2 sept 2020

“Swallow”, a disturbing fable with a nauseating aftertaste

Le réalisateur Carlo Mirabella-Davis présentait son premier long-métrage au festival du film américain de Deauville. Inspiré de la vie de sa propre grand-mère, “Swallow” dépeint la détresse d’une femme au foyer atteinte de la maladie de Pica, trouble du comportement alimentaire qui la pousse à ingérer des substances non comestibles… Le film a décroché le Prix Spécial du festival.

En compétition au festival de Deauville, le premier long-métrage de Carlo Mirabella-Davis est l’exemple parfait du film qu’il est nécessaire de digérer. On sort de la projection dubitatif, assommé par une lenteur incertaine. Après mûre réflexion, des éléments séduisants émergent de cette œuvre en demi-teinte qui manque cruellement de caractère. Le long-métrage a pourtant décroché le prix Spécial du festival de Deauville. Porté par la jeune Haley Bennett, une hybridation de Jennifer Lawrence et Carey Mulligan, Swallow reste un drame noir timide perdu entre deux genres. Une allégorie sinistre mais pas assez anxiogène pour surprendre, une fable lugubre mais pas assez glauque pour captiver.

 

Hunter est seule dans sa grande demeure terne et silencieuse. Son mari, prototype du bourgeois trentenaire en costume impeccable, est encore au travail. Il s’absente de plus en plus souvent depuis qu’il a été nommé directeur de l’entreprise familiale. La jeune femme tient une petite bille rouge translucide entre son pouce et son index et la porte à hauteur de ses yeux. Face caméra, après quelques secondes d’hésitation, tandis qu’une lueur écarlate se reflète sur sa pommette, Hunter dépose la petite sphère dans sa bouche… puis l’avale. Voilà quelques jours à peine que son test de grossesse s’est avéré positif. Élément déclencheur de la maladie de Pica, ce trouble du comportement alimentaire qui se manifeste pour la première fois. À l’abri des regards, elle ingère des substances non comestibles à intervalle régulier : après la bille viendra l’épingle, la vis, la pile, la terre…

 

 

Le récit de Carlo Mirabella-Davis pêche par excès de pudeur. En souhaitant que le thriller épuré percute une comédie noire, le cinéaste se contente d’esquisser des personnages qui, de fait, apparaissent comme des concepts.

Le film de Carlo Mirabella-Davis s’inspire d’un récit familial, celui de sa propre grand-mère. Sous les traits de Haley Bennett, cette dernière est déshumanisée par le réalisateur, réduite à son statut de femme au foyer démunie, faible et incapable d’entreprendre quoi que ce soit. Lorsqu’elle effectue les tâches ménagères, c’est enfermée dans un plan fixe – tel un personnage prisonnier du tableau qu’on aurait peint sans son accord. De cette image figée naît une figure assignée à un rôle de façon irrévocable.

 

 

Le mari de Hunter ne l’aime que pour ce qu’elle représente : un corps capable de satisfaire ses pulsions sexuelles, un corps capable d’engendrer sa descendance, une présence dans sa demeure, une domestique…

 

 

En ingérant cette bille rouge, incitée par A Talent for Joy, l’ouvrage fictif qu’elle n’ouvre qu’une seule fois, Hunter reprend enfin le contrôle de sa vie – perdu lors d’un événement que l’on taira. Elle ingurgite alors la tumeur qui la détruit progressivement, métaphore du mal qui la ronge et finalement, de cet enfant qui grandit en elle. À l’image de sa vie monotone et cafardeuse, le trouble obsessionnel se manifeste de façon perpétuelle puisqu’elle expulse ce qu’elle a ingéré, des mets aussi insipides que son existence. Mais le récit de Carlo Mirabella-Davis pêche par excès de pudeur. En souhaitant que le thriller épuré percute une comédie noire, le cinéaste se contente d’esquisser des personnages qui, de fait, apparaissent comme de simple statuts, voire des concepts. D’autant qu’il est difficile de s’attacher à Hunter, jeune femme timide, qui conservera son innocence virginale, loin du renfrognement progressif et quasi démoniaque de Justine dans le Grave de Julia Ducournau en 2017.

L’Américain maîtrise toutefois le sentiment de solitude inhérent à son long-métrage. Si la belle famille de Hunter cherche davantage à protéger la progéniture que la mère, le mari, lui, n’aime sa femme que pour ce qu’elle représente : un corps capable de satisfaire ses pulsions sexuelles, un corps capable d’engendrer sa descendance, une présence dans sa demeure, une domestique qui doit “préparer le repas de son mari.” Et lorsqu’elle atteint l’orgasme et renoue enfin avec sa féminité, il ne manque pas de lui rappeler que son propre plaisir passe avant le sien : “Moi je n’ai pas encore joui.” Sans détour, Swallow aborde la violence conjugale psychologique.

 

Avec Swallow, Carlo Mirabella-Davis braque sa caméra sur des représentations. Comme Nicolas Winding Refn pouvait le faire dans The Neon Demon (2016), mais avec davantage de brio. Ce premier film, quoique original et soigné, manque de substance et d’intention. Sa brutalité contenue est bien trop frustrante.

 

 

Swallow, de Carlo Mirabella-Davis, en salle prochainement.

Projection lors du Festival du film américain de Deauville.