Le Juiice rendra-t-elle le rap moins macho ?
Après s’être imposée dans le milieu très masculin et macho du rap avec deux excellentes premières mixtapes, la rappeuse Le Juiice originaire de Côte d’Ivoire revient en ce début d’année avec un troisième opus intitulé Iconique. Rencontre avec la nouvelle icône féministe du rap français.
Par Marie Solvignon.
“Salut moi c’est Le Juiice enchantée, la seule que la rue a validé”, annonce la rappeuse Joyce Okrou alias Le Juiice dans son nouveau morceau Maison Margiela. L’artiste franco-ivoirienne de 29 ans qui s’est lancée dans le rap en 2018 lorsque ses freestyles ont été remarqué par le rappeur Fianso dans son émission Rentre dans le Cercle, ne s’arrête plus. Après deux mixtapes efficaces oscillant entre trap et rap, Le Juiice revient avec un troisième projet intitulé Iconique à la fois féministe et cru. Elle explique : « Cet opus est composé de plein de titres enregistrés à différentes périodes. C’est un peu un panel de toutes les émotions par lesquelles je suis passée durant l’année 2021″. Cette dernière année a été riche en rebondissements : la pandémie, les périodes de confinement, les lieux culturels fermés, etc. Pourtant, Le Juiice n’a jamais manqué d’inspiration. Au contraire, elle a choisi les titres les plus forts parmi ceux qu’elle avait écrits durant cette période afin de composer au mieux son troisième album. Iconique, dévoilé le 11 février dernier est inspiré par des artistes américaines comme Summer Walker et Rico Nasty. Le Juiice puise en effet ses idées dans la tendance du hip-hop et du rap féminin aux États-Unis.
Ce nouvel opus est composé de douze titres mettant en avant la place de la femme dans le rap ainsi que les problématiques de vie qui la touchent en tant que femme noire, le tout ponctué de punchlines bien pensées. “Tu m’demandes comment je me sens en tant que femme dans le game, J’crois bien qu’ils sont travestis, Où sont les hommes, je ne vois que des bitchs dans le game ?”, balance l’artiste dans Petit cœur s’abîme, premier titre de sa mixtape. Pas à une provocation prêt, la rappeuse créait une polémique lorsqu’elle lance que Diam’s « a réussi parce qu’elle est blanche ». Le Juiice voulait – sans remettre en question le talent de l’interprète du mythique Confessions nocturnes – signaler une certaine persistance du racisme dans le rap français. Diam’s était alors sortie du silence en tweetant « Salam. Paix ».
Le Juiice aime entreprendre et se lancer de nouveaux défis. L’objectif avec cette nouvelle mixtape c’est de montrer que n’importe qui est capable de réussir avec de la force, de la détermination et du naturel. « Je considère que mon parcours a tout d’être iconique par la forme et le fond. J’aimerais inspirer d’autres femmes comme moi, les aider à se lancer dans des projets, à entreprendre, à avoir confiance en soi. C’est ça que je veux apporter. Selon moi, il manque cette icône-là en France. Et j’aimerais la devenir ou en tout cas être un exemple de force de travail. »
Pour se faire une place dans le milieu très macho du rap, la working girl a dû trimer plus que les autres. En plus de rapper, elle est à la tête de son label Trap House fondé en 2019 et produit des artistes comme la jeune rappeuse Neissy. Elle garde aussi constamment un œil sur la composition de ses musiques. Plusieurs beatmakers dont Draco dans ta face et Mucho Dinero travaillent avec elle. Le Juiice leur fait confiance tout en ayant son mot à dire. C’est pareil pour ses clips. Sorti le 16 février dernier, le clip de son morceau Iconique a été tourné une première fois, mais le côté trop esthétique ne lui plaisait pas. La rappeuse voulait quelque chose de plus simple. Au final, la deuxième version du clip est un hommage à ses racines sans strass et sans paillettes. Tourné dans son quartier en bas de chez elle avec quelques-uns de ses proches et de ses auditeurs, le clip d’Iconique montre du vrai. « Sur ce clip-là, je voulais partager que ce qui est réellement iconique, c’est là d’où on vient. C’est le vrai qui est iconique. C’est lorsqu’on arrive à réaliser de grandes choses même en partant de rien. »
Celle qui a participé au documentaire Reines, pour l’amour du rap de Canal + ainsi qu’à un morceau 100% rap féminin aux côtés de Chilla, Davinhor, Vicky R et Bianca Costa, affiche une confiance en soi qui force le respect. « J’ai une assurance naturelle, mais qui se travaille évidemment. Il ne vaut mieux pas arriver dans le milieu du rap si t’es dépressif. Après, évidemment qu’on peut aborder ces sujets-là de manière décomplexée. Ça fait partie du jeu aussi. Mais ce n’est pas l’image que l’on veut apporter, on veut amener de l’énergie, de l’attitude et de la confiance en soi. » Le Juiice sait ce qu’elle veut et ce qu’elle vaut. Elle aime rappeler que le rap n’est pas masculin. « On a tous une bouche et on peut tous sortir des phrases avec. Je ne vois pas pourquoi un sexe peut le faire et pas l’autre. Mais évidemment qu’on ne parlera pas des mêmes choses car nous ne sommes pas les mêmes êtres et que nous n’avons pas le même vécu. Mais, il faut qu’il y ait, dans le rap, un discours en 360 degrés. Il faut qu’on entende les versions féminines des versions masculines. »
« Mylène Farmer a tout de même cassé les codes grâce à ses shows et ses visuels à l’américaine »
Déterminée à ce que les choses changent, Le Juiice impose à travers ses musiques, un savoir-faire et une lucidité déconcertante. L’artiste a conscience que les mentalités évoluent, mais elle continue tout de même à être actrice de ce changement. Ce désir que les femmes dans le rap soient davantage mises en avant et acceptées, est vital pour elle. Elle rappelle aussi qu’en France « on aime la douceur et la délicatesse comme celles de Vanessa Paradis et Carla Bruni. Alors voir une femme taper du poing sur la table ça peut paraître étrange et nouveau. Une femme comme Mylène Farmer a marqué la France avec d’autres codes. D’ailleurs, je l’admire beaucoup même si on ne pratique pas la même chose. Elle a tout de même cassé les codes grâce à ses shows et ses visuels à l’américaine ».
Le Juuice vient de prouver encore une fois que c’est une travailleuse acharnée en montant Homi, une nouvelle émission regroupant quatre artistes sur une production d’un beatmaker avec la présence d’un DJ. L’objectif de ce nouveau concept, c’est de faire découvrir des nouveaux rappeurs aux gens. « Selon moi, il n’y a pas assez de programmes rap. Le but, c’est de continuer à l’expansion de la culture hip-hop. Et j’espère pouvoir faire des épisodes à l’étranger. » À côté de ça, elle écrit toujours et est programmée dans des festivals cet été comme le Lollapalooza à Paris et Dour en Belgique. Puis elle débutera une tournée en octobre prochain. « J’aime entreprendre plein de choses, être stimulée. J’aime les défis. Le défi du rap il est déjà passé, la boucle a commencé donc maintenant, il faut que je m’en lance d’autres. »
Iconique (2022) de Le Juiice, disponible.