Que penser du nouvel album de Nicolás Jaar?
Celui que l’on appelait volontiers l’enfant prodige de l’électro revient avec un quatrième album studio envoûtant. Sorti le 27 mars via le propre label du musicien intitulé Other People, “Cenizas” marque le passage progressif de Nicolás Jaar vers l'exploration sans limite, révélant un univers toujours plus profond et onirique.
Par Margaux Coratte.
Quatre années après la sortie de son dernier disque, Sirens, Nicolás Jaar revient avec un nouvel opus intitulé Cenizas. Ce titre, qui signifie “cendres” en espagnol, marque la renaissance de ce phénix impénétrable, qui n’en finit plus d’étonner ceux qui l’écoutent depuis ses débuts. Oscillant entre techno sombre, expérimentations house, jazz et sonorités exotiques, l’univers du musicien trentenaire est infiniment riche, mélancolique et troublant. Cenizas est quant à lui un album ovni, plus introspectif que jamais.
Une expérience sensible
Beaucoup ont dansé sur son Mi Mujer célèbre ou vibré lors de sa Boiler Room, mais les nouveaux morceaux de Nicolás Jaar relèguent la danse au rang de lointain souvenir. Renouant avec les sonorités ambiantes de son premier album Space Is Only Noise (2011), le compositeur américano-chilien arpente un paysage sonore nébuleux, fait de sons intrigants, clapotements ou souffles venteux, de quelques notes provenant d’un lointain écho, de paroles murmurées et de puissantes réverbérations. Ecrit entre 2017 et 2019, et composé par Patrick Higgins, avec qui il avait déjà collaboré sous le nom de AEAEA, l’album invite à la rêverie, en treize titres énigmatiques.
C’est avec un entremêlement de bassons, d’orgues et de chants frôlant le religieux que débute Cenizas. Des voix claires entonnent un lent “Savior come down” (“le Sauveur descend”) , à peine christique, pour laisser place à un entrechoquement métallique, mélange de sons brouillés qui tournent en boucle comme à la fin de la lecture d’un vinyle. Dès les premières notes, on comprend que l’album détonne fortement avec les derniers EP du musicien, autrement plus dansants. Rien à voir en effet avec Illusions of Shameless Abundance (sortie le 31 janvier dernier), EP sur lequel figurait FKA Twigs et Lydia Lunch, ni avec le jazzy et disco 2017-2019 (sorti une semaine plus tard), tous deux signés de son alias All Against Logic.
Un voyage transcendantal
Si Nicolás Jaar a commencé la musique adolescent, la maturité qui émerge de son royaume musical est à peine croyable. Loin de séparer l’électro-house qui le caractérise de ses atmosphères sensibles, il cumule les attributs sans qu’on puisse lui coller une quelconque étiquette. La dualité n’a en effet pas sa place chez celui où chaque genre s’imbrique dans les autres avec aisance, créant toute une galaxie sonore aux infinies possibilités. Ainsi on ne peut opposer le Nicolás Jaar “électro” au Nicolás Jaar maître de l’ambient. Cenizas est le fruit de tout un mélange d’influences et d’expérimentations sonores, inspirées des sons du monde extérieur comme de l’héritage des musiciens phares de l’artiste, de Ricardo Villalobos à Aphew Twin, en passant par Dave Brubeck ou Keith Jarrett.
Un jour avant la sortie de son nouvel album, le musicien expliquait sur son site internet que Cenizas est né d’une difficile introspection, coupé de tout. Citant John Coltrane et son album Crescent, il insiste sur l’esprit de métamorphose qui l’anime et son désir de ressentir le présent, malgré ses difficultés à s’abandonner à ses émotions. Ses morceaux sont ainsi peuplés de visions chimériques prenant parfois la forme de mantras transcendantaux et sacrés. C’est bien un voyage intérieur qui s’offre ainsi à nous, comme si le Nicolás Jaar y livrait ses démons pour pouvoir mieux s’en délester. Comme si il nous invitait, en cette période trouble, à emprunter son chemin.
Cenizas de Nicolás Jaar, disponible depuis le 27 mars 2020 sur toutes les plateformes de streaming.