3 sept 2020

From Madonna to RuPaul, how self-love conquered the planet

Au fil des dernières décennies, le “self-love” s’est infiltré partout, des discours des plus grandes stars aux applications pour smartphones en passant par les posts Instagrams et les week-ends conférences. Décryptage d’un phénomène ancré dans notre époque. 

"There is no real safety except self belief" (“Il n’y a pas d’autre vraie sécurité que la confiance en soi”). Le 9 décembre 2016, lors de la cérémonie des Billboard Women in Music, voilà ce que déclarait Madonna dans un puissant discours de près de 10 minutes insistant sur la persévérance et la nécessité de croire en ses capacités pour réaliser ses rêves. Parmi d'autres citations, cette phrase de la star américaine peut s'entendre dans la dernière vidéo du projet “Unfiltered” réalisée par Jérôme Spleen pour Numéro, présentée comme un manifeste pour l’affirmation et l’expression de soi. Prononcés par les plus grandes célébrités internationales, ces propos sonnent comme un leitmotiv universel, utile voire nécessaire dans une époque traversée par le doute et submergée par les individualités et la concurrence. 

 

Cette pratique publique de la pensée positive découle d’un phénomène international : le self-loveLorsqu’il est recherché sur Instagram, le hashtag amène à lui seul plus de 37 millions de publications, parmi lesquelles de nombreuses phrases inspirantes sur fond pastel, des visages souriants et déterminés, des corps dénudés pour appuyer le courage de l’affirmation de soi accompagnés de déclarations qui semblent provenir d’un journal intime… Si Instagram pourrait s’apparenter au repaire par excellence du narcissisme et de l’exaltation de l’individu, Google et autres moteurs de recherche font eux aussi la part belle au self-love. Ces dernières années s’y sont multipliés articles compilant des citations optimistes prononcées par des célébrités, vidéos de Youtubeurs et TED Talks appelant à la motivation, mais aussi pléthore de listes de conseils enseignant comment pratiquer le self-love au quotidien. Les astuces – parfois injonctives – sont nombreuses : commencer sa journée par un “rituel de self love”, apprendre à se pardonner, devenir plus indulgent avec autrui, faire ce dans quoi l’on se sent à l’aise, ne pas abuser des réseaux sociaux, éviter les comparaisons… Tous suivent un même objectif : aider à se sentir mieux.

Un phénomène ancré dans la pop culture

 

Au sein de la myriade d’articles traitant de self-love, il n’est pas rare de voir revenir une citation bien connue d’Oscar Wilde : “S’aimer soi-même marque le début d’une romance qui dure une vie.” Pourtant, bien que l’on se réfère souvent à cet écrivain et poète du XIXe siècle, la deuxième moitié du XXe siècle a aussi amené avec elle son lot de courants de pensée et d’artistes qui ont bâti leur carrière sur cette devise. Amorcé par les représentants de la Beat Generation tels que Jack Kerouac ou Allen Ginsberg, puis par les valeurs pacifiques et libertaires véhiculées par le mouvement hippie, le self-love s’est ensuite implanté en Occident à travers de nombreuses personnalités publiques et médiatiques. Face au déclin de la foi lié à l’écart croissant des mœurs nouvelles avec la religion, ces nouveaux émissaires se sont affirmés tels des prophètes contemporains – et païens – prêchant une parole aussi vertueuse et bienveillante qu’adaptée aux enjeux d’aujourd’hui et de demain.

 

C’est notamment la pop music, genre florissant à partir des années 60, qui a permis de les adouber. Pour preuve, dès ses débuts dans les années 80, la discographie de Madonna regorge d’odes à l’acceptation de soi. Du “You deserve the best in life” du titre Express Yourself au “You’re a superstar, yes, that's what you are” de Vogue, les conseils de la chanteuse américaine à son public ont toujours été formulés très clairement : croire en ses capacités pour devenir la meilleure version de soi-même – un reflet des choix qui ont d’ailleurs présidé à sa propre carrière. Quelques décennies plus tard, Beyoncé déclarera à son tour : “Votre valeur est déterminée par vous-mêmes. Vous n’avez pas à dépendre de quelqu’un pour vous dire qui vous êtes.” Une nouvelle affirmation d’indépendance qui n’est pas sans rappeler le mythe américain du self-made man, tel qu’il fut énoncé la première fois par le militant afro-américain Frederik Douglass en 1859 : celui d’un individu qui ne doit sa réussite à rien d’autre qu’à lui-même, ni à sa famille, ni à son héritage, ni à ses relations.

Un phénomène aussi lucratif qu’émancipateur

 

Aujourd’hui, le self-love et devenu ce que l’on appelle un véritable business. Les termes “Love”, “Dream” ou “Believe in Yourself” s’invitent dans les intérieurs à travers autocollants sur les murs ou aimants sur le frigo, une ribambelle d’applications pour smartphone telles que ThinkUp, Happier ou Simply Being accompagnent leurs utilisateurs dans une pratique quotidienne du self-love pendant que bon nombre de séances, séminaires et week-ends consacrés à la pensée positive (“Self-love workshops”) fleurissent un peu partout dans le monde… Une journée internationale dédiée au self-care, conséquence du self-love, a même été créée le 24 juillet alors que le mois de septembre devient le “national self care month” aux États-Unis pour assurer une rentrée sous les meilleurs auspices. Concomitamment à la montée en puissance des réseaux sociaux, le self-love semble induire avec lui une certaine réification du corps et de l’esprit, ainsi soumis au régime de la performance et de la compétitivité produits par le capitalisme : cachées derrière l’acceptation de l’individu, ces nouvelles normes le régissent indirectement en lui offrant l’opportunité de son amélioration. Qui sera le plus lui-même, sans concessions et sans réserves?

 

Pour autant, nul ne saurait nier l’impact du self-love dans l’affirmation et l’acceptation de la diversité. Aux États-Unis, la drag queen superstar RuPaul s’en fait d’ailleurs l’un de ses nouveaux chantres avec sa phrase fétiche : “If you can’t love yourself, how can you love somebody else? Can I get an amen up in here?”(“Si vous n’arrivez pas à vous aimer, comment pouvez-vous aimer quelqu’un d’autre ? Puis-je avoir un “Amen” par là-bas?”), prononcée à la fin de chaque épisode de son émission RuPaul’s Drag Race. Car pour les minorités, ces discours ont été d’autant plus un vecteur d’empowerment – d’émancipation autant que de gain de confiance en soi et sa communauté –, comme l’a également montré la chanteuse Lady Gaga en 2011 en dédiant son titre Born This Way à l’affirmation sans complexes de sa singularité. 

Michelle Obama, “Becoming” (2018).

Dans son autobiographie parue il y a un an et demi, l’ex-première dame américaine Michelle Obama articule les trois parties de son texte autour d’un même mot, “becoming” : “Becoming Me”, “Becoming Us” et “Becoming More”. Comme tant d’autres récits contemporains, ce best-seller mondial valorise le “devenir” plutôt que l’“être” au sein d’une société qui se nourrit du mouvement permanent. Une technique qui, subtilement, montre que le self-love a encore de beaux jours devant lui.