30 mar 2020

Qui est Xander Zhou, le créateur qui pixellise les corps?

Depuis la création de son label en 2007, le Chinois Xander Zhou a peu à peu fait sa place dans la mode masculine avec ses créations imprégnées par la science-fiction et les nouvelles technologies. Retour sur la singularité d’un créateur avant-gardiste, résolument ancré dans son époque.

Des collections comme “écosystèmes visuels”

 

 

Xander Zhou conçoit chacune de ses collections comme un véritable récit à dimension théâtrale. Imaginant d’abord ce qu’il appelle un “écosystème visuel”, le jeune Chinois réfléchit ensuite aux personnages qui le peuplent, et crée ainsi une véritable unité de temps, de lieu et d’action dans laquelle s’inscrivent les histoires qu’il raconte à travers ses vêtements. Si la collection printemps-été 2019 évoquait un futur peuplé d’êtres humains en mutation (hommes à six bras ou aux ventres gonflés par des grossesses inédites), la collection printemps-été 2020 nous projetait dans le monde éthéré de la spiritualité avec des pagnes, larges robes fluides et longs sautoirs – autant d’éléments empruntés aux vestiaires cérémoniels et destinés à célébrer de culte d’une nouvelle religion hybride.

 

 

“Au bout du compte, je veux que chacun puisse s’identifier à mon monde imaginaire.”

 

 

Pour autant, la réflexion philosophique développée par Xander Zhou en arrière-plan de ses collections n’enlève rien à la praticité et la portabilité de ses créations. Pour sa dernière collection, par exemple, le créateur matérialise très simplement la dualité de chaque individu par des lignes et des jeux de couleurs qui divisent les silhouettes et les pièces en leur milieu. Du reste, le créateur équilibre le plus souvent ses pièces les plus originales et insolites, telle une jupe longue ultra-large ou une chemise ajourée laissant apparaître le téton, par d’autres plus sobres et fonctionnelles, comme un tee-shirt blanc, un pantalon de costume noir ou un pull en jersey. Le défilé ajoute beaucoup à la narration : “Je visualise aussi le concept de ma collection par la coiffure, le maquillage et autres accessoires, donc je n’ai pas besoin que tous mes vêtements soient extrêmement expérimentaux. Car au bout du compte, je veux que chacun puisse s’identifier à mon monde imaginaire”, explique le créateur, parvenant ainsi par ces choix judicieux à mettre en avant le potentiel commercial de son label tout en affirmant son statement créatif.

 

 

Un créateur tourné vers l’avenir

 

 

Comme un clin d’œil à sa position d“outsider” dans la mode occidentale, Xander Zhou se décrit lui-même sur son profil Instagram comme un “humanoidwear designer” – un créateur qui ne créerait donc ni pour les hommes, ni pour les femmes, mais pour des humanoïdes. Selon lui, cette appellation résume son approche aussi bien de la mode que de l’humanité, qu’il rassemble ici dans toute sa diversité : “Il ne s’agit pas seulement de cibler les différences liées à l’ethnie ou à l’identité de genre, mais aussi d’inclure toutes les espèces, qu’elles soient terrestres ou extraterrestres.” Indéniablement tourné vers le cosmos, l’imaginaire du créateur fut en effet, dès son enfance, nourri par les dessins animés japonais, la saga Transformers ou encore les romans de science-fiction. “Je pense que nous vivons tous dans une période très “sci-fi”, dans laquelle de nombreuses choses fantastiques (positives ou non) se passent”, commente-t-il.

En conséquence, chaque collection de Xander Zhou reflète son regard aussi fasciné que perplexe face aux possibilités offertes par les nouvelles technologies. Après avoir utilisé des tissus dont les couleurs changent suivant la température du corps, proposé des silhouettes fortement inspirées par le transhumanisme ou dévoilé sa collection printemps-été 2020 lors d’un défilé exclusivement virtuel, où les internautes pouvaient tourner à 360° autour des modèles, le créateur chinois a présenté à Londres en janvier dernier une collection inspirée par la physique quantique et les univers multiples. Dans ce “multivers”, Xander Zhou fait naître des ensembles moulants où se dessinent des lignes extraites de circuits imprimés, des chemises couvertes de chiffres évoquant l’esthétique du codage ou encore des pantalons dont les empiècements imitent les jambes mécaniques d’un cyborg. 

 

 

“Créer mon propre monde fantastique dans mon travail est une manière d’analyser celui dans lequel on vit.”

 

 

Mais d’autres pièces y auront sans doute particulièrement marqué les mémoires : à l’aide de l’intelligence artificielle, le créateur a créé une batterie de visages non existants et automatiquement générés puis pixellisés, qu’il a ensuite imprimés sur des doudounes, chemises, pantalons et même boxers. Une manière pour lui d’aborder la place de la censure à l’heure d’un flux continu d’images autant que de questionner le pouvoir métaphysique de l’intelligence artificielle. “Si l’IA peut générer un certain visage, comment peut-on être si sûrs qu’il n’existe pas en tant que personne, dans ce monde ou un autre?”, interroge-t-il explicitement. 

 

Nourrie par son esprit prolifique, la mode avant-gardiste de Xander Zhou offre, non sans scepticisme, un aperçu percutant de la mode de demain. Non plus celle d’un futur idéalisé ni façonné par une esthétique léchée tel qu’il le fut dans les années 70, mais plutôt d’un monde conscient de ses nombreuses ressources autant que leurs possibles dérives. Le créateur l’affirme d’ailleurs lui-même : “créer mon propre monde fantastique à travers mon travail est une manière d’analyser celui dans lequel on vit, autant que de s’en libérer dans une certaine mesure.” Suivez les pixels, Xander Zhou vous indique le chemin.  

Des modèles aux airs de moines boudhistes couverts de pierres brûlantes, des visages et des corps constellés de petits carrés colorés évoquant des pixels, des hommes intégralement vêtus de combinaisons poilues évoquant des yétis, ou aux ventres enceints totalement dénudés… Toujours surprenantes, les collections de Xander Zhou savent marquer l’assistance par des moments marquants et inattendus qui, chaque fois, s’inscrivent dans une véritable narration. Depuis la création de son label en 2007, le créateur chinois a su en effet affirmer dans le paysage de la mode masculine sa vision avant-gardiste incarnée par des créations alliant leur caractère fonctionnel à une véritable force conceptuelle.

 

 

Un rapport ambivalent avec la Chine

 

 

En 2012, Xander Zhou marque l’histoire de la mode en devenant le premier créateur chinois à défiler à la Fashion Week homme de Londres. Si cette première semble tardive, elle est toutefois concomitante de l’influence croissante et récente de la Chine dans l’industrie de la mode. Bien que le pays soit aujourd’hui l’un de ses plus grands acheteurs et producteurs, il voit toutefois bon nombre de ses créateurs en herbe émigrer en Europe pour y faire leurs études. Xander Zhou est de ceux-là : avant de retourner en Chine pour lancer son label, le jeune homme s’est installé aux Pays-Bas où il a étudié le design de mode pendant plusieurs années : “Cela m’a permis de prendre du recul vis-à-vis de ma culture d’origine, car à cet âge-là on est avide de voir et découvrir de nouvelles choses afin d’élargir notre monde. Finalement, cela m’a permis de réapprécier certains aspects de ma propre culture lorsque je suis rentré en Chine”, se remémore-t-il.

 

 

“La raison pour laquelle j’explore maintenant des éléments chinois dans mes créations vient principalement du fait que je les aie rejetés très tôt dans ma carrière”

 

 

Depuis, Xander Zhou entretient un rapport ambigu avec la culture de son pays, qui inspire aujourd’hui partiellement ses collections. Ainsi peut-on y voir régulièrement apparaître des chemises et hauts à col Mao, des boutonnages asymétriques qui rappellent ceux des robes traditionnelles qipao ou encore des dragons orientaux, symboles impériaux de la plupart des dynastie chinoises, désormais stylisés et tricotés sur des pulls en maille jacquard. “La raison pour laquelle j’explore maintenant ces éléments chinois dans mes créations vient principalement du fait que je les ai rejetés très tôt dans ma carrière”, explique le créateur. Une relation ambivalente qui ne l’empêche pas d’insister sur la difficulté des créateurs non-occidentaux à gagner, encore aujourd’hui, une visibilité internationale : “L’industrie de la mode est très eurocentrée. (…) Sans parler des préjugés avec lesquels on doit composer lorsque l’on est un ‘étranger’.”