Rencontre avec Pomme : « Je pense que nous sommes assez déconnectés de ce qui nous entoure »
En collaboration avec la plateforme de streaming Deezer, la chanteuse française Pomme a convié une poignée de ses fans à découvrir une version exclusive de son dernier album-concept intitulé Saisons (2024) sous la forme d’un ciné-concert. À cette occasion, Numéro a rencontré l’artiste aux milles visages (chanteuse et actrice) qui continue de briller sur la scène francophone avec des projets toujours plus engagés et aboutis.
propos recueillis par Nathan Merchadier.
Deux ans après le succès retentissant de son troisième disque Consolation, la chanteuse, compositrice et musicienne Claire Pommet alias Pomme, 27 ans, a dévoilé au mois de mars dernier un nouvel album-concept intitulé Saisons. Né d’une envie de célébrer la nature et les saisons qui rythment notre quotidien, elle propose avec cet opus une véritable ode aux éléments vivants qui nous entourent. En résulte douze titres d’une douceur infinie, plongeant tous ses auditeurs dans un état second, quelque part entre rêve et réalité.
La chanteuse Pomme révèle son album Saisons à l’occasion d’un ciné-concert exceptionnel
Afin de donner vie à ce projet d’album, l’artiste française a collaboré avec Aaron Dessner, membre du groupe d’indie rock américain The National, ainsi qu’avec l’auteur-compositeur psychédélique Flavien Berger, déjà croisé sur l’élaboration de Consolation (2022). En écho à sa prestation éblouissante en tant qu’actrice dans le film La Vénus d’argent 2023) d’Héléna Klotz, Pomme a également imaginé dans le cadre de ce projet une série de quatre courts-métrages mettant chacun en scène une saison de l’année.
À l’occasion d’un ciné-concert organisé ce mercredi 17 avril 2024 par la plateforme de streaming Deezer – dans le cadre de son expérience live Purple Door – l’artiste s’est entourée de 19 musiciennes et de la cheffe d’orchestre Malvina afin d’offrir une performance live envoûtante, devant une poignée de ses fans, sur la scène de La Marbrerie (Montreuil). Alors qu’elle s’apprête à partir en tournée internationale qui passera par le Mexique et la Colombie, Numéro s’est entretenu avec la chanteuse aux milles visages qui continue de briller sur la scène francophone au gré de projets toujours plus engagés et aboutis.
L’interview de la chanteuse Claire Pommet alias Pomme
Numéro : Après avoir sorti trois albums remarqués, vous avez dévoilé un album-concept intitulé Saisons. Pourquoi teniez-vous à imaginer ce disque d’une nouvelle manière ?
Claire Pommet alias Pomme : J’en avais un peu marre d’avoir le même processus créatif qui finissait par ne plus m’inspirer. Alors, pour me challenger et essayer de sortir de cela, j’ai décidé de renverser ce mode de fonctionnement. J’avais fait trois albums de la même façon. J’ai l’impression que j’approche de la trentaine et que je me sens très fatiguée. Parfois, je me dis que je n’ai pas envie de me dégoûter de faire ce métier-là. J’ai donc eu envie de faire un album où je me place en tant que spectatrice et moins comme un personnage principal.
D’où vient le concept de chansons définissant des saisons ?
L’an dernier, j’ai eu une pause de trois semaines pendant laquelle je suis allée au Québec. La saison du printemps est un peu particulière là-bas car les gens sortent d’une longue période de froid intense. À partir du mois de mai, il y a une espèce d’euphorie dans les villes et c’est la première fois que j’ai eu le temps de l’observer en tant que spectatrice. Je marchais dans la rue, je voyais les gens sortir et faire des apéros dehors alors qu’il y avait encore un peu de neige. J’ai trouvé ça très inspirant. Je me suis aussi rendu compte que je ne regardais plus du tout les saisons et que je ne m’intéressais plus à cela car j’étais complètement déconnectée. Comme je compose le plus souvent sur des sujets qui m’intéressent, je me suis mise à écrire sur ce thème des saisons. À ce moment-là, j’avais déjà composé la chanson de l’hiver, intitulée carte de noël, car j’avais pour projet de faire un album hivernal. J’ai par la suite rajouté une chanson de printemps et je me suis dit : “Pourquoi ne pas faire un album sur toutes les saisons ?”. C’était aussi une façon pour moi de me forcer à aller vers quelque chose de plus lent.
« Parfois, je me dis que je n’ai pas envie de me dégoûter de faire ce métier-là. » Pomme
Était-ce aussi pour vous une volonté de vous inscrire en rupture avec les schémas classiques de l’industrie musicale ?
Ce n’était pas une réelle volonté de m’inscrire en rupture. Mais c’était très agréable de me dire que cet album n’est pas seulement un 12 titres, mais aussi un disque de quatre longs mouvements qui s’écoutent d’affilée. Il y a plein de gens qui n’ont pas compris le concept de l’album et qui m’ont qu’ils avaient l’impression de toujours écouter la même chanson. J’aime bien cette idée que les gens soient obligés, s’ils veulent profiter de l’expérience maximale, de l’écouter dans l’ordre. C’est un truc qui ne se fait plus trop, sauf peut-être avec le vinyle. Il y avait finalement une envie sur ce projet de multiplier les médiums : le film, les pochettes qui étaient beaucoup plus travaillées, la musique, l’orchestre. Et de co-composer avec d’autres gens.
« Je pense que le fait d’avoir tourné dans un long-métrage en tant qu’actrice m’a permis d’écrire des choses plus ambitieuses. » Pomme
Pourquoi avoir fait appel à Flavien Berger pour travailler sur la saison automnale ?
Flavien Berger et moi avons commencé à travailler sur le concept des magies, qui sont les morceaux que l’on réalise ensemble. Il y a d’abord eu magie bleu, qui était sur la réédition de l’album Les Failles en 2020. Nous avons donc commencé à travailler sur une nouvelle magie qui est devenue la partie « automne » de l’album. Pour chaque saison, le processus de création a été différent. C’était un peu comme un puzzle où j’allais chercher différentes inspirations et différentes collaborations que j’ai toutes mises sur l’album. C’est la première fois de ma vie que je compose un disque avec des méthodes aussi différentes. Il n’y avait pas de mode d’emploi.
Concernant la partie vidéo de cet album, pourquoi teniez-vous à illustrer (autant) ces titres ?
Depuis 2019, quand j’ai repris possession de mon propre projet, je me suis mise à écrire tous mes clips ou à les co-réaliser à minima. Cette fois-ci, c’était plus ambitieux car il a fallu illustrer 36 minutes de chansons. Quatre films s’enchaînent, un peu comme des courts-métrages. J’ai collaboré avec deux amis à moi, Hugo Pillard et Nina Richard. Je leur ai donné un brief hyper précis et ensuite, on a retravaillé le projet ensemble pour voir ce qui était réalisable. Cet album représente le fait de passer à travers la fenêtre de chez soi et de se retrouver à l’intérieur d’une saison, dans un environnement qui est naturel et non dans une maison. Dans le film, à chaque fois, il y a cette traversée-là qui est représentée par un objet. Il fallait à chaque fois réfléchir à quelque chose d’un peu magique.
Cette volonté de mise en scène était-elle liée à votre récent rôle dans le film La Vénus d’argent ?
Avant de jouer dans ce film, j’ai toujours eu des idées hyper visuelles liées à la musique. Par contre, je pense que le fait d’avoir tourné dans un long-métrage en tant qu’actrice m’a permis d’écrire des choses plus ambitieuses, parce que je me dis que je pouvais tout faire. À partir du moment où j’ai tourné dans un film, même si c’était un rôle assez intérieur, je me suis dit que je pouvais m’amuser dans mes clips. J’ai éprouvé un lâcher-prise sur le tournage du film que je n’avais pas ressenti avant, donc j’ai écrit des scènes dans une piscine, des scènes où je pleure, plein de choses que je n’aurais pas pu écrire avant parce que ça m’aurait terrifiée de devoir me mettre autant en scène.
« Je pense qu’une sorte d’éco-anxiété a également motivé ce projet. » Pomme
Les saisons influencent-elles à ce point notre quotidien ?
Oui, et je pense qu’une sorte d’éco-anxiété a également motivé ce projet. J’insistais déjà à petites doses dans certaines de mes chansons sur l’importance de la nature. Mais le fait de consacrer un disque entier à ce sujet, c’est une façon pour moi de mettre en lumière la question primordiale de l’environnement. Je pense que nous sommes assez déconnectés de ce qui nous entoure. Je ne parle pas des infrastructures et des villes, mais de la nature en elle-même, des cycles, des plantes qui poussent, des arbres qui meurent, des végétaux qui se décomposent. C’est quelque chose que l’on ne regarde plus du tout et qui, quand même, est un peu l’essence de ce pourquoi on existe. J’avais aussi l’envie de faire une sorte de carte postale. À la fin de l’album, dans les remerciements, je dis : “Pour que les saisons résistent”. Il y a cette idée d’avoir envie que les choses restent comme cela et de se dire : “J’espère que cette carte postale sera la même dans 10 ans, dans 15 ans, dans 20 ans.”
Pourquoi l’expérience Purple Door proposée par Deezer avait-elle du sens pour vous ?
Il y avait l’idée dans ce projet de mélanger les médiums. Pour le concert Purple Door, il y avait à la fois mes chansons, l’orchestre sur scène et une projection du film. Organiser cela avec Deezer avait du sens parce qu’aujourd’hui, les gens écoutent beaucoup de musique en streaming. Alors je trouve ça génial que les plateformes investissent et donnent de l’argent pour ce genre d’événement. Grâce à ce partenariat, j’ai pu donner vie à ce ciné-concert que je n’aurais probablement pas pu produire moi-même, parce que ça coûtait trop cher et que c’était trop ambitieux. Là, il y a un échange qui me permet de rencontrer mon public et d’avoir l’impression que ma musique sert à quelque chose.
Saisons (2024) de Pomme, disponible.