Qui était vraiment Christophe, musicien alchimiste du “beau bizarre“?
Chanteur dandy, génial amoureux de la fantaisie et homme passionnant, Christophe s'est éteint le jeudi 16 avril à 74 ans, des suites d'un emphysème, une maladie pulmonaire. Il nous laisse un patrimoine musical à classer parmi les plus fascinants de la chanson française.
Par Violaine Schütz.
Quel beau prénom que celui qu'il avait choisi comme nom de scène, alors qu'il était né Daniel Bevilacqua. C'était un hommage à la médaille de Saint Christophe qu'il avait reçu de sa mère. Christophe, dans son origine grecque, signifie celui qui “ porte le Christ” et dans le christianisme, Saint Christophe, est le patron des voyageurs. C'est peu dire que le chanteur nous aura fait voyager et nous aura porté tout au long de nos vies. De Sunny Road to Salina à La Dolce Vita, en passant par Petite fille du soleil et Voix sans Issue, il nous aura ouvert des contrées sans fin, de la pop formatée à l'expérimentation onirique, du féminin ou masculin, des guitares au synthé avec comme guide cette voix qu'il est difficile d'oublier.
Comme le pleure sur Twitter Jean-Michel Jarre, parolier de deux des plus beaux titres de Christophe, Les Mots Bleus et Paradis Perdus : “ C’était un des plus grands chanteurs français. C’était plus qu’un chanteur, c’était un couturier de la chanson.” La mère du chanteur était d'ailleurs couturière, tandis que son père tenait une entreprise d'installation de chauffage central.
Si Christophe ciselait ses morceaux comme des robes couture, parlant de “veste de soie rose ” ou un d'un “ smoking blanc cassé”, il a connu plusieurs périodes, à la manière d'un peintre. Il y avait le chanteur yéyé qui criait le nom d'“ Aline” à l'infini, dans les années 1960. Puis vint le temps de la poésie, dans les années 70, avec deux albums majeurs, Les Paradis perdus et Les Mots bleus. Après une page quasi blanche dans les années 1980 (en dehors du hit Succès Fou en 1983) et 1990, le compositeur est revenu plus complexe et passionnant que jamais avec plusieurs disques, dès 1996. Parmi les moments forts, on retient son escapade avec Alan Vega de Suicide, son idole, sur Les Vestiges du Chaos (2016).
Au-delà des chansons qui ont influencé toute une génération pop, il y avait un homme perfectionniste et mystérieux qu'on a eu la chance de rencontrer un soir dans son appartement-musée de Montparnasse. Il parlait de tous ses trésors avec la force d'un conteur, d'un piano à une photo dénudée d'Isabelle Adjani.
Derrière l'image du crooner-dandy-latin lover, Christophe était le descendant d'une famille d'immigrés italiens originaires du Frioul. Il découvre la musique, enfant, avec Edith Piaf, puis se passionne pour le blues, les juke-boxes, l'American way of life, les voitures, les vieux films, Elvis Presley et James Dean. Dans sa jeunesse, comme ses idôles rebelles, il roule trop vite au volant de ses Ferrari et de ses Lamborghini, ce qui lui cause quelques démêlés avec la maréchaussée.
Christophe ne s'est jamais vraiment assagi. Père de deux enfants, dont un qu'il n'a pas reconnu, il n' était pas devenu un vieux Schnock moustachu dopé à la naphtaline. Il aimait la nouveauté, se tenant au courant de tout ce qui se faisait en matière de musique avec un enthousiasme sans bornes. Il n'hésitait pas à collaborer avec la jeunesse comme en témoigne un récent et sublime duo live sublime avec la productrice électro belge Mathilde Fernandez ou une échappée avec Jeanne Added et même Laetitia Casta.
Il nous reste de l'homme et de l’œuvre une certaine idée du “ beau bizarre”, pour reprendre le titre de son album sorti en 1978 (sur lequel il chantait “ Si j’ai ma veste noire/Ce n’est pas par hasard/C’est la couleur que je préfère/Le blanc, c’était hier.”) et cette leçon: “ Aimer ce que nous sommes”, comme le disait son disque sorti en 2008. Aimer ce que nous sommes, dans notre richesse et nos failles.