Rencontre avec Julien Dossena à l’occasion du lancement de Pacollection
Le directeur artistique mode de Paco Rabanne signe une collection engagée et de caractère, rencontre fusionnelle de la mode et du parfum.
Propos recueillis par Laurence Hovart.
Numéro : Paco Rabanne lance sa première collection de parfums et vous en avez dirigé la création…
Julien Dossena : L’idée était de faire un premier projet qui lie la mode et les parfums, de faire avec le parfum un produit de mode. Pour être vertueux jusqu’au bout, il fallait pouvoir contrôler – et vous savez comme la mode peut-être “contrôlante” – l’exécution de l’ensemble du projet (pack, image, etc.) afin de s’assurer qu’il exprime parfaitement la dimension mode de la marque, mais de façon plus mainstream. Ça a été une expérience très enrichissante.
Le développement d’un parfum implique une logique de travail très différente de celle que vous connaissez dans la mode. On passe souvent d’un univers relativement artisanal à un monde plus industrialisé, ce peut être un peu éprouvant pour un créateur…
Si on parle d’objets pop, on évoque un principe industriel. J’aime cette efficacité. C’était très agréable pour moi de pouvoir imaginer quelque chose à une échelle différente.
Dans cette nouvelle collection, le flacon est la première surprise, un objet souple très novateur.
En effet, le flacon est assez étrange. Chez Paco Rabanne, il y a l’idée d’anticipation et de futur antérieur. Je me suis inspiré d’un sachet de nourriture lyophilisée de la NASA. Une espèce d’étui Pom’Potes twisté. J’avais envie de travailler une flasque, cet objet assez noble, masculin, souvent gravé, qui renferme un liquide enivrant, et de créer une tension entre deux univers, d’un côté l’industriel, de l’autre le dandy. On a obtenu des proportions relativement sévères, voire austères, mais contrebalancées par la souplesse du contenant, point clé pour moi, et par la touche pop métallique créée grâce à des dégradés de couleur. Le flacon se manipule et s’utilise de façon très relaxe, même “emportée” : on le jette dans son sac ou dans sa valise. Il n’a aucun caractère statutaire et induit une sorte de lâcher-prise, sans que cela induise une perte de radicalité de son design, ni de noblesse de l’objet, je crois. On joue avec les codes du luxe en présentant le flacon couché, mais posé sur une mousse industrielle. Dans cette même logique pop, on a glissé un poster dans la boîte, avec une notice au dos.
Vous parlez d’anticipation, de futur antérieur… quels sont vos combats derrière ce rapport au temps ?
La proposition d’un présent fantasmé. Militer pour une grande liberté, ça peut paraître un peu candide, mais quand on voit ce qui se passe autour de nous…
“Il faut encore œuvrer pour une féminité forte qui ne s’excuse pas, pour l’idée d’un genre que vous choisissez et qu’on ne vous impose pas, pour une sexualité choisie et non subie, etc.”
Qu’un garçon ressemble à une fille, qu’une personne soit gay ou non, dans ma perception des choses, ça n’existe pas. Je veux juste montrer qu’on peut être fort ensemble. Parfois, en groupe, vous avez des affinités très fortes avec des gens qui n’ont rien à voir avec vous et qui, en même temps, ont tout à voir parce qu’ils partagent cette ouverture avec vous… Mon utopie, c’est plutôt l’expression de cette liberté-là.
Les images de la campagne pour le parfum montre d’ailleurs cela, des individualités très singulières et rassemblées. On est loin des codes habituels de la beauté…
Complètement. Je voulais prendre le contre-pied de ce que le marché de la beauté nous montre, de ce qui était proposé en communication, que la proposition soit féminine ou masculine.
“Il y a tout un pan de l’expression contemporaine, ou d’une nouvelle génération, que je ne retrouve absolument pas dans le champ de la beauté.”
Je trouvais intéressant d’y aller fortement et directement. D’où le choix de ce groupe engagé esthétiquement, et constitué d’individus choisis en fonction de leur activité et de leurs engagements personnels, de ce qu’ils représentent et ont à dire, au-delà du fait d’être ensemble dans une pub pour des parfums.
Quelle idée domine chaque parfum ?
On voulait exprimer différents feelings et profils, retrouver dans le parfum des personnages qui se détachent dans la mode actuelle de Paco Rabanne. On a ramené les valeurs de la marque au présent. Par exemple, le côté techno-sport et innovant de mes vêtements s’intègre parfaitement dans la fragrance Genius Me, avec son ingrédient un peu pétillant très particulier développé spécialement pour cette occasion. Crazy Me, c’est la facette Jane Birkin portant une robe métal doré dans un club du sud de la France. Il est jaune et sent le mimosa. Avec Dangerous Me, l’idée d’une féminité un peu androgyne domine, dans le prolongement de cette androgynie que j’ai apportée chez Paco Rabanne. Erotic Me évoque à la fois des notes de cuir et de lait chaud très étonnantes et ambiguës. Même s’ils sont tous mixtes, le plus masculin de tous, c’est Strong Me, contredit néanmoins par une douceur sucrée, certainement le plus queer de tous.
Vous aviez cet objet-flacon d’un côté et le développement des six fragrances de l’autre ?
Tout s’est joué en parallèle. Les parfumeurs savaient que nous attendions une collection radicale et très Rabanne en matière de fragrances. Nous voulions quelque chose qui n’existait pas chez la concurrence. En créant une ligne peu chère, nous prenions déjà le contre-pied des collections traditionnelles, très majoritairement premium. Pour obtenir des parfums à forte personnalité, nous avons donné carte blanche à plusieurs nez qui connaissaient très bien la maison, et l’idée des eaux de toilette, donc de parfums relativement légers, s’est imposée.
Une préférence parmi les six parfums ?
Genius Me ! J’adore son côté buanderie. C’est comme si on mettait sa tête dans la machine à laver ou qu’on portait une chemise très propre. La fragrance est hyper confortable et réconfortante, et en même temps synthétique… hyper numérique. J’y retrouve cette facette chimique que j’aime beaucoup chez Paco Rabanne, obtenue par des ingrédients +++, comme cette molécule appelée CristalFizz, dont je parlais.
Pourquoi une collection plus qu’un seul parfum ?
Plutôt que d’être statutaire et de se dire que tel parfum exprime cette chose-là, et que, si je veux être cette chose-là, je dois porter ça… je voulais exprimer l’idée qu’on peut être multiple, et changer de parfums. Un matin, vous pouvez vous sentir Genius Me, et le lendemain, Erotic Me. J’ai l’impression que je ne suis pas la même personne quand je me couche et quand je me lève. Je change trois millions de fois dans la journée. Je change d’un jour à l’autre. Et je ne parle même pas d’une année sur l’autre…
Pacollection, “Genius Me”, “Strong Me”, “Crazy Me”, “Fabulous Me”, “Dangerous Me” et “Erotic Me”, PACO RABANNE. 69 euros, 62 ml. En vente sur www.pacorabanne.com et à la boutique Paco Rabanne, 12, rue Cambon, Paris Ier.