LVMH PRIZE 2022 : WINNIE NYC’s ultracontemporary tailoring
Jeudi 24 mars 2022, le Prix LVMH dévoilait la liste des huit finalistes de sa neuvième édition, parmi lesquels, le créateur Idris Balogun, fondateur du label Winnie NYC qui propose des collections d’une précision exceptionnelle aux lignes radicales et aux influences multiculturelles, du streetwear new-yorkais à l’artisanat nigérian.
Propos recueillis par Elliot Mawas.
Peu de créateurs peuvent s’enorgueillir d’avoir débuté à seulement 14 ans leur apprentissage au sein d’un des célèbres ateliers de tailleurs londoniens à Savile Row. C’est pourtant le cas d’Idris Balogun qui, après avoir rejoint les studios de Burberry aux côtés de Christopher Bailey puis ceux de Tom Ford, a fondé le label Winnie NYC en 2019, finaliste du prix LVMH 2022. Mais Idris Balogun n’est pas du genre à se vanter. Empreint d’humilité, le jeune créateur mêle des pièces conçues pour se plier facilement, dans la pureté des lignes et l’élégance intemporelle qui caractérisent le tailoring traditionnel, à des références multi-culturelles qui puisent dans ses héritages nigérian et new-yorkais. Elles se traduisent par l’utilisation de couleurs telluriques et de matières comme le cuir, le denim ou bien la laine qui exaltent une approche plus décontractée du costume. Brouillant les codes des genres, le vestiaire de Winnie NYC s’inscrit dans une pluralité des inspirations et une rigueur de la conception qui s’ouvrent comme autant de champs des possibles et, ensemble, redonnent un sens aux vêtements.
Numéro : Quel est votre premier souvenir mode ?
Mon premier souvenir c’est l’armoire de mon père. Dans sa chambre sombre, je suis resté assis des heures à contempler les tissus. J’étais fasciné par la façon dont toute son identité se manifestait dans ce petit espace.
Quels designers, vivants ou non, vous ont inspiré ?
Quand j’étais plus jeune, le créateur ghanéen Ozwald Boateng m’inspirait car nous venons de la même région d’Afrique et que sa vie ressemble à un conte de fées. Aujourd’hui, j’admire le travail des créateurs Haider Ackermann, Dries Van Noten, Christopher Bailey et bien sûr Monsieur Ford.
Enfant, vous séchiez les entraînements de football pour travailler chez un tailleur de Savile Row. Comment êtes-vous parvenu à entrer, à seulement 14 ans, dans ce cercle prestigieux ?
Je ne pense pas qu’à l’époque j’avais conscience de mon (très) jeune âge. J’étais surtout habité par une vision romantique du métier de tailleur : être capable de construire des vêtements à mains nues, à partir de rien, me semblait magique. Je suis extrêmement reconnaissant d’avoir suivi cette formation chez les tailleurs de The Row (le surnom donné au quartier de Savile Row) qui m’a appris l’importance de la pureté des lignes, du souci du détail et de l’intégrité.
À 21 ans, après un court passage au Fashion Institute of Technology à New York, vous avez été engagé chez Burberry par Christopher Bailey, que vous aviez déjà rencontré à Savile Row. Qu’avez-vous appris auprès de lui ?
Avec Christopher Bailey, j’ai appris à considérer le design comme de la poésie. Il trouvait toujours les mots justes pour exprimer ses inspirations. Il m’a montré comment envisager une vision plus globale de la création, et de la direction artistique, là où je me limitais à la conception.
Un an plus tard, en 2017, après le départ de Christopher Bailey de Burberry, vous avez rejoint le studio de création de Tom Ford. En quoi cette collaboration a complété votre formation ?
C’était une expérience fantastique de travailler avec Monsieur Ford! C’était une petite équipe et une maison assez discrète, ce qui changeait radicalement de chez Burberry. Tom Ford a vraiment affiné ma perception d’une marque de luxe. De plus, retrouver la même attention portée aux détails que celle des tailleurs de Savile Row était magnifique.
Vous confiez par ailleurs dans une de vos interviews être devenus un “clone culturel” de Tom Ford, que vouliez-vous dire ?
Oui, je me souviens de cette citation, j’évoquais l’état d’esprit dans lequel j’étais à ses côtés. Sa direction artistique est si sensuelle et luxueuse… c’est un style de vie très tentant!
À quel moment avez-vous décidé de lancer votre propre label?
La mort de ma grand-mère (Winifred Dademu), m’a fait réalisé le peu de moments que j’avais passé à ses cotés, privilégiant alors ma carrière. J’ai quitté Monsieur Ford en 2018 pour créer quelque chose qui serait dédié à sa mémoire et qui me ressemblerait. C’est ainsi qu’en 2019, Winnie est née.
Un an après vos premiers pas à la Fashion Week de Paris en 2020, vous avez collaboré avec l’artiste canadienne Tau Lewis, connue pour ses installations en tissus upcyclés. Pouvez-vous me parler de votre projet commun pour votre collection automne-hiver 2021 ?
J’admire son travail depuis de nombreuses et cette collaboration a été une expérience formidable car elle m’a encouragé à créer de manière plus durable. Un engagement qui s’inscrit dans l’ADN de Winnie et que je poursuis encore aujourd’hui à travers mes collaborations avec d’autres artistes comme Alida Rodrigues cette saison (SS 2023).
Les notions de tradition et de transmission sont au cœur de vos collections. Par exemple, pour le printemps-été 2022 vous vous inspirez de l’année 1960 durant laquelle 36 nations africaines ont obtenu leur indépendance. Comment vos inspirations multiculturelles imprègnent vos collections ?
J’ai un parcours atypique car je suis né à New York de parents nigérians mais j’ai grandi en Angleterre avant de revenir à New York pour étudier au Fashion Institute of Technology. Mon héritage est à ce titre très important pour moi et je suis fortement inspiré par la diaspora, les artistes, l’histoire mais aussi mes propres expériences personnelles. Ces inspirations plurielles sont autant de possibilité à des connexions et des dialogues entre les cultures. Aussi, il s’agit de trouver le fil conducteur dans mon approche du design qui relie ces idées de manière équilibrée. La facilité de porter les vêtements, la durabilité et l’héritage en tracent aujourd’hui les grandes lignes.