Quand l’art s’invite sur les défilés : Alexander McQueen et Joel-Peter Witkin
Dès l’apparition de la haute couture, la mode et l’art ont tissé des liens étroits, comme en témoignent la collaboration d’Elsa Schiaparelli avec Salvador Dali ou encore les robes Yves Saint Laurent en hommage à Piet Mondrian. Depuis une dizaine d’années, la relation entre ces deux disciplines s’intensifie avec pour nouveau terrain de rencontre les défilés de mode. Ainsi, au sein de ces espaces éphémères où sont présentées les nouvelles collections, artistes contemporains et designers signent des installations extraordinaires et mémorables. Pour sa collection printemps-été 2001, Alexander McQueen s’inspirait d’une photo de l’Américain Joel-Peter Witkin pour un défilé qui demeure encore aujourd’hui comme l’un des plus marquants et dérangeants de l’histoire de la mode.
par Léa Zetlaoui.
Rarement un créateur n’aura autant secoué l’univers de la mode que Lee Alexander McQueen. Disparu en 2010, l’Anglais d’origine écossaise n’hésite pas à sonder les côtés les plus sombres de l’âme humaine à travers ses collections et ses défilés. En témoigne la célèbre collection “Highland Rape” automne-hiver 1995 en référence à l’oppression anglaise subie par les écossais au XIXème siècle ou encore le défilé “It’s a jungle out there” automne-hiver 1997 au cours duquel, dans une ambiance survoltée, des voitures ont pris involontairement feu – une cinglante réponse à son désaveu suite à la présentation de sa première collection pour la maison Givenchy.
Mais un des défilés les plus marquants et dérangeant du créateur anglais reste sans doute “Voss” printemps-été 2001, brillamment expliqué dans le documentaire Savage Beauty. Dans une ambiance qui évoque un asile psychiatrique, les mannequins au visage bandé – parmi lesquels Kate Moss – évoluent anarchiquement au sein d’un cube de miroirs sans tain qui accueille en son milieu un parallélépipède en métal. Resté clos et opaque tout le long du défilé, ce dernier s’ouvre juste avant son final pour dévoiler l’écrivaine Michelle Olley nue, masquée et nourrie par une sonde, en référence à la photo “Sanitarium” de Joel Peter Witkin. Ici, le photographe et plasticien new-yorkais n’a pas directement collaboré au défilé Alexander McQueen : fasciné par ses images mettant en scène des personnalités aux physiques étranges, déformés, abîmés, le créateur britannique qui collectionnait son œuvre a souhaité y faire directement référence. Interrogée sur sa participation au défilé, Michelle Olley alimentera quant à elle la controverse en commentant « Mon corps va être tellement en désaccord avec les moineaux de la mode et les vieux corbeaux osseux… Je suis ce que la plupart d’entre eux craignent le plus – grosse ». À ce jour, le défilé “Voss” demeure l’un des plus célèbres de l’histoire de la mode.
Obsédé par les technologies – en témoignent les robots qui peignent la robe de Sharlom Harlow pour le printemps-été 1999 – le créateur anglais subjuguera plus tard le public de ses défilés par une apparition holographique de Kate Moss signée du réalisateur Baillie Walsh, pour la collection automne-hiver 2006.