénaristes de Hollywood. Depuis quelques années, Brian Swardstrom, agent artistique senior chez Endeavor, contribue à faire de l’agence, dont il est associé, l’une des plus impressionnantes et puissantes de la ville à paillettes. Dans son carnet, un gratin de stars et de réalisateurs établis : Edward Norton, Diane Lane, Javier Bardem et Martin Scorsese, mais aussi de jeunes talents tels que Jamie Bell, Chloë Sevigny, Tilda Swinton et Gael García Bernal.

 

C’est dans les années 30, à l’apogée de l’ère hollywoodienne, que cette profession prend forme avec des hommes comme Lew Wasserman, qui s’occupent des intérêts des acteurs. À l’époque, ceux-ci sont sous contrat avec les studios qui leur attribuent des projets sans vraiment les consulter. Bette Davis est la première à rompre le sien avec une major, tandis que James Stewart crée un précédent lorsqu’il obtient d’être intéressé aux bénéfices d’un film. Une nouvelle manière de procéder émerge ensuite dans les années 40 et 50, lorsque des agents comme Leland Heyward et Charlie Feldman aiguisent des stratégies en complicité avec les comédiens qu’ils représentent, pour développer des idées, souvent à l’extérieur du système.

 

 

“Il existe différents types d’agents. Il y a ceux qui misent tout sur le contrat et qui écraseront n’importe qui pour l’emporter à leur manière. Et ceux qui arrivent à obtenir ce qu’ils veulent en laissant toutes les parties satisfaites.”

 

 

Dans les années 70, des “superagents” telle la flamboyante Sue Mengers qui représente, entre autres, Jack Nicholson et Barbra Streisand, lancent ce que Brian Swardstrom décrit comme l’attitude du “faisons la fête et sniffons à tout-va”, qui se consume d’elle-même avec perte et fracas au cours de cette folle décennie, et dont les cendres forment le terreau de l’agressivité ravageuse de requins surpuissants comme Michael Ovitz ou Jeffrey Katzenberg, dans les eighties. Leur déontologie se résume à : “Si tu n’es pas d’attaque le samedi, ne te fatigue pas à venir le dimanche.” Au terme de sa carrière, Mike Ovitz collectionnait tellement d’ennemis, qu’il y a quelques années et dans un beau cirque médiatique, il s’est fait expulser de la ville. Swardstrom, 57 ans aujourd’hui, est un homme doux et suave qui s’adresse rarement à la presse. Son attitude humble et décontractée est à l’opposé du bavard pressé fumant le cigare et transpirant la coke, qui a fini par devenir l’un des totems les plus calomniés et incompris du paysage babylonien de Hollywood.

Timothée Chalamet, Brian Swardstrom et Frances McDormand

Numéro : Comment définiriez-vous votre rôle d’agent ?
Brian Swardstrom : Je m’occupe des intérêts de mes clients. Je trouve des projets qui feront avancer leur carrière et, si tout se passe bien, je négocie leurs contrats, je les mets au travail et me concentre sur leur image et leur couverture médiatique.

 

Comment devient-on agent ?

On commence en bas de l’échelle. On s’occupe du courrier, on aide les uns et les autres, on récupère les vêtements des associés au pressing, bref, on fait tout ce qu’il faut pour grimper les échelons. On devient alors assistant, on s’occupe des voyages et des envois de scripts ; on se débrouille pour se faire remarquer et devenir agent junior, c’est lui qui couvre tous les castings de la ville pour le compte des clients de l’agent senior. Enfin, on se constitue lentement un carnet d’adresses pour atteindre le poste d’agent senior.

 

 

“J’imagine que chaque agent suit son propre code de conduite. En tout cas, j’ai le mien.”

 

 

Qui considérez-vous comme l’archétype de l’agent, passé ou présent ?
Il existe clairement différents types d’agents. Il y a ceux qui misent tout sur le contrat et qui écraseront n’importe qui pour l’emporter à leur manière. Ce n’est pas mon style. J’admire Leland Heyward : un agent “gentleman” des années 40. J’apprécie ceux qui arrivent à obtenir ce qu’ils veulent en laissant toutes les parties satisfaites. Evidemment, cela ne signifie pas que vous ne décrochez pas un contrat en béton pour votre client, mais il y a des façons de ficeler les choses sans jouer les killers.

 

À Hollywood, l’art peut-il prévaloir sur le commerce ?

Je ne pense pas que l’art soit le souci principal des studios. Ces grosses machines appartiennent à des conglomérats qui répondent à des actionnaires et qui doivent rendre compte de résultats financiers. Ils sont obligés de faire de l’argent, sinon ils n’existent pas, et l’aspect commercial doit donc primer pour eux. Toutes les majors possèdent désormais une structure spéciale au sein de leur organisation, qui s’occupe davantage de cinéma d’auteur. Dans ces divisions, le mandat initial est clairement de créer des films géniaux et d’obtenir des nominations aux Oscars. Cependant, des compagnies comme Fox Searchlight rencontrent ces temps-ci un tel succès avec ces films aux budgets moins importants, qu’ils en deviennent des sources de profit et que les studios en redemandent. De nos jours, les films vraiment arty ne se fabriquent plus à l’intérieur du système, mais avec de l’argent qui provient d’investisseurs américains et étrangers, et des ventes dans les festivals une fois le film bouclé.

 

Pourquoi avoir choisi ce métier ?
Je suis toujours excité quand je lis un grand script, quand je vais me coucher en y pensant, quand je me lève, me rends au bureau et prends le téléphone pour parler de (mes) clients qui conviendraient pour ce projet à la personne concernée. C’est la base du business, mais quand vous tombez sur un beau scénario, ça reste réellement palpitant.

 

 

“Tout le monde a cette vision de Hollywood comme un rassemblement de requins, mais la plupart des éléments sans scrupules se font éliminer relativement vite.”

 

 

Jusque où peut s’impliquer un agent dans le montage d’un film ?
Très loin. Si un acteur vient vous voir et vous dit qu’il adorerait voir tel livre adapté pour le grand écran, vous pouvez l’aider à trouver un scénariste, puis adjoindre un réalisateur au script, partir à la recherche du financement et proposer le projet à un studio. En fait, vous pouvez fonctionner pratiquement comme un producteur.

 

Un agent doit-il s’efforcer de maintenir une certaine distance dans ses relations avec ses clients ?
Vous pouvez devenir très ami avec vos clients, et il y en a certains que je considère comme des amis personnels, mais il s’agit avant tout d’une relation professionnelle et il ne faut jamais l’oublier. Vous devez garder en tête que vous êtes engagé pour accomplir un travail et qu’ils comptent sur vous pour s’occuper de leurs intérêts. Cependant, si je les apprécie en tant qu’êtres humains, ça m’aide à parler d’eux dans le cadre du travail.

 

Vous impliquez-vous dans l’apparence personnelle de vos clients ?
L’image constitue évidemment un aspect très important dans le milieu du cinéma. La couverture médiatique pèse énormément dans une carrière et je pense que les images diffusées représentent souvent la part la plus importante de cette couverture. J’ai cette cliente qui devait remettre un Golden Globe : je me suis rendu chez elle au moment
où elle choisissait quelle tenue porter. La robe était fantastique et tout le monde a dit qu’elle était la plus belle femme de la soirée. Le lendemain matin, les journalistes du magazine Esquire ont appelé pour dire qu’ils s’étaient demandé depuis quelque temps s’ils la mettraient en couverture, mais qu’ils confirmaient maintenant, suite à son apparition lors de la cérémonie. Puis, un réalisateur a vu cette couverture et l’a voulue dans le rôle principal de son prochain film, et elle a fini par obtenir une nomination aux Oscars pour ce rôle.

 

À quel point la mode est-elle importante à Hollywood ?
Je pense que c’est vraiment très important pour les actrices. Pour les acteurs, ça entre peu en jeu. D’ailleurs, s’ils ont l’air de trop s’intéresser à la mode, ça peut devenir un point négatif. Aujourd’hui, la partie la plus lucrative dans la carrière d’une actrice peut se jouer dans l’obtention d’un contrat avec une maison de haute couture ou une société de  cosmétique, on parle là de millions de dollars. Il y a beaucoup de grandes stars qui décrochent cinq millions de dollars pour prêter leur visage à des campagnes des produits de beauté. Autrefois, il était mal perçu de faire de la publicité ou des choses de ce genre. Maintenant, les gens envisagent cela comme une partie intégrante et utile d’une carrière. Vous gagnez en couverture médiatique, et ça peut contribuer à assurer des rôles.

Timothée Chalamet, Brian Swardstrom et Frances McDormand

Un agent a-t-il un code de conduite ?
J’imagine que chaque agent suit son propre code de conduite. En tout cas, j’ai le mien. Certains de mes amis travaillent dans d’autres agences : même s’ils ont des clients que j’adorerais représenter, l’idée de les solliciter ne m’effleure pas. En fait, je ne poursuivrais jamais les clients d’un autre agent, à moins que l’un d’eux ne me fasse clairement des ouvertures. D’un point de vue éthique, j’aurais du mal à me regarder en face si mon but dans la vie se résumait à détruire les relations professionnelles des autres.

 

Encourageriez-vous un client à se lancer dans un projet, même si vous pensez qu’il mérite mieux, simplement parce que le bénéfice financier vaut le coup pour les deux parties ?
Il serait facile de répondre non, mais il y a des moments où un client vous dit : “Eh ! je suis marié, j’ai trois enfants, j’achète une nouvelle maison et j’ai besoin d’un boulot qui me rapporte du cash…” Ça peut faire partie de votre job et, dans ces cas-là, vous essayez juste de trouver le film qui causera le moins de dégâts. J’ai des clients qui rient de certains films de leur passé en s’exclamant : “Ah ouais ! celui-là a payé la maison de campagne !

 

Quelle valeur accordez-vous aux potins dans votre milieu ?
Ils font définitivement partie du paysage et tous les agents en sont très conscients. Les potins peuvent sans aucun doute faire et défaire des carrières. Cela ne relève pas toujours des cancans touchant au personnel : si vous entendez qu’un studio va faire un film avec Ridley Scott, et que la rumeur circule qu’il y a un grand rôle à prendre, vous avez intérêt à vérifier. On a besoin de ce genre d’informations afin d’agir au mieux pour le compte de ses clients.

 

Dans un sens, l’agent de Hollywood est comparable à un courtier en marchandises. Quelle place prend la connaissance du milieu quand il surveille l’évolution du marché ?
Tout repose sur cette connaissance : qu’un studio vienne juste de terminer un film avec un nou- veau venu à la réalisation, que le screening test ait  été incroyable, que le film fasse un carton, mieux vaut être au courant. Savoir que ce metteur en scène travaille déjà sur le casting de son prochain film et que ce cinéaste est quelqu’un avec qui vous voulez voir travailler votre client, c’est encore mieux. De façon similaire, imaginez que vous avez un acteur qui est supposé faire un film, mais vous apprenez que le budget n’a pas été bouclé et que le studio se met à hésiter : du coup, vous examinez de plus près la proposition que vous vous apprêtiez à refuser.

 

Tennessee Williams a dit : “Hollywood est un endroit où un homme peut se voir poignarder dans le dos alors qu’il monte sur une échelle.” Pensez-vous que l’intégrité existe encore dans votre profession ?
Absolument. Tout le monde a cette vision de Hollywood comme un rassemblement de requins, mais je crois que les personnes qui se projettent à long terme dans le métier ont vraiment une intégrité. D’ailleurs, la plupart des éléments sans scrupules se font éliminer relativement vite.


Dorothy Parker a déclaré : “La seule valeur à laquelle croit Hollywood, c’est le plagiat.” D’après vous, l’honnêteté peut-elle y survivre ?
Tout à fait. J’aime à penser que je suis honnête avec les gens. Je suis persuadé qu’il est possible d’échanger franchement des informations et de les traiter en toute honnêteté. Ça ne signifie pas que vous sacrifiez quelque chose pour vous-même ou vos clients. Je crois fermement que c’est possible… mais d’autres ne seront pas d’accord avec moi.

 

À quelle question êtes-vous soulagé de ne pas avoir eu à répondre ?
Qui est mon client préféré ?!

 

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