Michael Jordan mis a nu sur Netflix
Cette série documentaire en dix épisodes diffusée sur Netflix nous propose un captivant retour en 1997, dans l’équipe des Chicago Bulls menée par le mythique basketteur Michael Jordan. Une puissante étude psychologique sur la réussite individuelle au sein d’un groupe.
par Olivier Joyard.
Octobre 1997. Devenu un phénomène mondial durant la décennie, le championnat de basket américain reprend ses droits avec une interrogation majeure : les Chicago Bulls menés par Michael Jordan vont-ils remporter leur sixième titre ? Alors que le manager général Jerry Krause a déclaré vouloir faire un grand ménage d’ici quelques mois pour renouveler l’équipe vieillissante, la saison qui s’ouvre s’annonce très spéciale pour la plus grande star du jeu, mais aussi pour l’entraîneur Phil Jackson. Le stratège hors pair, féru de méditation zen, réunit ses joueurs dans les vestiaires et leur dit : “Ce sera notre dernière danse…” Cette dernière danse, Netflix et ESPN ont eu la bonne idée d’en faire une série documentaire palpitante en dix épisodes. D’abord prévue pour juin – période des finales de la NBA –, sa diffusion a été avancée au mois d’avril, histoire de consoler les fans, privés jusqu’à nouvel ordre de la moindre compétition.
À l’aide de nombreuses archives, c’est une plongée dans un univers mythique que propose le réalisateur Jason Hehir, dont l’approche ne prend son sens qu’au fil des épisodes. Il y a d’abord l’icône Michael Jordan, sujet central évidemment. En plus de suivre son parcours durant cette saison 1997-1998, on redécouvre à travers des flash-back un chemin extraordinaire, depuis ses débuts dans le jardin familial jusqu’à son titre universitaire, puis son arrivée à la NBA à l’âge de 21 ans en 1984. L’histoire d’une domination se déplie, quand le jeune homme abat une à une les légendes du basket de son temps pour finalement imposer la sienne, en enchaînant les bagues de champion.
“The Last Dance montre la puissance des frustrations
à l’œuvre entre joueurs et dirigeants”
Mais un bon documentaire doit savoir réévaluer l’histoire telle qu’elle s’est présentée au monde, ce qui est le cas de The Last Dance. On y saisit plus que jamais l’aura et le génie de “MJ”. Cet homme a su faire constamment la jonction entre une approche esthétique de son sport et l’efficacité d’un “tueur”. Le maître lui-même est interrogé aujourd’hui sur sa carrière, la caméra placée en légère contre-plongée pour lui donner un air à la fois arrogant et monumental… Le chat agile des années 80-90 a laissé place à un homme plus massif, dont l’instinct se réveille quand on évoque la gloire, mais aussi les difficultés passées.
Ces images, à elles seules, suffisent déjà à captiver. Pourtant, le véritable apport de la série concerne l’aspect collectif. Le récit est nourri de retours sur le passé qui montrent comment les Chicago Bulls sont parvenus à cette situation en 1997, mais Jordan n’est pas le seul à faire l’objet d’une étude approfondie. Derrière l’astre qui scintille, les étoiles périphériques ont aussi droit à leur tour de piste. C’est le cas du fabuleux Scottie Pippen, mis en avant comme un élément clé des victoires. Une réalité que tout le monde constate au début de 1997, quand le “lieutenant” de Jordan a retardé une opération de la cheville pour ne pas être présent durant les premières semaines de la saison. Mal payé, déconsidéré, Pippen n’a d’ailleurs toujours pas ravalé sa rancœur. Avec de nombreux témoignages sans langue de bois (au-delà de l’équipe, responsables et journalistes ont aussi la parole), The Last Dance montre la puissance des frustrations à l’œuvre entre joueurs et dirigeants, et comment une machine de sport et de spectacle telle que les Chicago Bulls a pu vaciller. Cela en fait un document précieux sur les tensions entre l’individuel et le collectif en Amérique. Une question politique et économique qui met en jeu les fondations d’un pays dans son ensemble. Le basket peut mener très loin…