Rencontre avec Daniel Lee, le directeur artistique qui électrise l’héritage Burberry
Après trois années passées à la tête de Bottega Veneta, le très talentueux Daniel Lee présentait en février dernier sa première collection pour la maison Burberry. Très attendu, le défilé du jeune Anglais a suscité un véritable enthousiasme. Rencontre avec un créateur très prometteur, empli de finesse et d’humour, dont les dernières créations sont à découvrir jusqu’au 7 décembre prochain aux Galeries Lafayette Haussmann, dans un pop-up conçu spécialement pour les fêtes.
Propos recueillis par Delphine Roche.
Numéro : Burberry est une véritable institution anglaise. Que représentait la marque pour vous pendant votre enfance, et, plus tard, lorsque vous avez décidé d’étudier la mode ?
Daniel Lee : Burberry est la plus célèbre marque de mode anglaise, elle représente la quintessence du style et de l’esprit britannique modernes. C’est même, effectivement, une institution nationale dotée d’une riche et longue histoire. Il se trouve que j’ai grandi non loin de Bradford, dans le nord de l’Angleterre, où sont fabriqués les trenchcoats de la maison. Des amis de ma famille travaillaient dans ces usines. On peut donc dire que Burberry a toujours fait partie de ma vie. Plus tard, lorsque j’ai étudié la mode, je regardais toujours les collections de la marque. À l’époque, Christopher Bailey était le directeur artistique de Burberry. J’avais énormément d’admiration pour son travail, et pour sa façon de rendre les codes de la maison très actuels.
Vous avez étudié au Central Saint Martins College, la célèbre école de mode londonienne par laquelle sont passés avant vous John Galliano, Alexander McQueen et Stella McCartney. Quelle influence a-t-elle exercée sur vous ?
Depuis mon jeune âge, j’étais sensible au travail d’Alexander McQueen et de John Galliano, que je suivais grâce à Internet et certains magazines. Leur créativité m’a enthousiasmé et m’a donné envie de devenir moi aussi un créateur de mode. En voyant leur travail, j’ai compris que c’était une carrière que je pouvais embrasser. Et puisqu’ils avaient étudié au Central Saint Martins College, j’ai voulu suivre leurs traces en y étudiant moi aussi. Ces années à l’école ont été une expérience extraordinaire pour moi. Après mon bachelor of arts spécialisé dans le travail de la maille, j’ai souhaité obtenir un master of arts en mode féminine. L’école a donc exercé une grande influence sur ma vie. Deux de mes collaborateurs qui officient aujourd’hui à mes côtés au studio de Burberry sont d’ailleurs d’anciens camarades du Central Saint Martins College.
J’ai grandi non loin de Bradford, dans le nord de l’Angleterre, où sont fabriqués les trenchcoats de la maison. Des amis de ma famille travaillaient dans ces usines. On peut donc dire que Burberry a toujours fait partie de ma vie.
Avant de présenter votre première collection pour la maison, vous aviez dit à la presse que, plutôt que de surprendre le public, vous préféreriez qu’il se dise : “C’est pertinent. C’est exactement ce qu’il faut faire chez Burberry.” Vous êtes-vous donné pour mission de “servir” la marque ?
Absolument. J’aborde mon rôle chez Burberry avec un très grand sérieux. La maison est plus importante et plus ancienne que moi. L’idée, pour moi, est d’y écrire un nouveau chapitre passionnant, de m’inscrire dans son histoire et de la garder bien vivante.
Un de vos premiers gestes a été d’utiliser de nouveau un logo emblématique de la maison, représentant un chevalier combattif juché sur son cheval. Ce logo s’affiche en grand format et dans une couleur bleue vive sur certains modèles de votre premier défilé. Avez-vous le sentiment qu’il entre en résonance avec l’esprit et les goûts de notre époque ?
Je trouve l’EKD [equestrian knight design, motif de chevalier équestre] particulièrement beau. Nous l’avons retravaillé en modifiant ses ombres et ses lignes, ce qui lui donne un aspect plus tactile et plus chaleureux. Sa couleur, le bleu roi, est l’un des symboles du Royaume-Uni. Qu’il soit tissé ou imprimé, l’EKD fait maintenant partie intégrante des collections de vêtements, et il apparaît également sur les accessoires, notamment sur le sac Knight dont le système de fermeture évoque le motif d’un cheval harnaché. Le bleu roi, que nous appelons Knight Blue, est également récurrent : on le retrouve sur les coutures des imperméables, sur des boutons, sur le passepoil des pyjamas de soie, dans certains tartans et sur le sac Shield, qui emprunte la forme du bouclier du chevalier.
Plutôt que de vouloir créer un luxe exclusif, j’aspire à ce qu’on puisse se projeter dans mes collections, s’y reconnaître. J’aime l’idée de vêtements qui se mettent au service de la personne qui les porte.
Dans votre première collection pour la maison, vous jouez avec de nombreux archétypes associés à Burberry : l’outerwear, le tartan, la rose anglaise… En répétant et en accumulant ces motifs, vous insufflez à votre proposition une note d’ironie très subtile et bienveillante. Était-ce là votre intention ?
J’aime très sincèrement ces symboles de l’esprit britannique, mais je pense également qu’il est sain de proposer un peu d’humour et d’irrévérence. Cela fait sourire le public, et j’aime l’idée de créer des vêtements qui inspirent l’optimisme et la joie.
Proposer des pièces fonctionnelles fait partie intégrante de l’identité de Burberry. Cet aspect de votre travail vous satisfait-il ?
Je pense qu’il est important que les vêtements soient utiles à notre quotidien, de même qu’ils doivent être beaux et participer à enjoliver notre vie. J’aimerais que tout un chacun puisse comprendre l’esprit de Burberry, et veuille porter la marque. Plutôt que de vouloir créer un luxe exclusif, j’aspire à ce qu’on puisse se projeter dans mes collections, s’y reconnaître. J’aime l’idée de vêtements qui se mettent au service de la personne qui les porte, de même que j’aime la notion de “vestiaire”. Et je trouve très inspirant d’imaginer des pièces que l’on porte en extérieur.
Une des photos de votre première campagne montrait des cygnes, et, dans cette même collection, vous avez introduit un imprimé représentant des canards. L’aspect plus rural, proche de la nature, typique du mode de vie britannique, vous inspire-t-il particulièrement ?
Il m’inspire beaucoup en effet. J’ai grandi dans la campagne anglaise, qui est tour à tour verte et charmante, puis brute et sauvage. Nous vivons sur une île aux dimensions relativement modestes, sur laquelle on peut connaître un contraste extrême entre la ruralité et la vie citadine. Cela me plaît. Burberry célèbre toujours la vie au grand air.
Les imprimés et les messages que vous répétez et déclinez semblent déjà instaurer des codes qui vous sont propres, à l’intérieur du spectre des codes de la maison. Feront-ils partie intégrante de votre approche lors des prochaines collections ?
Je ne peux pas prédire le futur, mais il est important pour moi, comme je le disais, que tout le monde puisse se reconnaître dans ma vision et la comprendre. Or les motifs figuratifs et les messages font partie des outils les plus efficaces à ces fins. Donc je dirais que oui, lorsqu’ils sembleront pertinents, les mots et les messages pourraient s’inscrire durablement dans notre approche.
Je voulais que les couleurs du défilé automne-hiver 2023-2024 soient vives, inspirant l’optimisme et la joie. Je veux que les gens ressentent ces émotions lorsqu’ils voient et lorsqu’ils portent les vêtements.
Les couleurs jouaient un rôle central dans votre première collection. Sont-elles cruciales à vos yeux pour Burberry ?
Face aux couleurs, nous réagissons de façon instinctive. Je voulais que celles du défilé automne-hiver 2023-2024 soient vives, inspirant l’optimisme et la joie. Je veux que les gens ressentent ces émotions lorsqu’ils voient et lorsqu’ils portent les vêtements. Les teintes de la première collection font partie de l’héritage britannique, et elles sont aussi luxueuses.
Les accessoires sont importants dans le développement d’une marque, et vous avez d’ores et déjà présenté une proposition étoffée dans ce domaine, des bottes de pluie aux sandales piquées de fourrure, en passant par une bouillotte imprimée tartan. Quels sont ceux qui resteront dans les collections à venir ?
Les sacs Knight et Shield sont des pierres angulaires, de même que les bottes cavalières et les bottes de pluie. Plusieurs modèles de sandales et d’escarpins, classiques et moins classiques, sont partis pour durer dans le temps. Surtout, les accessoires doivent toujours évoquer la vie active en extérieur.
Vous avez choisi pour ambassadeurs de votre première campagne la musicienne Shygirl, le footballeur Raheem Sterling, l’actrice (aujourd’hui âgée de 86 ans) Vanessa Redgrave et le rappeur Skepta. Construisez-vous une sorte de “clan” Burberry, ou allez-vous enrôler différents talents de saison en saison ?
Je dirais que certains visages vont rester, et que d’autres vont changer. Le casting de cette campagne est divers à tous égards. La campagne de l’hiver 2023 met à l’honneur des personnes qui ont participé au défilé, mais nous leur avons ajouté un casting très spécifique : nous avons également photographié des pêcheurs de l’île de Skye, où les photos ont été réalisées. Les personnes que vous mentionnez sont des talents remarquables, chacune dans son domaine. C’est la raison pour laquelle nous les avons sélectionnées : l’idée est de célébrer et d’exporter la créativité britannique.
Avez-vous le sentiment que la culture de la jeunesse britannique, admirée dans le monde entier, est un atout important pour Burberry ?
Absolument. Elle s’enracine dans mon histoire personnelle autant que dans mes créations. J’ai la chance de pouvoir la comprendre parfaitement. Burberry étant une marque britannique, ce goût de l’audace propre à la jeunesse, cet esprit d’ouverture coule naturellement dans ses veines.
La collection Holiday de Burberry est à découvrir jusqu’au 7 décembre 2023 dans un pop-up exclusif aux Galeries Lafayette Haussmann, Paris 9e.