3 avr 2020

Comment SebastiAn conçoit-il la musique des défilés Saint Laurent?

Producteur au sein du label Ed Banger, proche de Charlotte Gainsbourg et Gaspar Noé, et musicien des défilés Saint Laurent depuis l'arrivée d'Anthony Vaccarello, SebastiAn brille autant par son talent que par sa discretion et son humilité. Numéro a posé quelques questions au producteur sur sa collaboration avec la maison parisienne.

Deux fois par an dans les jardins du Trocadéro et devant un parterre de stars, la maison Saint Laurent présente ses collections femme qui rivalisent de glamour, sensualité et énergie rock. Et pour accompagner ses shows grandioses, des décors spectaculaires et bien sûr une musique tout aussi percutante. Depuis l’arrivée du créateur belge Anthony Vaccarello à la tête de la direction artistique de la maison parisienne, c’est au producteur français SebastiAn, membre éminent de l’écurie Ed Banger. que revient cet honneur. Discret collaborateur du dernier album de Charlotte Gainsbourg et de celui de Franck Ocean, proche du réalisateur Gaspard Noé qui réalise certains de ses clips, SebastiAn sortait son nouvel album Thirst en novembre, où l’on retrouve une musique électronique aux rythmes hypnotiques et beats entêtants flirtant avec des sonorités techno parfois teintée d’une violence sous-jacente. Numéro a demandé au discret et talentueuxproducteur comment il crée la musique d’un des shows les plus prestigieux des fashion weeks.

 

NUMÉRO : Quand et comment avez-vous rencontré Anthony Vaccarello ?

SEBASTIAN : J’étais en train de finir l’album de Charlotte Gainsbourg à l’époque, et il me semble qu’Anthony Vaccarello en avait entendu quelques extraits par le biais de Nathalie Canguilhem, la directrice artistique de Charlotte. C’est donc elle qui a fait le lien entre nous deux et nous nous sommes rapidement rencontrés après.

 

Comment a débuté votre collaboration?

Suite à cette rencontre, Anthony Vaccarello m’a demandé si je voulais m’occuper de la musique de son premier show pour la maison Saint Laurent, en 2016. L’exercice m’apparaissait très intéressant et j’ai accepté en introduisant l’idée, que la musique soit spécifiquement et entièrement composée pour le show plutôt que d’agencer des musiques préexistantes. Faire du sur-mesure en quelque sorte. Le premier défilé a eu lieu, puis il m’a rappelé pour le deuxième, le troisième, et nous avons fini par collaborer ensemble sur toutes les collections.

 

“ Le contraste est frappant quand 

Anthony vient saluer à la fin : 

on sent la démesure derrière sa discrétion.”

Comment crée-t-on la musique pour un défilé? 

Nous sommes assez proches dans notre mode de communication, je crois. C’est aussi le cas en ce qui concerne la production. Peu de mots, beaucoup de travail. En premier lieu, Anthony me donne l'atmosphère dans laquelle les vêtements doivent exister, me montre des images du décor, et c’est là que le tout commence. C’est proche de la réalisation d’une musique de film. 

 

En quoi est-ce différent de vos productions habituelles?

Mais la différence entre une production pour soi et une production pour un défilé réside dans le fait qu’un défilé a ses propres normes, ses propres lois de conception. Pour être plus clair, la musique d’un show se fait généralement extrêmement rapidement, dans une sorte d’urgence. Il n’y a quasiment pas de temps de recul, et c’est étrangement ce qui me plaît. Quand on travaille uniquement pour soi, on a souvent le poids de ses propres exigences sur le dos, et on a tendance à s’infliger – parfois pour le mieux, souvent pour le pire – une distance critique qui nous fait passer des heures, des jours, pour certains des années, avant de trouver le bon ton. Là c’est l’inverse. Les circonstances vous somment de ne pas “penser” la musique de trop. C’est beaucoup plus émotionnel, beaucoup plus spontané, donc souvent assez efficace. L’agencement du défilé lui-même étant soumis à bon nombre de variations en cours de route, il est fréquent que la majeure partie des éléments musicaux soient changés, enlevés, puis rajoutés, et ce jusqu’à la dernière minute. J’ai donc souvent la sensation de découvrir la musique que je viens juste de terminer en même temps que les autres personnes. C’est ce qui me plaît dans cette façon de faire. D’être, pendant quelques minutes, comme un peu étranger à sa propre production.

 

“J’ai souvent la sensation de découvrir

la musique que je viens de terminer

en même temps que les autres personnes”

 

Quel est votre souvenir le plus mémorable autour de vos collaborations avec Saint Laurent?

Probablement la première fois que Saint Laurent a défilé au pied de la Tour Eiffel en septembre 2017. Moi qui passais le plus clair de mon temps seul dans un petit studio à terminer les dernières retouches avant que cela ne commence. Quand je suis arrivé sur place, j'ai pris la mesure de l’ampleur du spectacle. Le contraste est assez frappant quand Anthony vient très brièvement saluer à la fin : on sent qu'il y a de la démesure derrière sa discrétion.

 

Quelle était votre relation avec la mode auparavant?

Pour être franc, et malgré maintenant ces quelques années de collaboration avec Anthony, je pense toujours tristement ne rien y connaître.